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L’Algérie à la croisée des chemins

Soixante ans après son indépendance au prix d'une lutte héroïque, l'Algérie se trouve à la croisée des chemins. Si des progrès socio-économiques indéniables ont été accomplis, de nombreux défis structurels entravent toujours son plein développement.

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Dans son essai encyclopédique L'Algérie Aléatoire (ouvrage en 4 tomes achevé en 2018, paru aux Editions Universitaires Européennes, juin 2023), Farid Daoudi dresse un constat lucide mais non dénué d'espoir sur la situation du pays. Il soulève des questionnements fondamentaux : quels sont les principaux freins au développement algérien ? Pourquoi ce riche pays en ressources naturelles accuse-t-il un tel retard par rapport à d'autres nations émergentes ? Comment expliquer le paradoxe d'un peuple fier, mais dont une partie de la jeunesse aspire à l'exil ? L'auteur avance une hypothèse centrale : le véritable enjeu ne réside-t-il pas dans la valorisation du capital humain, combinant compétences et éthique citoyenne, trop longtemps négligé voire méprisé ? En analysant les principaux aspects soulevés par Daoudi, cette étude tente d'apporter des éléments de réponse et de réflexion. 

Un départ antidémocratique. Dès les prémices de l'indépendance, Daoudi pointe un mauvais départ dans la construction nationale avec le coup d'État militaire de 1962. En s'emparant du pouvoir par la force sans consulter démocratiquement la volonté populaire, ce mode opératoire a semé les graines d'une nouvelle caste dominatrice, méprisant les capacités du peuple, pourtant démontrées lors du référendum d'autodétermination. 

Ce déni de la souveraineté populaire détonna d'emblée avec l'idéal de liberté porté par le combat pour l'indépendance. Ce déni accoucha d'un système qui, sous des prétextes « révolutionnaires », privilégia une allégeance aveugle, plutôt que la compétence et l'éthique citoyenne. Une hydre bureaucratique avide de privilèges prit racine, perpétuant un déni de justice (hogra) illustré par le mépris des simples fonctionnaires envers la population.

La malédiction des hydrocarbures. Loin d'être un tremplin pour le développement national, Daoudi souligne que les hydrocarbures sont plutôt devenus « une malédiction » pour l'Algérie. La ressource naturelle mal gérée s'est manifesté de plusieurs manières :

- une économie de rente dopée à la manne pétrolière mais peu productrice, cantonnée à un rôle importateur passif dans de nombreux secteurs 

- un terrain fertile propice à la corruption, la fainéantise et l'incompétence managériale, un dirigeant déclarant crûment : « Après les hydrocarbures, on retournera dans nos tentes ».

- un manque criant d'investissement dans des secteurs clés comme l'éducation, la santé ou l'émergence d'une véritable industrie nationale 

Ce constat s'illustre par des chiffres éloquents. En 2022, les hydrocarbures représentaient encore 94% des exportations algériennes et 60% des recettes budgétaires de l'État (OPEP). Hors secteur des hydrocarbures, l'industrie manufacturière ne pesait que 5% du PIB en 2021 (ONS). Dans le classement Doing Business 2020 de la Banque Mondiale, l'Algérie figurait - pour la facilité à la création d’ une entreprise - à une piètre 157ème place sur 190 économies. 

Daoudi met en parallèle l'échec algérien à transformer cette manne en levier de développement avec la réussite d'autres pays initialement aussi pauvres, mais qui ont su se diversifier, comme la Corée du Sud devenue un exportateur industriel majeur. 

Le gaspillage du capital humain. C'est pourtant la piètre valorisation de ce que Daoudi nomme « le capital des capitaux », c'est-à-dire le capital humain, les compétences et l'éthique citoyenne, qui constituerait, selon lui, le principal frein au développement algérien. En témoignent de multiples signaux négatifs :

-la fuite permanente des cerveaux et compétences algériennes, contraints à l'exil faute d'opportunités dignes dans leur pays 

-le rejet ou l'ostracisme des rares compétences revenues au pays, systématiquement évincées par une bureaucratie médiocre 

- le douloureux phénomène des « harraga », ces jeunes prenant des risques mortels pour tenter de rallier l'Europe.

Quelques données illustrent ce constat. En 2019, plus de 27.000 médecins algériens exerçaient à l'étranger selon l'Ordre national des médecins ; 89% des ingénieurs algériens diplômés à l'étranger entre 1980 et 2000 n'ont pas réintégré le pays (CREAD), plus de 24.000 harraga ont été interceptés en 2022 selon les gardes-côtes (HCR). Depuis 2019, au moins 1035 migrants algériens ont péri en mer en tentant la traversée vers l'Europe (OIM).

En contraste frappant avec l’Algérie, d'autres pays émergents comme la Chine ou l'Inde ont su attirer leurs talents de la diaspora grâce à des programmes incitatifs. 

L'éternel retour des excuses ? Face à ce constat amer d'un potentiel gâchis, Daoudi récuse les éternelles excuses brandies, telles que les « séquelles du colonialisme ». Il donne en contre-exemple des nations comme Cuba, l'Iran ou le Vietnam qui, malgré un contexte de blocus économique ou de sanctions, ont su mobiliser leurs forces vives pour se développer plutôt que se lamenter. Sans oublier l’exemple de la Corée du Nord : bien que pauvre en ressources naturelles, ce pays a développé la bombe atomique, échappant ainsi au sort subi par d'autres nations désarmées comme l'Irak ou la Libye. Une telle prouesse technologique démontre, selon Daoudi, que « le pouvoir est au bout du fusil, et d'abord de l'homme qui tient ce fusil », c'est-à-dire du capital humain résolu et déterminé.

Une authentique révolution culturelle. Au final, l'auteur appelle de ses vœux une « authentique révolution des mentalités » en Algérie, seule capable de briser le cercle vicieux du gaspillage des compétences et de l'exil forcé des élites. Car c'est bien une profonde remise en cause culturelle des valeurs et des priorités qui semble nécessaire.

Cela implique de rompre avec la logique d'allégeance et de déni de justice héritée du coup de force de 1962, pour mieux laisser s'exprimer et s'épanouir les énergies créatrices et l'esprit d'initiative plutôt que la sujétion. Plutôt que le clientélisme et la cooptation des médiocrités, la compétence et l'éthique citoyenne doivent être réévaluées à leur juste valeur dans tous les secteurs.

Une refonte en profondeur du système éducatif figure, également, au rang des priorités. Au-delà des simples connaissances académiques, celui-ci doit former les esprits critiques, créatifs et entreprenants dont le pays a tant besoin pour décoller. Parallèlement, un environnement propice à la liberté d'entreprendre et d'innover doit être instauré pour canaliser ces forces vives au service du progrès collectif.

Enfin, redonner aux femmes toute leur place dans cette dynamique de développement est indispensable, elles qui ont tant contribué au combat pour l'indépendance et qui demeurent une formidable réserve de talents et d'abnégation au service de la nation. 

À l'heure où l'Algérie célébrera en 2062 son premier centenaire en tant qu'État indépendant et souverain, le cri « Tahia Al-Djazaïr » chanté par les chouhada pourra-t-il résonner avec une véritable fierté ? Répondre à cette question nécessite d'entendre le vibrant appel à la refondation contenu dans L'Algérie Aléatoire de Farid Daoudi. 

En réalisant enfin une « révolution des mentalités » qui place au centre la promotion du capital humain dans toutes ses dimensions, l'Algérie pourra transcender les errements passés et les faux prétextes. Elle sera alors en mesure d'honorer pleinement la mémoire des martyrs en rayonnant à nouveau comme phare de liberté, d'égalité, de solidarité et de dignité retrouvées.

Un tel sursaut patriotique et citoyen, nourri de compétences et d'éthique, peut seul permettre de résorber les maux qui gangrènent encore le pays parachevant ainsi l'œuvre des vaillants combattants de la liberté. Tel est le plaidoyer lucide mais empreint d'espoir de Farid Daoudi.

Kamel Hamroun, journaliste algérien

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Source : http://www.observateurcontinental.fr/?module=articles&action=view&id=5826


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9 réactions à cet article    


  • Cette phrase montre... « Dès les prémices de l’indépendance, Daoudi pointe un mauvais départ dans la construction nationale avec le coup d’État militaire de 1962. »

    ... Montre que Daoudi n’a rien compris aux « Evènements » et vous-même qui semblez accepter ce constat, vous ne comprenez pas non plus...

    Car il n y avait pas un « Etat algérien en 1962 » qui aurait subi un coup...

    Tout le reste est du bla ba.

    On peut lire dans votre article : « Au final, l’auteur appelle de ses vœux une « authentique révolution des mentalités » 

    Ce qui est tout-à-fait faux ! Je suis le seul à avoir appelé pendant plus de 20 ans, dès le 1er mandant de Bouteflika, au  »changement des mentalités, mais aussi des comportements« . Non seulement aucun Algérien ne m’avait soutenu, mais tout le monde avait plagié mes écrits...

    Le summum de l’hypocrisie et de plagiat a été atteint en 2019...

    Le titre de tous mes écrits qui je pourrait rassembler comme une étude ou plutôt une Encyclopédie sur »L’Algérie« serait non pas une »Algérie aléatoire« , mais une »Algérie hors la loi".


    • Hassinus Hassinus 6 avril 10:40

      @Mohammed MADJOUR (Dit Arezki MADJOUR)
      BOnjour
      "On peut lire dans votre article : « Au final, l’auteur appelle de ses vœux une « authentique révolution des mentalités » 

      Plus que ça :une révolution culturelle dont le double objectif est d’en finir avec les valeurs de la culture agraire de survivance qui, avec l’opulence, ont négativement muté en « lahfa » , irrespect pour l’espace public..., et aussi de se réapproprier le patrimoine universel de l’art d’expression, dont les Algériens ont été exclus pendant l’ère coloniale. Le Musée National des Beaux-arts, et ses centaines de chef-d’œuvres complètement méprisé. Or l’art élaboré fondé non sur le savoir mais sur l’imaginaire est fondamental dans le modelage des esprits dans le bon goût, l’harmonie et la tolérance....


    • Brutus Brutus 4 avril 15:40

      Avant que les territoires qui la constituent ne soient colonisés par les Français et leurs frontières dessinées dans le cadre d’une répartition du contrôle militaire et administratif de l’AOF, l’Algérie n’existait pas. Ni en tant que pays, ni en tant qu’état, ni en tant que nation, et encore moins en tant que peuple.

      Cet article et l’ouvrage auquel il se réfère omettent cette dimension pour analyser (sinon expliquer) la répartition des pouvoirs actuels dans ce pays, les tensions que les rivalités génèrent et le clientélisme à la fois cause et effet d’une longue tradition précoloniale de rivalités entre les clans et les familles autour de codes de l’honneur semblables à ceux de la Corse ou de la Sardaigne agrémentés de fakirisme (interdit mais très vivant) et de soufisme.

      La première erreur a été d’imposer l’arabe comme langue officille, alors que ce n’est pas la langue de populations entières sur de vastes régions, en même temps que l’algérien parlé par les arabes musulmans entretient avec l’arabe littéraire des rapports aussi lointains que le français avec le latin. Ce seul fait a été vécu comme une nouvelle forme de domination culturelle, après celle des « Roumis » chrétiens

      Le clivage le plus apparent quand on séjourne dans ce pays se manifeste à travers l’hétérogénéité des populations, ne seraient-ce que les Berbères, les Arabes, les M’Zabites et les Sahariens, et j’en passe. Les mythologies ne sont pas les mêmes, les langues ne sont pas les mêmes et les histoires non plus, et il suffit de discuter avec quelqu’un qui est sûr que vous n’irez pas le dénoncer pour constater que les séquelles produites par les conquêtes orientales n’ont pas été effacées par presque un siècle de présence française.

      Ces aspects ne sont pas antinomiques avec les affirmations de cet article, mais ils éclairent la situetion actuelles d’un autre jour.


      • karim 5 avril 09:46

        @Brutus
        Médaille historique de 1689 représentant l’humiliation du roi Louis XIV de France après sa défaite sur le Rhin, l’obligeant à signer 2 traités, l’un avec le pape à Rome et l’autre avec les Algériens.

        Voir illustration 3 et 4 :
        https://books.openedition.org/pur/103724


      • L'apostilleur L’apostilleur 4 avril 21:45

        @ l’auteur 

        « ..l’auteur appelle de ses vœux une « authentique révolution des mentalités » en Algérie.. »

        Il n’a pas osé parler de cette honte du Maghreb, le racisme algérien que taisent ceux qui s’en disent victimes en France. 

        https://onenpensequoi.over-blog.com/2019/12/miss-algerie-excite-les-racistes-anti-noirs.le-racisme-au-maghreb-un-concept-a-deux-faces.html 



        • ilias 5 avril 02:04

          A l’attention du commentateur qui se reconnaîtra. Note synthétique du DSM V à l’endroit de la pathologie, tout autant psychique que psychologique pour ne pas dire mentale, dont il est question ci-après :

          Un narcissique mégalomane est une personne qui présente un trouble de la personnalité narcissique (TPN) avec des traits mégalomaniaques prononcés.

          Le TPN se caractérise par :

          • Un sens exagéré de l’importance de soi.
          • Un besoin constant d’admiration et de reconnaissance.
          • Un manque d’empathie pour les autres.
          • Une tendance à exploiter les autres pour son propre gain.
          • Une hypersensibilité à la critique.
          • Une vision du monde dichotomique (tout est noir ou blanc, bien ou mal).

          La mégalomanie, quant à elle, se caractérise par :

          • Une surestimation délirante de ses capacités et de ses réalisations.
          • Un sentiment de supériorité et d’omnipotence.
          • Un besoin de contrôler et de dominer les autres.
          • Des idées de grandeur et de persécution.

          Lorsque ces deux traits se combinent, on obtient un individu qui :

          • Se croit unique et spécial, et ne peut être compris que par des personnes « tout aussi spéciales ».
          • A besoin d’être constamment adulé et complimenté.
          • Ne supporte aucune critique, même constructive.
          • Devient furieux et vindicatif lorsqu’il n’est pas au centre de l’attention.
          • Exploite les autres sans vergogne pour atteindre ses objectifs.
          • A des projets grandioses mais irréalistes.
          • Est incapable de comprendre les besoins et les sentiments des autres.

          • SilentArrow 7 avril 07:45

            @ilias

            La monstrueuse idole Allah coche toutes les cases de votre description du narcissique mégalomane.


          • Decouz 5 avril 08:54

            Les ressources touristiques ne sont quasiment pas exploitées, récemment le reporter de « j’irais dormir chez vous » a trouvé une seule famille pour l’accueillir et a été sous surveillance policière constante, ce qui ne s’est produit dans aucun autre pays, le Maroc s’est bien moqué.

            https://www.courrierinternational.com/article/tele-en-algerie-un-episode-de-j-irai-dormir-chez-vous-sous-tres-haute-surveillance

            Le livre de Malika Rahal « Algérie 1962 » éclaire sur des aspects moins connus sur la manière dont l’indépendance a été vécue par la population si il est vrai que l’Algérie n’existait pas en tant que nation avant les Français, la présence coloniale pendant toutes ces années a laissé un état non pas à reconstruire, mais à construire en totalité, d’autant qu’on voulait symboliquement se démarquer de la situation précédente, un des aspects qui est peu perçu, c’est que une grande partie de la population avait été déplacée dans des camps , avait perdu son rapport précédent avec la terre et devait trouver de nouveaux repères.

            "Le livre relève le pari de rééquilibrer une histoire réalisée à parts inégales en tenant ensemble les expériences du peuple algérien, largement inconnues en France, et la présence, en creux, des rapatriés, dont l’histoire a davantage été écrite. Le surgissement de 1962 comme référence des manifestants lors du Hirak, début 2019, a sans doute renforcé la qualification de révolution attachée à l’année 1962. Malika Rahal offre toutes les clés pour la saisir comme telle. "

            https://journals.openedition.org/lectures/54434


            • Danton 13 Danton 13 6 avril 09:33

              L’ Algérie, est mon sens un pays très mystérieux. Très mystérieux. 

              La France ne se remet pas de sa séparation. Le 19 mars 1962 est la plus grande défaite subie par la France. 

              On peut tourner cela dans tous les sens. Notre déclin notre chute vertigineuse commence là. Comme une goutte d’eau qui petit remplit la baignoire. Depuis ce jour sinistre la France glisse glisse de plus en plus vite.

              L indépendance nécessaire fut archi ratée. 

              Dans le Pouvoir et la Vie de Valéry Giscard d’Estaing tome 2 en début de livre VGE relate cette phrase du Président Boumédienne <<jamais nous n’imaginions que les Français partiraient d’un coup. Ce que nous voulions c’était la possibilité de diriger le pays mais jamais nous aurions imaginé que les Français partiraient d’un coup nous savions que nous avions besoin d’eux >>. C’est écrit noir sur blanc. 

              Dès 1945 il aurait fallu traiter le sujet du futur de l’Algérie(des Algériens avaient laissé leur vie pour la France) est de la conduire à une indépendance sans guerre ou un statut valable pour les musulmans. Notre classe politique a comme si souvent tout raté.

              En 1978 le président Boumédienne lors de son retour en Algérie après une hospitalisation en URSS demande à VGE l’autorisation de survoler la Corse (base militaire) et rajoute << je sais que vous travailler à la normalisation des relations entre la France et l’Algérie sachez que vous trouverez auprès de moi un partenaire >>(le Pouvoir et la Vie Tome 2. )

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Patrice Bravo

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