L’Asie centrale, la poudrière du XXIe siècle
La région est le théâtre d’enjeux sécuritaires, économiques, politiques et religieux qui menacent lourdement sa stabilité. Les djihadistes de Daesh se replient dans cette zone, les grandes nations se disputent ce territoire stratégique tandis que de puissants oligarques comme Moukhtar Abliazov financent les mouvements protestataires. Un cocktail explosif.
Islam radical, jeux d’influence chinois et russes, enjeux gaziers et pétroliers, tensions politiques internes... : l’Asie centrale semble bien partie pour devenir l’une des zones les plus chaudes du globe dans les années à venir. Panorama non exhaustif des enjeux d’une région encore méconnue, mais plus stratégique et instable que jamais.
Tensions géopolitiques entre puissances rivales
L’Asie centrale est la « réunion de deux Turkestan », pour reprendre l’expression de l’universitaire Emmanuel Lincot, spécialiste de la région : un Turkestan russe, d’une part, et un Turkestan dit chinois, de l’autre. Une manière de rappeler que la région se situe, historiquement, au croisement d’intérêts puissants et souvent divergents.
Cette vaste région, qui s’étend du Caucase aux frontières de la province chinoise du Xinjiang, comprend tous ces pays aux noms aussi étranges que similaires, des anciennes républiques soviétiques ayant conquis leur indépendance à la suite de la chute de l’URSS, en 1991. Mais cet espace souffre de la création, « délibérée par Staline », toujours selon Emmanuel Lincot, « d’enclaves à majorités ethniques qui étaient contraires à la présence et aux intérêts de populations les entourant ».
Et l’universitaire de pointer des « situations pour le moins baroques et dangereuses sur le plan sécuritaire », comme au Kirghizistan, où subsistent « des poches de population à majorité ouzbèke ». Conséquence logique, des conflits intercommunautaires émaillent régulièrement l’actualité régionale.
Moukhtar Abliazov, le Georges Soros local qui souffle sur les braises des tensions politiques
Les pays d’Asie centrale se distinguent aussi par l’hétérogénéité de leur situation économique respective et les disparités de richesses qui en découlent. Le Kazakhstan ou l’Ouzbékistan tirent leur épingle du jeu, en réussissant même à attirer les investisseurs étrangers. Ce qui n’est pas le cas, loin s’en faut, de certains de leurs voisins.
Les tensions économiques sont renforcées par des tensions politiques internes. Celles-ci peuvent être instrumentalisées par des États étrangers, comme la Russie, qui a, de tout temps, considéré la région comme son pré carré, mais aussi par de puissants oligarques, qui cherchent à déstabiliser les pouvoirs en place à leur profit.
C’est le cas d’un certain Moukhtar Abliazov. Le milliardaire, condamné au Kazakhstan pour avoir détourné 7,5 milliards de dollars lorsqu’il était à la tête de la banque BTA, et inexplicablement libéré par la justice française alors qu’il attendait son extradition vers la Russie, s’est en effet lourdement ingéré dans le processus électoral du Kirghizistan voisin.
En avril 2010, l’oligarque kazakh a soutenu, grâce à sa fortune, la « révolution kirghize », qui a conduit à la fuite du président Kurmanbek Bakiev de son pays et à la prise de pouvoir par l’actuel chef de l’État, Almazbek Atambayev. Moukhtar Abliazov a depuis publiquement reconnu avoir financé des rassemblements politiques, qui avaient alors dégénéré en émeutes. Lors des dernières élections kirghizes, qui se sont tenues à la fin de l’année 2017, l’argent d’Abliazov a encore servi pour discréditer l’opposant Omourbek Babanov, pourtant donné favori par les instituts de sondage, au profit du Premier ministre sortant, Sooronbaï Jeenbekov.
Non seulement Moukhtar Abliazov a-t-il contribué à mettre en place, au Kirghizistan, un régime encore plus autoritaire, populiste et corrompu que le précédent, mais encore aurait-il reçu de la main de ses obligés une part substantielle du « gâteau kirghize », via l’attribution de sociétés affiliées au nouveau régime.
Montée en puissance de l’islam radical
Enfin et surtout, l’Asie centrale est déstabilisée par la montée en puissance de l’islam radical — particulièrement au sein de l’Ouzbékistan. Pays musulman le plus peuplé de la région, avec près de 32 millions d’habitants, l’Ouzbékistan a vu émerger un mouvement islamiste radical, le Mouvement islamique d’Ouzbékistan (MIO), dès son indépendance en 1991.
Réprimé par le régime d’Islam Karimov, jusqu’à sa mort en 2016, le MIO a rejoint les talibans d’Afghanistan avant de prêter allégeance au groupe État islamique (EI), en 2015. Plusieurs de ses cadres auraient occupé des postes importants au sein d’Al-Qaida, et de 500 à 1 500 ressortissants ouzbeks auraient rejoint les rangs de l’EI au Moyen-Orient, ce qui constituait le plus gros contingent de l’organisation terroriste. Les services de sécurité russes estiment, quant à eux, qu’entre 2 000 et 4 000 ressortissants d’Asie centrale seraient partis se battre en Irak ou en Syrie.
De nombreux djihadistes ayant perpétré des attaques terroristes sont également originaires d’Ouzbékistan, à l’instar de Sayfullo Saipov, l’auteur d’un attentat à New York en novembre 2017, ou d’Abdoulkadir Macharipov, l’auteur présumé d’une attaque contre une boite de nuit à Istanbul, le 31 décembre 2016, qui a fait 39 morts. Selon les observateurs de la région, la corruption, la morosité économique et la chape de plomb pesant sur la société civile ouzbèke expliquent cette attirance des jeunes pour l’idéologie islamiste. Une menace de plus qui pèse sur une région déjà particulièrement instable…
Comment la Chine et la Russie vont-elles réagir si un nouveau foyer djihadiste éclate à leur porte ? Quelle sera la réaction des États-Unis ? L’Asie centrale pourrait bien être au XXIe siècle ce que la poudrière des Balkans fut au XXe : une zone a priori marginale, mais qui concentre les intérêts et les visées stratégiques des grandes puissances.
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