L’Église catholique palmarienne : la secte aux papes déjantés
L'Église catholique palmarienne, de son nom officiel Église chrétienne palmarienne des Carmélites de la Sainte-Face, est une entité religieuse à part. Issue du catholicisme traditionaliste, elle a émergé en Espagne dans le bouillonnement des années 1970, avant de se singulariser par ses positions extrêmes, ses "papes" autoproclamés et les multiples controverses qui ont jalonné son parcours.
El Palmar de Troya : aux sources du schisme
L'histoire débute en 1968 dans le paisible village andalou d'El Palmar de Troya, près de Séville. Quatre jeunes filles, Rosario Arenillas, Josefa Guzmán, Ana García, et Ana Aguilera, rapportent des apparitions de la Vierge Marie, un événement qui, loin de rester anecdotique, attire vivement l'attention et suscite un intérêt croissant dans toute la région. C'est dans ce contexte d'effervescence mystique qu'émerge la figure de Clemente Domínguez y Gómez, né le 23 mai 1946 à Séville. Ce courtier en assurances, à la personnalité charismatique et au discours enflammé, se présente comme un voyant privilégié, affirmant recevoir des messages divins et exhibant des stigmates, signes physiques qui rappellent les blessures du Christ.
Dès 1969, il prend une place prépondérante dans le mouvement naissant, rassemblant autour de lui une communauté de fidèles de plus en plus nombreuse. Accompagné de Manuel Alonso Corral, un avocat qui deviendra son bras droit et son successeur, Domínguez organise des rassemblements qui prennent de l'ampleur, et critique avec virulence le concile Vatican II, qu'il accuse d'hérésie et de modernisme décadent. Il faut dire qu'à cette époque, l'Espagne vit encore sous la dictature de Franco, un régime ultra-conservateur qui voit d'un mauvais œil les réformes de l'Église catholique.
Un tournant décisif est pris en 1975. Clemente Domínguez et Manuel Alonso Corral, qui se considèrent déjà comme des évêques de facto, sont "ordonnés" par l'archevêque vietnamien Pierre Martin Ngô Đình Thục, une figure bien connue du traditionalisme catholique. Cette ordination, hautement controversée et réalisée dans des conditions rocambolesques, certains disent qu'il n'était pas pleinement conscient de ce qu'il faisait, lui vaut l'excommunication immédiate par Rome. L'ancien archevêque de Hué, un homme âgé et affaibli, reniera par la suite ces ordinations, déclarant avoir été manipulé et trompé par les promesses de Clemente Domínguez. Cet acte, véritable pierre angulaire du schisme, marque la rupture définitive avec l'Église catholique romaine. L'Église palmarienne se constitue alors en une entité autonome, avec ses propres règles, sa propre hiérarchie et, bientôt, ses propres "papes".
Le 6 août 1978, le monde catholique est en deuil : le pape Paul VI s'éteint, après un pontificat d'un peu plus de 15 ans, marqué par les suites du concile Vatican II et les tensions qui en découlent. C'est dans ce contexte de vacance du trône de Saint-Pierre que Clemente Domínguez y Gómez franchit un pas décisif : alors qu'il se trouve à Bogota, en Colombie, il annonce avoir eu une vision du Christ lui ordonnant de se proclamer pape. Il prend le nom de Grégoire XVII, un nom qui sonne comme une provocation pour Rome. Il établit son propre "Saint-Siège" à El Palmar de Troya, jetant les bases de ce qui deviendra son Église, un mélange de ferveur religieuse et de mégalomanie. C'est également à cette époque que débute la construction de l'imposante basilique d'El Palmar de Troya, financée par les généreuses contributions des fidèles, venus des quatre coins du monde, attirés par la promesse d'un retour à la "vraie foi" et par les supposés miracles qui se produiraient à El Palmar.
Les "papes" palmariens : une lignée controversée
Grégoire XVII (Clemente Domínguez y Gómez) - 1978-2005 : le visionnaire contesté*
Le "pontificat" de Grégoire XVII, qui s'étend de 1978 à 2005, est une période de consolidation, mais aussi de controverses retentissantes. En 1976, un accident de voiture le prive de la vue, un événement que ses fidèles interprètent comme une épreuve divine, tandis que ses détracteurs y voient un juste retour des choses. Malgré sa cécité, il dirige l'Église d'une main ferme, ou plutôt d'une main de fer dans un gant de velours. Son règne est marqué par la structuration de la doctrine palmarienne, un mélange de traditionalisme catholique poussé à l'extrême et de croyances spécifiques, comme la croyance en l'existence d'une conspiration maçonnique au sein du Vatican. Les excommunications pleuvent, visant non seulement les papes romains, qu'il considère comme des antipapes, mais aussi tous ceux qui osent s'opposer à sa vision, y compris d'anciens fidèles qui remettent en question ses enseignements.
Parallèlement, des accusations d'abus sexuels et financiers émergent, des rumeurs persistantes qui finiront par éclater au grand jour. Des témoignages font état de relations inappropriées avec des religieuses et des jeunes séminaristes. On parle de soirées fastueuses, de dépenses somptuaires, loin de l'austérité prônée par l'Église. En 1997, il reconnait publiquement ces abus sexuels et financiers et présente ses excuses. Le 21 mars 2005, Grégoire XVII décède, laissant derrière lui une Église puissante en apparence, mais fragilisée par les scandales et les divisions internes.
Pierre II (Manuel Alonso Corral) - 2005-2011 : l'intermède énigmatique
Manuel Alonso Corral, le fidèle secrétaire et confident de Domínguez, lui succède et prend le nom de Pierre II. Un homme discret, secret, qui a toujours vécu dans l'ombre de Grégoire XVII. Son "pontificat", de 2005 à 2011, est relativement bref, marqué par une tentative de normalisation de l'image de l'Église. Il décède en juillet 2011 dans des circonstances qui n'ont jamais été totalement élucidées, certains parlent d'une mort naturelle, d'autres murmurent qu'il aurait été empoisonné, ouvrant une période d'incertitude quant à la direction de l'Église et à la succession du "trône" palmarien.
Grégoire XVIII (Sergio Maria Jesús Hernández y Martínez) - 2011-2016 : le militaire inattendu
L'élection de Sergion Maria Jesús Hernández y Martínez, qui prend le nom de Grégoire XVIII, surprend tout le monde, y compris les fidèles les plus fervents. Cet ancien militaire, et ancien sportif de haut niveau, sans formation théologique particulière, dirige l'Église de 2011 à 2016. Son profil atypique détonne dans l'histoire palmarienne, et certains y voient un signe de la déliquescence de l'institution. Le 22 avril 2016, coup de théâtre : il quitte l'Église, abandonne sa charge et ses habits pontificaux, pour épouser la femme qu'il aime et dénonce publiquement L'Église catholique palmarienne, la qualifiant d'imposture et de secte. Il révèle avoir perdu la foi et avoir été témoin de nombreux abus.
Pierre III (Joseph Odermatt) - 2016-Présent : le retour à l'ordre ?
Depuis 2016, c'est Joseph Odermatt, un Suisse discret et effacé, l'ancien secrétaire d'État de Grégoire XVIII, qui occupe le "trône" palmarien sous le nom de Pierre III. Les observateurs s'accordent à dire qu'il cherche à ramener l'Église vers une forme d'orthodoxie plus traditionnelle, rompant avec certaines excentricités de ses prédécesseurs, et tentant de redorer le blason d'une institution ternie par les scandales. La tâche s'annonce ardue, tant les défis sont nombreux.
Saints et pécheurs : les canonisations controversées
L'une des pratiques les plus controversées de l'Église palmarienne, sous le "règne" de Grégoire XVII, fut la canonisation de personnalités pour le moins inattendues. En effet, en plus de figures religieuses traditionnelles, Grégoire XVII éleva au rang de "saints" des individus dont la vie et les actions étaient loin de faire l'unanimité. Parmi les plus célèbres, on trouve le général Francisco Franco, le dictateur espagnol, responsable de la mort de milliers d'opposants politiques, Christophe Colomb, l'explorateur, dont les expéditions ont conduit à la colonisation et à l'exploitation des peuples autochtones d'Amérique, et même Luis Carrero Blanco, le Premier ministre de Franco, assassiné par l'ETA en 1973.
Ces canonisations, qui n'ont évidemment aucune valeur pour l'Église catholique romaine, étaient perçues comme des provocations et des actes politiques, Grégoire XVII ne cachant pas son admiration pour le régime franquiste et ses valeurs conservatrices. Elles ont contribué à isoler encore davantage l'Église palmarienne et à la discréditer aux yeux de la communauté internationale. Certains observateurs y ont vu une tentative de créer un "panthéon" de héros nationalistes et traditionalistes, en opposition à la modernité et au progressisme. José María Escrivá de Balaguer, le fondateur controversé de l'Opus Dei a également été canonisé. Le pape Jean-Paul II en fera de même en 2002.
Au-delà des "papes" : patrimoine, fidèles et dissidences
L'Église palmarienne a amassé, au fil des décennies, un patrimoine considérable. La basilique d'El Palmar de Troya, avec ses dimensions imposantes et ses ornements luxueux, en est le symbole le plus visible. À cela s'ajoutent des propriétés immobilières, des œuvres d'art et des avoirs financiers conséquents. L'origine de cette richesse est sujette à controverse. Si les dons des fidèles, souvent très importants, constituent une part significative des revenus, des accusations d'extorsion de fonds, jouant sur la peur de la damnation, ont été formulées à de très nombreuses reprises. La gestion financière de l'Église, caractérisée par une grande opacité, alimente les vives et nombreuses critiques.
La vie quotidienne des fidèles palmariens est marquée par un isolement important du monde extérieur. Les contacts avec les non-croyants sont fortement déconseillés, voire interdits. L'Église exerce un contrôle strict sur tous les aspects de l'existence de ses membres, de l'éducation des enfants aux relations sociales et affectives. Les femmes, en particulier, sont soumises à des règles strictes, limitant leur accès à l'éducation et à l'autonomie.
Des voix discordantes, des témoignages accablants
Malgré le contrôle exercé par l'institution, des voix dissidentes se sont élevées. D'anciens membres ont témoigné des abus qu'ils ont subis, qu'ils soient d'ordre moral, financier ou sexuel. Ils décrivent un système fonctionnant sur la manipulation psychologique et l'emprise. Ces témoignages ont été corroborés par des enquêtes journalistiques approfondies et des rapports d'associations spécialisées dans la lutte contre les dérives sectaires. Des actions en justice ont été menées, mais le statut d'Église reconnue, depuis 1988, par les autorités espagnoles de l'organisation controversée complique les procédures judiciaires classiques.
L'Église catholique palmarienne, après une phase d'expansion fulgurante, est aujourd'hui confrontée à un déclin. Les controverses récurrentes, la disparition de ses figures historiques et les divisions internes ont érodé sa crédibilité et son influence. Son avenir est incertain. L'histoire de cette Église schismatique reste un exemple frappant des dérives potentielles lorsque la foi se conjugue à l'ambition personnelle et au pouvoir absolu
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