L’entreprise un impensé du capitalisme
La rencontre mensuelle des économistes atterrés du 13 février dernier sur « comment refonder l’entreprise ? » a été l’occasion de vérifier que le capitalisme, dans ses concepts mêmes, occulte la réalité de l’entreprise. En effet l’entreprise, contrairement à la société anonyme, est un objet juridique non identifié. Cet état de fait a permis la révolution néolibérale véritable holdup des actionnaires et de la finance sur les entreprises.
Les actionnaires ne sont pas propriétaires de l’entreprise
Le premier intervenant, Jean Philippe Robé avocat spécialiste en droit des affaires internationales a largement insisté sur l’erreur de confondre l’entreprise et la société commerciale par actions et de croire que les actionnaires sont propriétaires des entreprises.
En effet c’est la société commerciale qui détient la personnalité morale et donc qui est propriétaire des actifs utilisés dans l'entreprise et qui passe les contrats avec les parties prenantes à l'entreprise. Les dirigeants ne sont pas les mandataires des actionnaires ; ils sont mandataires de la société elle-même. Les actionnaires eux sont propriétaires des actions qui ne leur donnent que le droit de participer à des assemblées générales et de voter sur quelques décisions dont la nomination du conseil d’administration et des dirigeants. Si les actionnaires étaient propriétaires ils seraient entièrement responsables de l’entreprise alors que leur responsabilité est limitée à leur investissement.
La théorie de l’agence qui fait croire que les mandataires sociaux sont les agents des actionnaires est donc une escroquerie intellectuelle. C’est elle qui a conduit à la mise en place des stocks options pour garantir l’alignement des décisions des dirigeants sur les intérêts des actionnaires. Les conséquences en sont bien connues : les actionnaires de contrôle ont un pouvoir de décision qui fait porter le poids des risques qu'ils prennent sur d'autres qu'eux. Ils engrangent les bénéfices, mais quand les risques se réalisent, ce ne sont pas eux qui en assument les conséquences. C’est pourquoi dans le monde financiarisé d’aujourd’hui les grandes entreprises construisent leurs profits sur l’externalisation systématique de leurs charges et de leurs risques sociaux et environnementaux par la sous-traitance et la délocalisation.
L’enjeu est donc de considérer l’entreprise comme un lieu d’actions et de pouvoirs dont la responsabilité s’étend là ou ses décisions ont un impact. En conséquence les dirigeants d’un groupe sont responsables du fonctionnement de toutes les collectivités humaines du groupe y compris des sous-traitants qui lui sont dépendants ainsi que de toutes les externalités négatives comme toutes les atteintes à l’environnement. Finalement l’entreprise, comme la famille ou les collectivités locales par exemple, est une organisation sociale et personne ne peut être propriétaire d’une organisation sociale.
Les dérives des relations sociales
Le second intervenant, Philippe Reigner, consultant dans un cabinet de conseil aux comités d’entreprises, a complété cette description par les principales évolutions qu’il a constatées ces dernières années dans le cadre de ses interventions. J’en soulignerais trois :
La première est la transformation de la fonction RH, anciennement garante de l’efficacité des ressources humaine dans la paix sociale, qui est devenue le premier supporter des réductions d’effectifs : « embaucher est devenu un gros mot ».
Le second constat est, par la mise en place des outils de pilotage managériaux, le découplage des dirigeants avec la réalité du travail. Dans les groupes ce découplage est aussi le fait des syndicalistes « professionnels » qui ne connaissent plus la réalité du terrain. Cela conduit à des négociations « hors sol » déconnectées de la réalité des salariés.
Le phénomène le plus structurant est la déconnection des lieux de négociation liées aux structures juridiques avec l’organisation réelle des pouvoirs dans l’entreprise : les discussions du CE d’un site de production ou d’une filiale ne servent plus à grand-chose lorsque les décisions stratégiques sont prise au niveau d’une « business unit » qui n’a pas de réalité juridique et donc pas de lieu de négociation…
Quelques pistes de travail
Ces deux interventions plutôt descriptives n’ont pas apporté de pistes de travail pour refonder l’entreprise, par contre les échanges avec la salle ont permis d’évoquer quelques piste de travail, en voici trois :
La première est de faire évoluer la comptabilité de l’entreprise. En effet on ne peut rendre de comptes que si ces comptes existent. L’idée est donc de rendre les dirigeants comptables d’une « Triple bottom line » à savoir non seulement les résultats financiers mais aussi les résultats sociaux et environnementaux de l’entreprise. Cela permet de ré internaliser dans les comptes de l’entreprise les externalités négatives et de rémunérer les dirigeants sur des résultats équilibrés. A mon sens il faudrait une quadruple comptabilité car dans cette « triple bottom line » on occulte l’activité réelle de l’entreprise à savoir la valeur ajoutée apportée par la qualité des biens et des services rendus à ses clients ; valeur qui est indépendante des résultats financiers. Pour en favoriser la mise en place une politique fiscale incitative pourrait conditionner les systèmes de défiscalisation à l’obtention d’une valeur ajoutés globale sans externalités négatives.
La seconde piste est l’organisation de contrepouvoirs et notamment ceux à qui les dirigeants doivent rendre compte. Cela passe principalement par la prise en compte des intérêts des salariés qui composent le collectif humain de l’entreprise. Certains préconisent la mise en place de 30 % des droits de votes réservés aux salariés en réservant 30 % du capital qui appartiendrait collectivement aux salariés. Une autre solution est d’instituer un bicamérisme, dans ce cas les orientations et décisions stratégiques des dirigeants devraient être approuvées et donc acceptables par les deux assemblées : celle des actionnaires et celle des salariés (à ce sujet voir mon article sur les propositions d’isabelle ferreras). On pourrait aussi imaginer des assemblées consultatives pour les parties prenantes externes sur lesquelles l’entreprise à du pouvoir ; les clients, la société civile ou les collectivités locales,…
Une troisième voie est liée à l’organisation interne des entreprises et la limite des systèmes hiérarchiques traditionnels dans un univers complexe et en transformation permanente. A ce sujet ont été cités les systèmes de double ligne managériale comme la sociocratie. L’idée est de permettre des prises de décisions au plus près du terrain qui prennent en compte les opportunités et contraintes du travail réel pour mieux servir les clients et organiser tout au long de la ligne hiérarchique une négociation permanente entre ces opportunités et contraintes avec les orientations stratégiques des dirigeants.
Réinventer les concepts pour vivre notre futur
Nous vivons aujourd’hui avec des concepts inventés et mis en place lors de la seconde révolution industrielle à la fin du XIXème siècle. Que ce soit la société par action, le salariat et son principe de subordination, l’organisation scientifique du travail et le système de commandement hiérarchique ont été conçus pour un univers où moins d’un % de la population faisait des études supérieures, où le service militaire durait 3 ans et où le seul lieu régulier d’information était le sermon du dimanche à l’église.
En ce début de XXIème siècle ou plus de 70 % d’une classe d’âge a le baccalauréat et où toute l’information est disponible sur internet, il est temps de revoir de fond en comble les concepts juridiques et managériaux d’organisation des entreprises. Que veux dire une société par action à l’heure du crowdfunding…
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