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L’exil français de Khomeiny : quand Giscard d’Estaing a favorisé la révolution islamique en Iran

Automne 1978. Un village paisible des Yvelines de 2 000 âmes, Neauphle-le-Château, est soudainement propulsé au centre de l'attention mondiale. C'est là, dans ce lieu improbable, que se joue l'avenir d'une nation, l'équilibre d'une région entière, et bien plus encore. L'ayatollah Rouhollah Khomeiny, figure charismatique et controversée, y trouve refuge après son expulsion d'Irak. Cet exil en France, loin d'être un simple épisode diplomatique, a catalysé la révolution islamique iranienne. Il a profondément bouleversé la géopolitique du Moyen-Orient, avec des répercussions qui se font encore sentir de nos jours. Comment la France, patrie des droits de l'homme et de la laïcité, a-t-elle accueilli celui qui deviendrait le guide suprême d'un régime théocratique islamique, obscurantiste et autoritaire ?
 

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Khomeiny, hôte indésirable et dilemme français

L'histoire débute en Irak. l'ayatollah Khomeiny y vivait en exil depuis 1964, à Nadjaf, ville sainte chiite. Opposant résolu au régime du shah Mohammad Reza Pahlavi, qu'il accusait de corruption, de tyrannie et de servilité envers l'Occident, il y avait trouvé un asile relatif, mais une tribune pour ses sermons incendiaires. En 1978, la situation change. Le shah, qui perçoit Khomeiny comme une menace croissante, fait pression sur Saddam Hussein, l'homme fort du régime irakien. Dans le contexte d'un rapprochement irako-iranien, Saddam Hussein décide d'expulser l'ayatollah Khomeiny. Le Koweït refuse de l'accueillir. C'est alors que la France intervient, de manière surprenante.

 

Khomeinisme — Wikipédia

 

Pourquoi la France a-t-elle accepté Khomeiny ? La question demeure centrale. Plusieurs versions existent, parfois contradictoires. Officiellement, la France met en avant sa tradition d'accueil des exilés politiques, un principe fondamental. Valéry Giscard d'Estaing, alors président de la République, affirmera plus tard avoir agi par "humanité". Mais d'autres facteurs, plus pragmatiques, ont joué. La France avait des intérêts économiques considérables en Iran : nucléaire, pétrole, armement. Accueillir Khomeiny pouvait être un moyen de faire pression sur le shah, dont le régime faiblissait, ou de se positionner en cas de changement, une sorte de pari sur l'avenir.

Des rumeurs, alimentées par des hauts fonctionnaires, suggèrent une décision prise dans la précipitation, sans consultation approfondie des services de renseignement, et peut-être sans évaluation complète des risques. L'ayatollah Khomeiny, âgé de 77 ans, arrive à Orly le 6 octobre 1978, accueilli par des membres de l'opposition iranienne en exil et quelques fonctionnaires français. L'événement, bien que discret, ne passe pas inaperçu.

 

La villa de la révolution, entre ferveur et surveillance

La petite villa de Neauphle-le-Château, prêtée par le docteur Ibrahim Yazdi, un proche de l'opposition iranienne, devient le quartier général de Khomeiny. Cette demeure simple se transforme rapidement en lieu de pèlerinage pour les Iraniens du monde entier : étudiants, opposants, religieux. Elle devient le centre névralgique de la contestation anti-shah, le foyer d'une révolution en préparation.

 

Neauphle

 

La France, prise de court, met en place une surveillance discrète mais constante. Des agents de la DST se mêlent aux journalistes et aux sympathisants. Ils observent, écoutent, tentent de comprendre, de déchiffrer les messages, d'identifier les menaces. Mais ils sont dépassés par l'ampleur du phénomène, par la ferveur qui anime l'entourage de Khomeiny. L'ayatollah, grâce à des cassettes audio enregistrées et diffusées clandestinement en Iran, galvanise les foules, contourne la censure et orchestre la révolution à distance, un exploit pour l'époque.

Les journalistes affluent du monde entier. Le village, habituellement si calme, devient un studio de télévision à ciel ouvert. Neauphle-le-Château devient l'écho mondial de la révolution iranienne. Khomeiny, très peu médiatisé auparavant, se retrouve sous le feu des projecteurs. Il accorde des interviews, multiplie les déclarations. Il soigne son image de guide spirituel intransigeant, mais aussi de défenseur des opprimés. Il promet un Iran libre et juste, sans toutefois révéler tous les véritables aspects de son projet théocratique islamique.

 

L'Iran, la Révolution islamique et l'ayatollah Khomeini | amnistiegenerale

 

L'URSS, bien entendu, observait attentivement la situation, intéressée par le possible départ du shah, allié de longue date des États-Unis.

 

Paris et Téhéran : diplomatie sur le fil du rasoir

L'accueil de Khomeiny en France déclenche une crise diplomatique majeure entre Paris et Téhéran. Le shah, fervent francophile, furieux, se sent totalement trahi. Il accuse la France de soutenir le terrorisme et de s'ingérer dans les affaires iraniennes. Des manifestations anti-françaises, violentes, éclatent à Téhéran. L'ambassade de France est visée, les intérêts français menacés.

 

Khomeini, Aliyev, d'Estaing and the Golestan Palace Bugging

 

Paris tente de désamorcer la crise. Des émissaires sont envoyés à Téhéran pour rassurer le shah, réaffirmer le soutien de la France. Mais la situation est explosive. La révolution iranienne est en marche, et le régime du shah, affaibli, vacille. La France est prise entre deux feux : la pression du shah, allié historique et partenaire économique, et la montée en puissance de Khomeiny, dont l'avenir est incertain.

Des documents déclassifiés et des témoignages d'anciens diplomates révèlent un double jeu français. Tout en assurant officiellement le shah de son soutien, la France maintient des contacts discrets avec l'entourage de Khomeiny, via des diplomates et des intermédiaires. L'objectif : préserver les intérêts français, quel que soit le vainqueur, une sorte d'assurance sur l'avenir. C'était aussi une manière de ne pas se couper d'un mouvement populaire grandissant.

 

Un vol historique : Khomeiny quitte la France

Le 1er février 1979, après quatre mois intenses à Neauphle-le-Château, Khomeiny quitte la France à bord d'un Boeing 747 d'Air France, spécialement affrété. L'image de l'ayatollah descendant la passerelle de l'avion à Téhéran, acclamé par une foule immense, marque l'histoire. C'est la fin d'un exil et le début d'un nouveau chapitre, pour l'Iran et pour le monde.

 

File:Air France Flight 4721 - Ruhollah Khomeini's return to Iran.jpg

 

Ce retour triomphal marque l'avènement de la République islamique d'Iran. Le shah, qui a quitté le pays quelques semaines auparavant, ne reviendra jamais. Son régime s'est effondré. La révolution iranienne, préparée en grande partie sur le sol français, a triomphé. Khomeiny devient le guide suprême d'un nouveau régime théocratique.

 

 

La France doit faire face aux conséquences de son choix. Les relations avec l'Iran se détériorent rapidement. La prise d'otages à l'ambassade américaine de Téhéran, en novembre 1979, aggrave encore la situation. La France, comme d'autres pays occidentaux, est accusée d'avoir soutenu le shah et d'avoir été complice de ses crimes. Encore une fois, Valéry Giscard d'Estaing, l'homme de tous les mauvais coups, avait fait le mauvais choix...

 

Valéry Giscard d'Estaing | Élysée

 

Le poids d'une décision : entre naïveté et realpolitik

L'accueil de Khomeiny en France reste, plus de quarante ans après, un sujet de controverse. Certains estiment que la France a fait preuve de naïveté, voire de complicité, en accueillant un leader religieux qui allait instaurer un régime autoritaire. D'autres considèrent que la France n'avait pas d'autre option, qu'elle a agi selon ses principes et ses intérêts, qu'elle a tenté de naviguer dans une situation complexe.

 

 

Cette décision cruciale et controversée de l'automne 1978 n'a jamais fait l'objet d'une véritable enquête journalistique exhaustive ou d'une investigation parlementaire approfondie. Les archives, lorsqu'elles seront intégralement déclassifiées, apporteront peut-être un nouvel éclairage. Il reste de très nombreuses zones d'ombre et d'interrogations.

Il est indéniable que l'exil de Khomeiny à Neauphle-le-Château a eu des conséquences profondes sur les relations franco-iraniennes et sur la géopolitique du Moyen-Orient. La révolution iranienne a bouleversé les équilibres régionaux et ouvert une ère de tensions entre l'Iran et l'Occident. La France, malgré ses efforts, n'a jamais retrouvé son influence passée en Iran. Néanmoins, il existe une rue Neauphle-le-Chateau à Téhéran.

 

File:Neauphles le Chateau St. - panoramio.jpg

 

L'histoire de Khomeiny à Neauphle-le-Château illustre les dilemmes de la politique étrangère. Elle montre comment des décisions prises dans l'urgence, sous pression, peuvent avoir des répercussions imprévisibles et durables. C'est une histoire qui résonne encore aujourd'hui, car l'Iran demeure un acteur majeur sur la scène mondiale. Il reste beaucoup à découvrir et à comprendre sur cet épisode. L'ombre de Khomeiny, depuis sa villa de Neauphle-le-Château, aujourd'hui détruite, continue de planer, d'une certaine manière, et cela ne semble pas près de changer dans un avenir proche.


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11 réactions à cet article    


  • jocelyne 4 mars 18:34

    il résidait à côté de la distillerie du « Grand Marnier », cela aide beaucoup smiley


    • @jocelyne

      Bonjour. Merci pour votre commentaire. Je me souviens de la distillerie Grand Marnier à Neauphle-le-Château. A l’époque où j’ai visité ce beau village, elle existait encore.

      Mais il parait que les musulmans ne boivent pas d’alcool. Il parait... smiley


    • V_Parlier V_Parlier 4 mars 18:46

      Deux fois les occidentaux ont effectué une « mise à jour » du pouvoir en Iran. La première, c’était la mis en place du shah, la deuxième pour l’évincer (peut-être pas assez obéissant). Et depuis on entend sans arrêt « l’Iran, l’Iran, dictature terrible ». Bon, ça ne rigole peut-être pas trop là-bas (mais je me méfie des infos internationales du « monde libre »). Mais les faiseurs de bien se sont-ils remis en cause ? En tout cas, les dernière tentatives de « mises à jour » ont toutes échoué. Ils ont grillé toutes leurs cartouches.


      • @V_Parlier

        Le dernier shah d’Iran était pro-occidental, en effet. Il ne faut pas oublier qu’il a quand même été le grand modernisateur de la société iranienne. De plus, le pays était pacifiste et entretenait des relations avec l’Etat d’Israël.

        Quant au régime islamique, il représente une menace pour la stabilité des pays de cette région du monde. C’est un régime brutal et obscurantiste qui bafoue les droits des femmes et des minorités, entre autres, et qui finance le terrorisme islamiste. 


      • Seth 5 mars 13:44

        @V_Parlier

        Sans oublier la fameuse « Opération Ajax » contre Mossadegh qui menaçait de nationaliser les productions de gaz et de pétrole !


      • Seth 5 mars 13:47

        @Giuseppe di Bella di Santa Sofia

        Tout dépend ce que vous entendez par « terrorisme islamiste », les religieux chiites n’approuvent ni les al qaida ni les talibans sunnites voisins et ne les financent certainement pas !


      • @Seth

        Oui, vous avez raison. Il y a des gros problèmes entre les musulmans sunnites (majorité des pays musulmans) et les musulmans chiites (Iran et Irak, en particulier). La République islamique d’Iran finance, entre autres : le Hamas, le Jihad islamique palestinien, les Houthis ou encore le Hezbollah.


      • Seth 5 mars 13:41

        Khomeini (dont le nom est Moussavi) eut en France la chance de paraître en cette période encore hippie comme un de ces « sages » exotiques orientaux que l’on vénérait alors. Et un « ayatollah » en plus, pensez donc !  smiley

        Même si on ne savait pas ce que ça voulait dire ni quelle était son appartenance religieuse... Je me rappelle très bien qu’on le voyait régulièrement au 20 heures de la Giscardie comme un moment de distraction. Et en plus expulsé politique ! Quelle belle image de la Frôôôônce !

        Son « asile » était universellement approuvé alors. Son retour en Iran fut une toute autre paire de manches bien qu’il y fut approuvé par tout le monde jusqu’au Tudeh.

        Cette habitude d’approuver systématiquement toute « révolution » est un défaut que nous avons eu maintes fois l’occasion de mesurer depuis.

        Ceci dit tout cela est l’affaire de l’Iran. La « modernisation » et occidentalisation à marche forcée n’avait pas été forcément bien accueillie, quant à la fête somptuaire de Persépolis de 1972 (à laquelle assista « Chaban et sa chabana » comme disait le luron), n’en parlons pas.


        • @Seth

          Vous avez raison. Je me souviens qu’il passait souvent aux journaus télévisés des chaînes de l’ORTF. il inspirait la sagesse d’un vieux sage, assis sous les pommiers français. Son accoutrement donnait un air « exotique » à tout cela. Mais ce n’était qu’une image bien trompeuse...

          Vous vous doutez que j’appréciais beaucoup le shah et la shabanou, qui est très âgée mais toujours en vie. Une véritable amoureuse de la France, tout comme son défunt époux qui parlait un français impeccable.


        • Seth 5 mars 15:54

          @Giuseppe di Bella di Santa Sofia

          Le titre de « Shahbanou » fut une création de Mohammed Reza (soi disant « Pahlavi ») qui fut aussi diversement perçue.

          L’Iran était de façon générale très francophile ; le français était la deuxième langue parlée par tous les « lettrés », les Perses étant les seuls à pouvoir le parler sans accent (hors parfois le r) et à le maîtriser ce qui est étonnant parce que le problème est au niveau du vocabulaire : quand on sort du « matériel », l’équivalent des mots est difficile à trouver, un peu comme en chinois... Par contre vous comprendrez aisément ce que veulent dire « mersi » et « betonarme ».  smiley

          Cadeau : chant Tasnif (non religieux) classique de cours persan par un « ustad » (maître) accompagné par plusieurs maîtres avec changements de ton et ornements si je ne l’ai pas déjà collé ici...

          https://www.youtube.com/watch?v=_mXrPD06bb0


        • SilentArrow 7 mars 07:53

          @Giuseppe di Bella di Santa Sofia

          Khomeini, c’est ce vieil islamopithèque teigneux qui a condamné Salman Rushdie à mort.

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