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L’or du Pérou tue encore

A l’époque de la domination espagnole, le Pérou des Vice-rois couvrait les actuels Pérou et Bolivie et le nord du Chili. Les incas, qui avaient eux-mêmes pas mal travesti l’histoire, occultant les brillantes civilisations qui les avaient précédés ou côtoyés et qu’ils avaient fini par dominer, avaient trouvé plus fort, plus cupide qu’eux. L’exploitation souterraine des minerais précieux avait fait la fortune des souverains espagnols et de leurs affidés et bien contribué à l’extermination des peuples qui étaient sous le joug. Au milieu du 17ème siècle, Potosi (dans l’actuelle Bolivie), centre névralgique de cette exploitation, comptait 160.000 habitants, soit une population du même ordre de grandeur que Paris. A 4.090 m d’altitude, Potosi se disait ainsi la ville la plus haute mais aussi la plus riche du monde.

La Potosi d’aujourd’hui conserve des reliefs de cette splendeur passée, mais surtout elle conserve la tradition de l’exploitation minière : on continue à y mourir jeunes et en nombre, pour extraire l’étain, le zinc, le plomb et ce qu’il reste d’argent. La pollution est palpable dans la ville : poussière, odeurs, nébulosité … La Calle (rue) Junin s’appelait auparavant, si l’on en croit la plaque de rue, Calle de la Pulmonia : " rue de la pneumonie " ! On s’en frotte les yeux.

Le chauffeur qui nous a conduit d’Uyuni à Potosi a commencé à travailler dans les mines à 11 ans - il doit en avoir une trentaine aujourd’hui - transportant la dynamite et les outils, puis le minerai, à la brouette. C’est son grand-père, visionnaire, qui, pressentant le développement du tourisme, lui a recommandé d’apprendre les langues étrangères, pour échapper à son destin de mineur. Le grand-père est mort à 45 ans, dans un accident. Le père est mort à 37 ans, de silicose. L’espérance de vie d’un mineur serait aujourd’hui de 45 ans. C’est la coca qui fait tenir. C’était déjà le cas du temps des espagnols. Le clergé en avait obtenu un temps l’interdiction, parce qu’elle était attachée à des traditions religieuses autochtones. Il avait dû faire machine arrière à la demande des autorités civiles, vite alarmées des conséquences économiques de cette rigueur dogmatique.

Dans un semblant d’économie participative, l’exploitation actuelle est organisée par des coopératives, dont les associés perçoivent 50% du revenu. Ces coopératives font travailler des groupes d’ouvriers qui se partagent l’autre moitié du revenu. Par tradition, les ouvriers ont tendance à régler leur rythme de travail sur leurs besoins à court terme. Pour financer une fête, ils pourront ainsi extraire du minerai pendant 48h d’affilée, soutenus par la coca. Plus généralement, la journée de travail est de 10 à 12 heures, sans pause déjeuner, du fait de la poussière qui gâte les aliments. 40% du revenu serait dépensé en alcool. Lorsque les mineurs meurent, les veuves sont encouragées par des enveloppes (500 à 1.000 $) à ne pas demander des comptes. Si elles le faisaient, encore faudrait-il qu’elles mettent la main sur un contrat de travail, puis qu’elles réveillent la conscience d’un juge corrompu … La plupart des coopératives proposent à leurs ouvriers des assurances permettant de verser une pension aux mineurs silicosés à plus de 50% puis à leurs veuves.

Les mines font partie des "curiosités " du lieu. Les touristes sont invités à y constater la persistance des croyances et cultes anciens. C’est ainsi que, par exemple, un peu de l’alcool abondamment consommé est versé au sol, en hommage à la Pacha Mamma, la terre mère nourricière. Les touristes sont aussi invités à offrir aux mineurs une partie du matériel que ceux-ci doivent acheter sur leurs deniers pour accomplir leur travail, bâtons de dynamite, coca et alcool, … Une incursion en début du parcours de descente laisse pressentir les conditions de travail plus loin, là où l’on ne peut plus se tenir debout. Certains touristes vivent cette visite comme une légitime curiosité et un coup de main à donner aux mineurs, d’autres s'y refusent, pressentant un épisode de voyeurisme ou une caution donnée à ceux qui envoient ces hommes à une mort prématurée.

Le minerai qui était auparavant préparé et traité en Bolivie est désormais vendu à Arcelor-Mittal. Transporté par route, fer, puis bateau jusqu’en Inde où il est transformé, notamment en lingots d’argent à destination des USA : prolétarisation de la Bolivie - le pays détenteur du minerai - et « développement du commerce international » cher à la mondialisation ultralibérale.

Une visite à la Casa de la Moneta (Hôtel de la monnaie) s’impose. La Bolivie qui produisait les espèces sonnantes et trébuchantes pour une grande partie du monde fait désormais produire sa propre monnaie … au Canada.

Une grande statue domine le site des mines, depuis une colline élevée : un christ drapé de blanc, bras écartés, apportant sa bénédiction - ou son pardon ? - à la scène.

www.citoyensunisdeurope.eu


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2 réactions à cet article    


  • pidgin 12 juin 2014 11:05

    Hugo Chavez au pouvoir a-t-il agi pour modifier cela ?


    • scripta manent scripta manent 12 juin 2014 11:08

      Pour ce que j’ai pu voir, entendre et lire, non, en tout cas jusqu’en novembre 2013, date de mon voyage.

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