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Accueil du site > Tribune Libre > La baleine de Londres, ou l’information différentielle

La baleine de Londres, ou l’information différentielle

A partir de deux faits : le scoop de la baleine de Londres et la couverture quasi banalisée du discours du Président Chirac, réactualisant la dissuasion nucléaire française et la prolifération qu’elle légitime, l’auteur définit l’information différentielle de certains médias.

« Dis-moi ce que tu communiques, je dirai qui tu es ». Cet adage permet peut-être de connaître un certain état du monde, en relation avec les médias qui l’appréhendent et le communiquent à leurs lecteurs, auditeurs et téléspectateurs et j’ajouterai leurs télélecteurs, en prenant en compte les usagers des magazines d’information on line. Je vais parler de leur représentation de la réalité, et de la concordance subjective, avec les faits, de la connaissance qu’ils diffusent. Je prendrai deux exemples, deux cas de ce traitement différentiel de l’information.

Premier exemple. Vendredi 20 janvier, grand émoi, dans les médias anglais, aussitôt relayés par les grandes chaînes de télévisions, les radios et les agences de presse du monde, « une baleine en plein cœur de Londres ». Perdant sa route, la baleine, plutôt habituée aux eaux de l’Atlantique Nord, a remonté la Tamise. Le monde retint son souffle. On se braqua sur l’événement. L’opération de sauvetage de l’animal blessé - acte généreux et légitime - fut présentée en direct par les télévisions, redimensionnant toute l’actualité internationale. Le feuilleton de la baleine a tenu vingt-quatre heures les médias en haleine. Mais la baleine mourut de convulsions dans la soirée. L’acte désintéressé de sauvetage fut perturbé, dévié par une recherche du spectacle, une dérive médiatique !

Deuxième exemple. Jeudi 19 janvier, le Président français Jacques Chirac a prononcé un discours sur la dissuasion nucléaire, à l’île Longue (Finistère), où siège l’état-major de la Force océanique stratégique (FOST). Il élargit la définition des "intérêts vitaux" de la France, à "la garantie de ses approvisionnements stratégiques" et à "la défense de pays alliés". Ni l’examen de la menace de la prolifération, qu’il a abordé, ni la réactualisation du concept de la dissuasion nucléaire, qu’il a énoncé, n’ont provoqué de scoop dans les médias. Evoqués comme simples faits d’actualité, quasi banalisés, ils n’ont pas bénéficié d’un traitement de faveur, dans la lecture géopolitique des événements, de l’ère post-Guerre froide. Est-ce à dire qu’ils ne croisent pas les préoccupations des citoyens du monde, à l’instar de graves tragédies évoquées de façon conjoncturelle ?

Tant mieux, d’ailleurs, si les médias se sont intéressés, dans le cas du feuilleton de la baleine de Londres, à l’écologie, au sort des genres menacés, à une saine solidarité humaine pour une bonne cause. D’habitude, ils sont plus concernés par « les people », les pseudo-personnalités dans le vent, les multiples mariages des héros du boulevard, les feuilletons des alliances et mésalliances, les rapprochements et éloignements fortuits ou arrangés -ce qui permet d’ailleurs d’occulter l’événement, de prendre sa distance par rapport aux faits majeurs, pour ne pas déranger certains acteurs sur le terrain.

Faits d’évidence, les vérités communiquées sont déduites logiquement « à partir des prémisses posées arbitrairement par les axiomes[1] », définis dans ce langage du "politiquement correct", et les médias se croient obligés d’être au diapason aux « humeurs du temps », dans un respect scrupuleux du système de l’information de l’aire-monde où ils évoluent et qui formule leurs valeurs, leurs idealtypus et leurs obsessions. Soyons indulgents, compréhensifs, mais lucides.

[1] - J’emprunte cette donnée à Nicolas Bourbaki et à sa représentation de l’Architecture des mathématiques (1948).


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5 réactions à cet article    


  • Méric de Saint-Cyr Méric de Saint-Cyr 23 janvier 2006 16:41

    Je ne sais pas s’il faut applaudir la tentative de sauver une baleine ou soupçonner les journalistes de cibler sur n’importe quel fait divers POURVU QU’ON NE PARLE PAS DES CHOSES IMPORTANTES...

    Le scénario à la « sauvez Willy » permet de distribuer des doses de « bons sentiments » comme dirait Léo Ferré, pour mieux endormir les masses.

    Oui il y a eu récupération du drame et on a fait de cette histoire un spectacle. Dans quel but ? Chloroformer les braves gens, rien d’autre. On ne leur a pas demandé d’adhérer à WWF ou à Green Peace. On ne leur a pas demandé de signer une pétition contre la chasse à la baleine qui continue d’être pratiquée honteusement par le Japon et le Canada (sous prétexte de « prélèvements à but scientifique », vendus au prix d’or sur des marchés très « jet set »). C’est triste pour la baleine et c’est triste pour la bêtise humaine qui s’en trouve renforcée.

    Non, je ne suis pas d’accord, il ne faut pas être indulgent avec les journalistes lorsque ceux-ci ne font que « suivre le mouvement » COMME DES MOUTONS.


    • Scipion (---.---.37.42) 23 janvier 2006 17:41

      Il y a belle lurette que plus personne ne prend au sérieux les mouvements de menton mussoliniens du président de la République française.

      Lui-même n’a tenu ces « mâles » propos que dans l’espoir de grapiller trois ou quatre points dans les sondages, et la véritable tragédie aurait été que les médias montent ce méchant sketch en épingle !

      Ils sont déjà suffisamment déconsidérés comme ça.


      • (---.---.102.65) 23 janvier 2006 21:44

        Citons la célèbre phrase : « Le fait divers fait diversion ».

        Vous pouvez télécharger « Sur la Télévision », de Pierre Bourdieu, qui explicite ce concept de belle manière.


        • Méric de Saint-Cyr (---.---.27.34) 23 janvier 2006 21:47

          Le squelette de la baleine sera donné au musée d’histoire naturelle de Londres, a annoncé la Société zoologique de Londres (ZSL).

          La carcasse a été amenée aux laboratoires de la ZSL à Regent’s Park pour une autopsie dont les résultats ne seront pas connus avant mercredi 25 janvier. Ensuite, les os seront nettoyées et gardés au Musée d’Histoire Naturelle pour servir la recherche scientifique.

          Les informations seront utilisées dans un projet qui étudie les causes de mortalité des cétacés au large des côtes britanniques et qui est coordonné par le musée et la ZSL.

          En somme, tout n’est pas perdu pour tout le monde...

          D’après l’AFP


          • ... (---.---.166.71) 20 décembre 2006 19:56

            il faut sauvé les baleines mais comment ?

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