Sur
www.nopass.fr un docteur en droit offrait un formulaire prêt à être imprimé pour que tout un chacun puisse, en quelques minutes, déposer une requête contre la France devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme au sujet de la violation des articles 3, 8, 14 et 17 de la Convention (européenne) de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales par les lois 2021-689 et 2021-1040 instituant le laissez-passer intérieur.
Guillaume Zambrano n'est pas un avocat agitant l'épitoge et jouant d'un don pour la plaidoirie, mais un professeur s'appuyant sur son expertise en droit. Ce n'est pas un verbeux apostropheur interprète de l'esprit du législateur (l'Assemblée Permanente du Conseil de l'Europe) mais un studieux citateur textuel de la lettre de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales (
https://nopass.fr/argumentairecedh.php).
Le 7 octobre, la CEDH a unanimement déclaré irrecevable sa requête, ainsi que celles de quelque 18000 requérants qu'il acceptait de représenter bénévolement.
Le premier motif retenu pour cette irrecevabilité est rédigé sous une forme bureaucratique et mentionne la non conformité de ces requêtes à un article (47) et un paragraphe (1) du règlement interne de la Cour relatifs aux conditions de recevabilité et plus précisément aux renseignements individuels à fournir, sans entrer dans le détail des éléments manquants dans chacune des 18000 requêtes (chiffre arrondi mais pas une seule n'a été jugée recevable). Sauf erreur, le défaut de forme commun à toutes ces requêtes est de n'avoir pas été remplies sur le "formulaire fourni par le greffe".
Le deuxième motif est que les requérants qui contestaient ces deux lois n'avaient pas préalablement saisi les juridictions administratives françaises contre leurs décrets d'application. L'argument est évidemment spécieux, et on peut deviner que s'ils avaient contesté les décrets plutôt que les lois l'argument aurait été retourné, ou il aurait été noté qu'ils auraient dû contester les actes les ayant touchés personnellement, comme telle note de service d'un hôpital refusant d'admettre des patients sans laissez-passer ou tel refus oral d'accès à un espace public (or la Convention protège expressément des droits généraux, pas seulement la possibilité individuelle de les exercer, donc on est victime par le déni d'un droit même sans avoir tenté de l'exercer). Sur le fond, dans le contexte actuel d'instabilité règlementaire où l'exécutif fait voter par le parlement une loi carte-blanche en annonçant un décret d'application pour deux semaines, puis prend un deuxième voire troisième décret d'extension pour six mois ou plus, on peut deviner que lesdits décrets auraient déjà été abrogés au moment de l'étude des requêtes.
L'étude de jurisprudence du Pr Zambrano citait des antécédents de requêtes sans épuisement préalable des voies de recours internes, pourtant bien reçues et traitées par la CEDH au motif que les voies de recours théoriques n'étaient en pratique pas accessibles, adéquates ou effectives. Cela n'a pas empêché la CEDH de noter que si la contestation de constitutionnalité n'était effectivement plus possible après la décision du Conseil constitutionnel, il restait possible de contester la conventionnalité (conformité aux traités signés par la France) en saisissant le tribunal administratif et en dernier recours le Conseil d'Etat, c'est-à-dire de ne pas espérer d'abrogation restauratrice de l'égalité et des droits, mais d'attendre plusieurs années une hypothétique décision d'inapplicabilité de ces lois aux seuls requérants. Si la CEDH a ainsi accepté le refus du Conseil constitutionnel, depuis l'institution de l'avortement, de contrôler la conformité d'une loi avec l'article 55 de la constitution (celui exigeant la conformité aux traités internationaux), elle semble assimiler la France, constitutionnellement tenue à la primauté et au respect des conventions internationales, à la rétive Espagne qui insiste sur la supériorité de son droit interne, et elle ignore manifestement la révision constitutionnelle française de 2008 réintégrant le bloc de conventionnalité au bloc de constitutionnalité dont le juge suprême est le Conseil constitutionnel, qui en proclamant la constitutionnalité des lois 2021-689 et 2021-1040 a (implicitement) prétendu leur conventionnalité et bien éteint toute voie de recours interne.
La CEDH ayant jugé qu'un recours effectif était ouvert aux requérants, elle n'acceptera donc pas de requête sur cette question avant que la justice administrative française, puis le Conseil d'Etat, aient jugé que l'instauration du laissez-passer intérieur respecte les droits garantis par la Convention de sauvegarde…
Enfin le dernier motif d'irrecevabilité pour rejeter en bloc les 18000 requêtes est leur caractère abusif car elles visaient l'engorgement et la paralysie de la CEDH, un objectif secondaire, ou plutôt un moyen d'attirer l'attention sur ce massif déni de droit, qu'avait effectivement évoqué Zambrano, mais que la CEDH a par procès d'intention étendu aux dizaines de milliers d'autres requêtes individuelles, sans prendre la peine de lire les circonstances individuelles précises, suscitées par le formulaire électronique de nopass.fr, dans lesquelles chaque requérant a personnellement vu sa vie affectée par l'instauration du laissez-passer.
Sur le fond, rien de tout cela ne saurait surprendre ceux qui ont suivi, par exemple, la manipulation de l'appareil permanent strasbourgeois de cette juridiction depuis les déclarations de guerre à la Russie en 2014, que l'on a exposée dans le
Onzième coup de minuit de l'avant-guerre.