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Accueil du site > Tribune Libre > La création artistique ne vaut rien

La création artistique ne vaut rien

Les débats parlementaires concernant le projet de loi sur le droit d’auteur et droit voisin dans la société de l’information ont repris. Pourquoi sont-ils autant à côté de la plaque ? A côté de cette étrange chose, la création artistique contemporaine. Pourquoi ce manque criant de perception et de prise en compte ?

Pour tenter de répondre à ces questions, il serait bon de prendre en considération quelques faits simples issus de l’économie même de l’art, de ses objets et de ses auteurs.

Qu’observons-nous, depuis maintenant près d’un siècle que le ready-made a été inventé et qu’il n’a cessé de faire boule de neige ?

- Une disparition du travail artistique qui laisse apparaître une beauté certaine du geste, quand celui-ci élève un presque rien au rang d’œuvre d’art.

- Une disparition de l’auteur qui laisse s’affirmer les consommateurs, auteurs à part entière d’une oeuvre offerte à recréations.

- Une disparition matérielle des oeuvres, qui fait de la vie une expérience artistique plus intéressante que ne peut l’être l’art lui-même.

Que toutes ces vacances ne soient pas pour nous objets d’effroi !

Le vide ainsi créé est traversé d’un souffle formidable, une respiration vitale quand l’industrie culturelle n’hésite pas à étouffer les esprits en les gavant jusqu’au dégoût.

L’Internet et le numérique ont cette vertu de pouvoir nous rappeler aujourd’hui ce que la création artistique a toujours été depuis la nuit des temps : un don inestimable, quelque chose d’imprenable, qui se transmet et qui échappe aux emprises définitives. Sauf à l’enfermer, cela s’est vu et c’en est fini alors de son commerce.

Considérons donc avec attention les faits matériels de la création artistique tels que nous les montre le réseau des réseaux.

- Apparition d’une profusion d’œuvres copiables, diffusables et transformables du simple fait de leur économie propre.

- Apparition d’une foultitude d’auteurs, le lecteur lui-même écrivant dans la Wikipédia par exemple, qui multiplient les possibilités de créations.

- Apparition de pratiques n’ayant, selon les critères, rien à voir avec l’art, mais qui sont la conséquence de ce que les artistes ont cherché, trouvé et matérialisé dans des oeuvres reconnues comme telles. Une sculpture sociale, des formes singulières, rien du tout, et qui n’est pas moins que rien.

Que ces apparitions ne nous effraient pas !

Elles sont la richesse déjà présente et opérante d’une culture mondiale transportée, transformée, et qui se transmet malgré les tentatives aussi ridicules que pesantes de vouloir en circonscrire le geste et la beauté. Elles procèdent d’une économie qui excède l’économie même, elles font l’économie de l’économie, c’est-à-dire qu’elles en sont la crème.

Mais qu’en est-il alors du beurre et de son argent ? Si la création artistique ne vaut rien et que chacun peut être auteur, qu’est-ce qui va bien pouvoir nourrir les artistes reconnus comme tels ?

Réponse : les à-côtés de la création artistique. Car c’est bien à la périphérie de l’objet créé qu’il est possible de générer du profit, et non plus directement par lui. Ainsi les concerts, et autres prestations vivantes liées à un produit figé, le morceau de musique enregistré, qu’il soit gravé ou en ligne. L’exemple type a été donné, dans un autre domaine, par cette oeuvre d’art remarquable, primée en 1999 à Linz lors du festival Ars Electronica : le système d’exploitation libre GNU/Linux.

Il n’est pas gratuit, mais offert gracieusement. Il rapporte de l’argent, mais son économie n’est pas basée sur la rareté. Il n’est pas la négation des droits d’auteur, mais en renouvelle la pertinence grâce au copyleft. Il n’est pas le seul, de très nombreux logiciels libres procèdent ainsi d’une économie qui fonctionne en intelligence avec l’écosystème du Net basé lui-même sur des protocoles ouverts.

Copyleft, ça veut dire quoi ? Tout simplement le droit d’étudier, de copier, de diffuser et de transformer librement la création. Avec une protection fondamentale, l’interdiction d’avoir une jouissance exclusive des objets créés, ce qui appartient à chacun appartient à tous. Nous redécouvrons là ce qui fait depuis toujours l’autorité d’un auteur et qu’on reconnaît à ses oeuvres : la capacité à augmenter le bien public.

Le projet de loi DADVSI, parce qu’il ne reconnaît pas à la création de capacités à augmenter le bien public, est aussi vain que dangereux. Ne comprenant pas le principe de réalité du Net, de ses objets et de ses pratiquants (la copie, la diffusion et la transformation des données), le projet de loi tente de s’imposer par l’entrave (les mesures techniques de protection). Mais il y a malentendu. Entraver la création, ce n’est pas la comprendre, c’est la court-circuiter. Alors qu’une simple observation suffirait à saisir pourquoi et comment ce sont des milliards d’auteurs qui, par leur présence active, font acte de création et fabriquent une culture vivante et riche d’avenir.

La création artistique ne vaut rien, rien ne vaut la création artistique. Sauf la vie, qui elle aussi n’a pas de prix. C’est à partir de ce constat économique qu’une économie en intelligence avec l’art et la vie peut exister. Ce qui se fait avec plus ou moins de bonheur, mais où il est toujours nécessaire de rappeler deux points essentiels :

- L’art comme la vie ne sont pas gratuits, ce n’est jamais l’arbitraire de la gratuité qui détermine.

- L’art et la vie sont inestimables, ils procèdent de la grâce du don.

Antoine Moreau, "La création artistique ne vaut rien", 14/03/06

Copyleft : ce texte est libre, vous pouvez le copier, le redistribuer et le modifier selon les termes de la licence Art libre.

Vous trouverez un exemplaire de cette licence sur le site Copyleft Attitude artlibre.org ainsi que sur d’autres sites.


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3 réactions à cet article    


  • Sylvio (---.---.153.91) 15 mars 2006 20:32

    Merci Antoine Moreau pour cet éclairage artistique. Il m’intéresse beaucoup car je suis plutôt spécialiste des technologies Internet et je m’intéresse beaucoup à titre personnel et professionnel (car je suis dans une agence de communication où l’on a des graphistes créatifs) aux liens entre l’art et la technologie .

    Le logiciel comme l’art évolue vers une forme de création et d’exploitation collective des oeuvres rendue possible par les technologies (essentiellement Internet). Ca rejoint un peu le mouvement Web 2.0 qui dans sa définition sociologique est tourné vers l’évolution communautaire du Web. Fini l’ère industrielle, la société de l’information n’en est qu’à ses débuts.

    Aujourd’hui :
    - Un logiciel libre est développé par une communauté, c’est un vrai modèle social et un vrai modèle économique qui est bien établit (je suis développeur web, les logiciels libres ont clairement pris le dessus sur les logiciels propriétaire, cela permet une meilleure évolution des outils Internet et de meilleur profit).
    - Agoravox et les blogs apportent une approche communautaire, libre et gratuite de la création d’information qui tendent à s’auto-organisé.
    - Wikipédia et les wikis apportent une approche identique pour le partage de connaissance.

    Bref, beaucoup ont su profiter de cette évolution communautaire (ne serait-ce que les fondateurs d’Agoravox). La communauté en tire un bénéfice énorme. La civilisation avance à grand pas grâce à tout ce qui est partagé.

    Pour en revenir à la création Artistique... A-t-on un parallèle avec tout ça ? la création peut-elle tiré partit de ces modèles et de ses technologiquement, économiquement et socialement ? Ca me parait évident.

    La musique libre en est à ses débuts, face à ses élites qui se sont imposés et nous servent à longueur de journée la même soupe, elle ne peut que prendre sa place. Les artistes qui ont compris la démarche d’Internet, non comme une méchante technologie d’informaticien mais comme un moyen d’existence communautaire (création, communication, partage, etc.) seront ceux qui seront les plus aptes à créer, faire évoluer notre civilisation et être reconnu (et donc en récolté les fruits).

    La création ne doit pas être associé à un coût mais doit être un un moyen d’exprimer ses convictions artistiques, dans ce cas là, au monde entier de manière rapide. Un vrai artiste sera ainsi très vite reconnu et trouvera mille manières de récolter les fruits de ses oeuvres autrement qu’en les « vendant » comme de vulgaire fichier DRM.

    Vous parlez de Linux : 1er point, la lecture de musique DRM, telle que proposée, est impossible sous linux. Qui adoptera un système d’exploitation où l’on ne peut pas écouter de musique et voir de vidéo. 2e point, il ne semble tout à fait impossible de mettre en place une plateforme de diffusion en ligne d’oeuvre sous DRM tournant sous Linux. Linux composant plus de 60% des offres d’hébergement en ligne et étant le plus à même de se développer, c’est un non-sens et une injustice de réserver l’hébergement (et donc la création) de plateforme en ligne de diffusion d’oeuvre sous DRM.

    Linux est la base du logiciel libre. Ces DRM, injustement réservés à Windows sont donc un frein énorme pour le développement de Linux... et donc au développement du logiciel libre... et donc de la création « informatique » (que l’on peut considérer comme artistique, à vous de me le dire).

    Je suis donc tout à fait d’accord avec vous, ce projet de loi DAVDSI (et les DRM qui vont avec) est donc :
    - dangereux pour les libertés individuelles en général
    - dangereux pour la diffusion de la culture
    - dangereux pour la création artistique
    - dangereux pour l’évolution sociaux-économique de la société.
    - etc.


    • Sylvio (---.---.153.91) 15 mars 2006 21:28

      Je ne commente plus vos commentaires qui m’insupportent (car je n’aime pas votre façon de vous exprimer et de débattre - sinon je n’ai rien contre vous). De plus, nos commentaires respectifs n’apportent rien à la discussion.

      Ne commentez plus mes commentaires, surtout quand ce sont encore et encore des attaques personnelles.

      Et le monde ira mieux ainsi.

      J’aimerai débattre serainement avec l’auteur de cet article et non me lancé dans une foire d’empoignes et donc pollués cet espace de discussion. D’autant plus que nous sommes tous les deux très attaché à l’art (peut-être pas de la même façon).

      Merci beaucoup beaucoup,

      Bien « cordialement » très cher Demian West,

      Sylvio


    • ola (---.---.245.81) 15 mars 2006 23:50

      Je suis en tous points d’accord avec ces arguments et cette vision, seulement l’(A)auteur pose la question : « Pourquoi ce manque criant de perception et de prise en compte ? » et n’y répond pas, ou seulement en creux. Cette absence est criante, déchirante, un vrai appel à la révolte. Merde, il dit la vérité. Qu’on le brûle !

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