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La débrouillardise en Afrique des Grands Lacs

La débrouillardise : Article 15 ou cailloux en République démocratique du Congo, « kilaka » au Rwanda et au Burundi, représente une source de revenus subsidiaires pour boucler les fins du mois difficiles, mais aussi un signe d’irresponsabilité sociale des Etats à l’égard de leur population.

Quand la notion de débrouillardise signifie ingéniosité ou soif de vivre dans différents pays occidentaux, ce n’est pas le cas dans les pays des Grands Lacs, à savoir en RD Congo, au Rwanda et au Burundi. La notion de débrouillardise fait toujours référence à l’absence de choix, aux carences d’autres éventualités, alternatives ou possibilités susceptibles de permettre à une population de mieux vivre.

La débrouillardise, appelée communément "Article 15" ou "cailloux" en RD Congo, "kilaka" au Burundi et au Rwanda, rappelle à la population que l’Etat ne peut tout faire pour assurer sa survie ; il lui revient aussi de penser et de voir comment vivre autrement.

Si en RD Congo, la notion d’Article 15 ou de cailloux n’est plus d’actualité, puisqu’elle date des années 1980, où les employés de la fonction publique (Etat) ne parvenaient pas à vivre avec un salaire moyen de 10 000 zaires, soit 2 US dollars de l’époque de Mobutu, et étaient obligés de recourir au cumul des fonctions pour nouer les deux bouts du mois, le kilaka, ou débrouillardise au Rwanda et au Burundi, date des années d’après guerres, en 1994 pour le Rwanda et 1993 pour le Burundi.

Dans ces deux derniers pays, le salaire moyen du fonctionnaire de l’Etat était de 20 000 fbu, soit plus ou moins 40 US dollars. Si ce montant, en devises, représente une somme dérisoire, il est suffisant pour un fonctionnaire de l’Etat dans ces deux pays.

Cette somme permettait de nourrir sa famille, de payer les frais locatifs, médicaux, et scolaires pour les enfants. En d’autres termes, ce salaire constituait un minimum vital pour un fonctionnaire moyen des Etats rwandais et burundais.

Cependant la situation des guerres, dans ces deux pays, a non seulement endommagé toutes les infrastructures vitales pour la survie de l’Etat, notamment les routes de dessertes agricoles, les hôpitaux et centres de santé, mais a aussi entraîné la suppression des aides étrangères, ce qui a un impact négatif sur le niveau de vie des populations.

Pour satisfaire leurs besoins vitaux, les fonctionnaires devaient cumuler des fonctions.

Il n’était pas rare de voir un médecin du gouvernement travailler aussi dans les centres de santé privés, jusqu’à des heures tardives de la nuit, pour rentrer à la maison vers minuit.

Un fonctionnaire de l’Etat pouvait aussi devenir précepteur pour enfants d’hommes riches du pays.

Des professeurs d’université devenaient aussi des employés à temps partiel des sociétés privées afin de parvenir à boucler des fins de mois difficiles.

On a vu encore des enseignants devenir contremaîtres ou maçons dans des entreprises de construction. Comme chaque situation donnée peut parfois pousser certaines personnes à la dérive, les secrétaires de direction ou les femmes au foyer ne dédaignaient pas de devenir prostituées occasionnelles d’un soir, pour vendre leurs charmes dans des boîtes.

Le cumul des fonctions devenait une nécessité pour un grand nombre de personnes, dans ces pays. Un fonctionnaire qui touche 40 000 Fbu mensuellement, soit 40 US dollars, ou 20 000 F rwandais comme salaire de base, en y ajoutant le revenu des autres travaux effectués par-ci par-là, pouvait gagner une somme approximative de 300 000 Fbu, susceptible de payer le logement, la nourriture, les soins médicaux, les frais scolaires. Ce phénomène de débrouillardise est devenu un fait social pour la population de ces trois pays ; une sorte de contrainte sociale, une nécessité absolue pour vivre, ou du moins survivre, puisque non seulement ça fatigue, mais aussi ça réduit énormément le rendement au travail, et cautionne le manque de responsabilité des Etats vis-à-vis de leurs citoyens.

Cependant, en cette période où les aides internationales deviennent de plus en plus rares et soumises à de fortes conditions, ou encore restent simplement au niveau de promesses, les Etats de ces trois pays trouvent des arguments pour faire comprendre, à leurs concitoyens, l’absence d’alternative.

Les conséquences sociales causées par les guerres dans ces pays ne constituent-elles pas aussi une raison pour que les Etats assument leurs responsabilités sociales ?

Si la débrouillardise, ou cumul des fonctions, concernait seulement les travailleurs actifs... Maintenant, elle engendre des dérives : certains actes malveillants sont aussi assimilés à la débrouillardise. Certains actes de vol, de détournement des deniers publics ne sont-ils pas assimilés à la débrouillardise ?

Il n’est pas rare de voir un fonctionnaire de l’Etat être félicité par ses proches et parents pour avoir détourné des biens publics à des fins personnelles.

En RD Congo, les enrichissements illicites sont parfois assimilés à la débrouillardise ; au Burundi et au Rwanda aussi, les personnes ayant fait fortune parce qu’elles occupaient un poste quelconque au sein de l’’Etat sont considérées comme de vrais débrouillards et félicités par leurs familles respectives.

Si les responsables de ces Etats imaginent que la liberté d’entreprendre, disons la débrouillardise ou Article 15, peut les exempter de leur responsabilité sociale, ils ont oublié que ce phénomène les a aussi appauvris et qu’il a réduit leur marge de manœuvre pour définir et accomplir certains projets sociaux.

Si la débrouillardise signifie ingéniosité, soif de vivre, dans les pays occidentaux, en Afrique des Grands Lacs, cette notion dénote le manque de responsabilité, qui fut et reste encore source de la corruption, du détournement de fonds publics.

Et ces différents maux ont été et resteront les causes principales de la perpétuation des crises économiques incessantes qui engendrent des conflits interminables en Afrique des Grands Lacs.

N.B :


1. Article 15 : c’est un article hors contexte ou article inexistant, c’est-à-dire que si un texte comprend seulement dix articles, le onzième article est appelé article 15.

2. Kilaka : c’est un tissu qui vient boucher un trou sur un habit.


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2 réactions à cet article    


  • JH (---.---.2.246) 24 août 2006 11:55

    J’ai trouvé cet article très intéressant. On se rend compte que le changement des mentalités et la mise à flots d’une économie « occidentalisée » va prendre encore beaucoup de temps. Ces élections en RDC ne sont elles pas prématurées ? Comment aider efficacement ces pays à sortir la tête de l’eau et inverser cette spirale ?


    • Mzungu (---.---.97.125) 24 août 2006 16:31

      les fonctionnaires ne sont pas les plus mal lotis, que dire de la débrouillardise de ceux qui n’ont pas de salaire ... et l’impact négatif de la corruption n’est pas assez mis en évidence ...

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