La furtivité passive expliquée
Le 4 mai 1978, un appareil de la base secrète de Nellis s'écrasait dans le Nevada. Le pilote transporté à l'hôpital de Los Angeles déclarait être un employé de l'avionneur Lockheed. Dans les faits il pilotait au moment du crash, un prototype d'avion furtif. Les revues Flight International, Aviation Week et Armed Forces Journal allaient être à l'origine des révélations des projets les plus secrets, tant et si bien que le secrétaire à la Défense rendait publique le 22 août 1978 l'existence de la technologie furtive qui appartenait jusqu'à lors aux programmes « noirs ». Le coût de tous ces programmes hautement confidentiels était de loin bien supérieur à celui du programme Initiative Défense Stratégique (IDS), plus connu sous le nom la guerre des étoiles. Les membres du congrès n'avaient pas connaissance de ces projets et disposaient encore moins de la possibilité d'en vérifier les budgets, budgets qui étaient dissimulés dans d'autres budgets appartenant à d'autres administrations. La compartimentation de ces projets était poussée à l'extrême, il était même recommandé aux sous-traitants de falsifier leurs archives et leur comptabilité afin de dissimuler leur participation à ces programmes !

Depuis que l'avion espions U-2 piloté par Gary Powers avait été abattu par un missile SA2 soviétique le 4 avril 1960 alors qu'il volait à 70,000 pieds, les Américains avaient commencé à repenser les concepts d'invisibilité et d'indétectabilité de leurs appareils. Il n'était plus question de se contenter d'une altitude de vol élevée et d'une couleur noir mat pour les avions volant à très haute altitude, ni pour les avions de reconnaissance d'un gris foncé et moyen pour l'extrados (dessus de l'avion) et d'un gris clair pour l'intrados (dessous) permettant à l'appareil de mieux se confondre avec la lumière du ciel. La couleur ne saurait suffire à dissimuler l'appareil : le gel de l'eau contenu dans le carburant vaporisée à l'échappement est la cause d'une traînée de condensation - l'avion rayonne de la chaleur - émet des ondes électromagnétiques et acoustiques - et renvoie l'énergie électromagnétique reçue des radars ou télémètres adverses.
Les lignes géométriques si particulières sont destinées à annuler les ondes radar éclairant l'appareil en les redirigeant, en les emprisonnant, ou en les absorbant. Le facettage si caractéristique des appareils repose sur les lois de l'optique géométrique ; les fréquences ou longueurs d'ondes mises en œuvre dans les radars s'apparentent à un faisceau « lumineux » subissant les phénomènes de la diffraction ou ceux de la réflexion propres aux matériaux rencontrés, à leur forme et aire. Et celles de l'optique physique qui considère que la lumière reste une onde électromagnétique pouvant être affectée par des interférences et la diffraction. Ces travaux hautement secrets ne commencèrent à filtrer que vers 1982, quand un participant au projet de l'US-Navy, Allen Fuchs commença à faire des conférences sur ce qu'il ait maintenant convenu d'appeler la Surface Équivalente Radar. La SER équivaut à la surface d'une demie sphère métallique utilisée comme indicateur de la furtivité d'un aéronef. Elle est égale à une surface qui réfléchirait la même quantité d'énergie et qui correspondrait à la surface en mètre carré d'un disque de ce même diamètre. (La SER théorique (σ) est égale à : 4 π. l2 . h2 / λ2 (valeurs en mètre) ; une surface d'un mètre donnera une valeur de 139.62 pour une longueur d'onde de 0,30m (fréquence de 1 GHz) et de 13.962 à 10 GHz. La formule pour une sphère est égale à : σ = π.r2 et celle d'un tétraèdre : σ = 4 π. l4 . 3 λ2. .
L'onde qui atteint la cellule de l'avion y induit un courant de Foucault qui va se réfléchir dans diverses directions. Vu la complexité des formes de la cellule, il en résulte de nombreuses interactions entre le rayon incident (reçu), réfléchi et dispersé, d'autant qu'il ne s'agit pas exclusivement de surfaces planes mais aussi courbes. Lorsque l'onde rencontre un relief, celui-ci devient le siège de diffractions (comme pour la lumière sur une goutte d'eau dans l'atmosphère, se répand dans de nombreuses directions), tandis que le fuselage atteint par une onde voit celle-ci se déplacer sur sa surface (effet de peau) et épouser la courbure de la forme. Ce phénomène est d'autant plus présent que le diamètre est inférieur à 10 fois la longueur d'onde radar. L'onde se réfléchit, mais dès qu'elle rencontre une « rupture » électrique ou qu'elle atteint l'extrémité de la surface, elle emprunte le chemin en sens inverse et finit par rayonner en direction de la source émettrice, c'est à dire vers le radar adverse ! Si ce retour d'ondes « rampantes » qui se déplace à la surface de la cellule de l'appareil est en phase avec le signal émis, l'écho en retour s'en trouvera renforcé. Pour réduire les ruptures liées aux concavités et convexités présentées par la surface, les aspérités et les joints sont recouverts avec une peinture d'oxyde ferrique afin de réduire le retour lié à l'« effet de peau » afin d'obtenir une surface radarique lisse.
On peut réduire la SER d'un aéronef par le choix de formes visant à contrecarrer les réflexions principales et résiduelles, mais la verrière de l'habitacle reste transparente aux micro-ondes et retourne un signal caractéristique du type d'avion. Les constructeurs renforcent la furtivité de l'appareil en recouvrant la verrière d'une pellicule d'or fin pour former un obstacle à l'onde radar. Autre problème soulevé, l'antenne radar enfermée dans un radôme permettant le passage de l'onde émise, reste lui aussi perméable aux radars adverses. Pire ! l'antenne parabolique du radar cible peut concentrer l'énergie reçue et réfléchir un signal renforcé vers les radars adverses. Un simple grillage métallique peut déjà servir d'écran rudimentaire. Il suffit que les mailles du grillage correspondent à la demi-longueur d'onde pour former autant de dipôles. La dimension de mailles parfaitement adaptées permettra au faisceau radar de le franchir, mais s'opposera aux radars adverses travaillant sur une fréquence différente.
Dans le domaine des micro-ondes rien n'est jamais absolu, il suffit d'une légère différence d'angle de l'onde radar sous lequel l'aéronef est « éclairé » pour entraîner d'importantes modifications. La SER réelle et la SER constatée dépendent non seulement de la taille, de la géométrie de l'appareil, mais aussi de l'angle d'« observation ». L'éclairement de la cible résulte des ondes qui s'y réfléchissent, mais dépend aussi de l'angle du faisceau radar par rapport à sa cible (directivité). L'avion est souvent illuminé par une source terrestre au sol, du bas vers le haut (sauf dans le cas de surveillance d'un AWACS ou d'un satellite), et cet écart peut atteindre un rapport de 1 à 1 million ! La distance de détection n'est pas proportionnelle à la SER, elle varie comme la puissance quatre de celle-ci. Si on réduit la surface équivalente radar de 50 %, la distance ne sera réduite que de 16 % (24 16). Ce qui signifie que si un adversaire parvient à réduire la SER d' un facteur 100, la portée d'acquisition du radar ne sera réduite que de 10. A titre indicatif, le Rafale « D » qui n'est pas un avion furtif, présente une SER de 2 m², tandis que le F117 présente lui une SER de 0,03 m² et le B-2 une SER de 0,0014 m². Les lecteurs auront remarqué que la fréquence radar ayant servi à déterminer la valeur de la SER est rarement mentionnée..., il s'agit d'une longueur d'onde optimisée (bande centimétrique)...
Le radar renseigne sur : la distance du spot - l'azimut et le gisement - la vitesse (effet Doppler). Le train d'impulsions radar atteignant une surface plane conductrice vient s'y réfléchir avant de se disperser en partie. Si l'onde atteint un élément dont la taille est voisine de la longueur d'onde de l'onde radar (onde centimétrique), cette partie va entrer en résonance et se comporter comme une antenne accordée, et va rayonner une onde incidente maximum (La puissance reçue en retour est égale G2..λ2..σ / (4π) .D4 . Pe (Puissance émise), G le gain de l'antenne, D la distance. Plus La cible radar est de taille réduite, plus la longueur d'onde doit-elle aussi être courte, le compromis généralement adopté repose sur une fréquence 1 à 10 fois la taille de l'appareil. Un chasseur d'une quinzaine de mètres nécessitera une onde radar optimale d’une quinzaine de mètres, soit une fréquence située entre 20 et 200 MHz, pour un missile qui lui mesure environ une demi-douzaine de mètres, la longueur d'onde sera de 0.6m (500 MHz).
Autre obstacle à vaincre, la signature thermique (radar ou infrarouge) capable de diriger les missiles sur leur cible. On chercha à refroidir les gaz s'échappant par les tuyères en admettant un courant d'air froid en périphérie de la tuyère et en apportant des modifications dans leurs formes, et à l'isolation interne du tunnel de la tuyère afin d'en contenir les radiations calorifiques dégagées. Comme le frottement de la cellule dans l'atmosphère est la cause d'un réchauffement de celle-ci, les ingénieurs proposèrent pour permettre à l’appareil d’échapper aux missiles sol-air, d'évacuer les calories excédentaires des surfaces en contact avec l'atmosphère extérieure sur l'extrados et de réfrigérer (Fréon) l'intrados et les avions espions conservèrent une vitesse subsonique (inférieure à la vitesse du son 330 m/s au niveau de la mer). Seul le vol à très haute altitude, là où l'air a quasiment disparu, restait la meilleure solution.
Les matériaux composites capables d'absorber une partie des ondes radar (Radar Absorbable Material) représentent le nec plus ultra. Le matériau composite reste un mauvais conducteur capable de s'opposer aux courants induits (effets de peau) et aux courants magnétiques à l'origine des ondes rapides et progressives rayonnantes. On en distingue deux catégories, selon qu'il s'agit d'un matériau destiné à absorber une plage de fréquence plus ou moins grande, ou selon sa capacité à se comporter indifféremment à toutes les fréquences. Le plus ancien est l'écran Salisbury qui équipait dès 1950 les avions espions U-2. L'écran travaille en résonance, une première plaque réfléchit une partie de l'onde incidente, tandis que la partie résiduelle traverse cette première couche jusqu'à rencontrer sur son passage un écran qui va la réfléchir à son tour, mais en opposition de phase. L'épaisseur totale du sandwich correspondant au quart de la longueur d'onde, la première réflexion est égale à la demi-longueur d'onde (aller-retour) et l'onde présente un déphasage. L'espace résiduel du sandwich est comblé d'une mousse de polyuréthanne alvéolée composée d'un diélectrique dont la particularité est de laisser passer les courants alternatifs tout en s'opposant aux courants continus (principe diélectrique du condensateur).
La protection magnétique est assurée par un oxyde ferrique proche de celui que l'on trouve sur les bandes magnétiques, noyé dans des feuilles de caoutchouc souple pour épouser le relief et les découpes des structures des appareils ou sous forme de résine. Le fabriquant TDK ayant acquis les brevets déposés par l'université de Tokyo en 1932, a réussi à fabriquer une matrice capable d'absorber une bande étroite de fréquence (sélectivité). Comme il s'agissait de protéger la structure contre un spectre de fréquence large, il superposait plusieurs couches, chacune capable d'absorber une plage de fréquence déterminée. La première couche absorbait plus énergiquement l'onde que la deuxième couche, qui elle-même absorbait plus énergiquement l'énergie que la troisième couche et ainsi de suite comme le ferait une succession de tamis de plus en plus fins. Le matériau pouvait être composé de 6 couches différentes et former un sandwich au sein duquel le signal s’amenuisait.
En 1968, Renald Rosensweig parvint à introduire des particules magnétiques nanométriques (10.^-9) en suspension dans un liquide, l'apparition de peintures antiradar allait s’en suivre. Pour ce qui est des matériaux composites, ils tirent leurs propriétés d'invisibilité aux radars par leurs structures. Une céramique, un polymère ou un métal est un ensemble de grains de matériaux formant un agrégat entre lesquels existent des vides jointoyés. Si le grain passe à une taille proche ou identique à celle des joints, les propriétés du matériau s'en trouvent modifiées. La particularité des fibres de bore repose sur la possibilité à en faire varier leur conductivité par un courant dit de commande (la tension ou l'intensité sert de rhéostat). La première application est son utilisation pour un radôme qui pourra être « transparent » à l'onde émise et à celle en retour à un certain moment, et rendu opaque en dehors de cette « fenêtre ».
En parallèle de la furtivité radar, ce développent la furtivité aux infrarouges (SIR) et la furtivité à la Surface Équivalente Laser (SEL), et la recherche fondamentale portant sur les méta-matériaux laisse entrevoir la possibilité : d'inverser l'effet Doppler donnant ainsi l'impression que l'appareil s'éloigne alors qu'il se rapproche - l'amélioration de la surface équivalente laser (acquisition télémétrique) - l'utilisation d'écrans à plasma pour dissimuler les satellites !
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