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La grève générale de 1926 en Angleterre

Nous avons vu qu’en mai 1927, l’opposition de gauche se ressoude autour de Trotsky avec une déclaration, envoyée au Comité Central du PCUS, après qu’elle ait été signée par 83 militants, qui étaient presque tous d’anciens bolcheviks d’octobre 1917 (Voir « Le Combat de L’Opposition de Gauche en Russie »). Ce texte avait recueilli ensuite environ 3 000 autres signatures. Il était essentiellement question des fautes commises par Staline en politique extérieure lesquelles avaient contribué à la défaite de la deuxième révolution chinoise. La contestation portait aussi sur la politique de l’internationale lors de la grève générale en Angleterre le 4 mai 1926.

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Voyons d’abord les faits. Comment cette grève s’est déroulée ?

En Angleterre, comme dans toute l’Europe, le mouvement révolutionnaire déferle à la fin de la seconde guerre mondiale. Le regard des travailleurs se porte sur la Russie où la révolution vient de triompher. Une série de grèves accompagnent le retour à la paix, marquée par une forte hausse du chômage et de l'inflation.

Le 21 septembre 1925, Winston Churchill, Chancelier de l'Échiquier (ministre des finances), impose le retour de la livre sterling à sa parité d'avant-guerre. Le prix des exportations britanniques explose et met en péril l'industrie nationale. Le secteur charbonnier est le premier touché. Cette mesure se cumule à d’autres difficultés, avec notamment la concurrence du charbon importé à bas coût notamment depuis l’Allemagne dans le cadre des réparations de guerre.

Cependant, les propriétaires des mines voulaient maintenir leurs profits. Ils voulaient donc à la fois réduire les salaires et allonger la durée de travail. La Fédération des Mineurs de Grande-Bretagne a rejeté leur demande : « Pas un sou sur le salaire, pas une minute par jour ». Le TUC (Trades Union Congress - Conseil Général du Congrès des syndicats), qui représentait l'ensemble des syndicats de salariés, tous secteurs confondus, a promis de soutenir les mineurs.

Dans un premier temps, le gouvernement du premier ministre Stanley Baldwin, a décidé d'intervenir en déclarant qu'une subvention serait accordée pour maintenir le salaire des mineurs et qu'une commission royale, sous la présidence de Sir Herbert Samuel, se pencherait sur les problèmes de l'industrie minière et de leurs impacts sur d'autres secteurs.

Après le rapport de cette Commission Samuel, les propriétaires des mines ont maintenu leurs positions : allongement de la journée de travail et réduction des salaires. La Fédération des Mineurs de Grande-Bretagne s’y est opposée. Le mécontentement était tel que le TUC a été contraint de se prononcer « pour la défense des salaires et des horaires des mineurs ». Il a finalement appelé à la grève générale à partir du 3 mai.

La grève générale a duré neuf jours, du 4 au 12 mai 1926.

La grève s'étend bientôt aux journaux. Les imprimeurs du Daily Mail refusent d'imprimer un éditorial qui condamne la grève générale en écrivant notamment : "Une grève générale n'est pas un conflit du travail. C'est un mouvement révolutionnaire qui ne peut réussir qu'en détruisant le gouvernement et en subvertissant les droits et libertés du peuple".

En effet une grève générale c’est « Le rassemblement au grand jour des exploités contre les exploiteurs : le début classique de toutes les révolutions ». Toutes les forces de la réaction en sont conscientes, autant la bourgeoisie elle-même que les appareils traitres du mouvement ouvrier. Les dirigeants du parti travailliste comme tous ceux de la IIème internationale se sont mis clairement au service de leur bourgeoisie pendant toute la guerre 1914-1918. Le parti communiste est faible. Il est sous le contrôle de Staline mais l’opposition de gauche tente encore de lui donner une orientation révolutionnaire.

En réponse à la grève des imprimeurs, Churchill fait publier par le gouvernement un autre journal, le British Gazette.

Le TUC a été contraint d’appeler à la grève générale et il veut maintenant la limiter à quelques secteurs : les cheminots, les travailleurs des transports, les imprimeurs, les dockers, les ferronniers et les métallurgistes.

Le gouvernement fait tout pour éviter que la grève générale bloque le pays. Les forces armées et les « volontaires » (des bandes de « jaunes ») ont aidé à maintenir les services de base. Le gouvernement a mis en place une « milice » de gendarmes spéciaux appelée Organisation pour l'entretien des approvisionnements (OMS) afin de maintenir la plupart des services publics en fonction. Mais en dépit de la grande mobilisation de la police et de l’utilisation de véhicules blindés de l’armée, les piquets de grève ont tenu bon.

Le 4 mai 1926, le nombre de grévistes était d'environ 1,5 à 1,75 million. La mobilisation, suite à l'appel à la grève, a été immédiate. Elle a surpris à la fois le gouvernement et le TUC qui ne pouvait plus contrôler la grève. Des secteurs que le TUC n’avait pas appelés à la grève se sont joints au mouvement. Le lendemain environ 2,5 millions de travailleurs étaient en grève.

Tous les moyens de la propagande ont été utilisés par le gouvernement pour faire obstacle à cette mobilisation. Ainsi le journal de Churchill, la « British Gazette  », a annoncé le 6 mai que 200 bus étaient dans les rues alors qu’en réalité il n’y en avait que 86. Le « British Worker » ne pouvait plus guère répondre car Churchill avait réquisitionné la majeure partie de l'approvisionnement en papier journal. Il dut réduire sa taille à quatre pages.

Cependant les grévistes s’organisaient. Ils se servirent des « trade councils », des structures syndicales locales, comparables aux Bourses du travail, pour mettre en place des comités d’action. Ceux-ci organisèrent la grève au niveau local, prenant souvent en charge des tâches comme le ravitaillement, les transports et l’autodéfense contre la police. Ces organes démocratiques de la grève commençaient à disputer la direction de la grève aux dirigeants du TUC.

Le Parti communiste, aurait pu être la force vive dans la construction de cette direction alternative. Sa force relative venait de l’autorité que la Révolution d’Octobre conférait à l’internationale. Nous avons vu que les bolchéviks espéraient que la révolution d’octobre ne resterait pas isolée. C’était toujours la position de l’opposition de gauche.

Quand Staline a mis en place en Russie un comité anglo-russe pour exprimer la solidarité des travailleurs russes avec leurs homologues anglais celui-ci a été assurément bien accueilli. Trotsky écrit : « L'aide financière accordée par les ouvriers russes aux mineurs anglais fut merveilleuse ». Mais Staline utilise en fait cette solidarité des travailleurs russes pour appuyer le TUC dans sa volonté de démobiliser les grévistes. Il n’essaie nullement d’appuyer le parti communiste anglais qui se trouve ainsi poussé vers la trahison. Dans « l’Internationale Communiste après Lénine » Trotsky écrit :

« Toute la politique du Comité anglo-russe, en raison de son orientation fausse, servit, du début jusqu'à la fin, à aider le Conseil général, à soutenir le Conseil général, à renforcer le Conseil général. Même le fait que pendant très longtemps l'esprit de sacrifice des ouvriers russes ait permis à la grève de tenir financièrement, servit non pas les mineurs, ni le Parti communiste anglais, mais toujours ce même Conseil général. A la suite du plus grand mouvement révolutionnaire que l'Angleterre ait connu depuis le Chartisme, le Parti communiste anglais s'est à peine accru, tandis que le Conseil général est plus solidement établi qu'avant la grève générale. »

Le 13 mai, le TUC déclara qu’il avait « obtenu l’assurance qu’une solution du problème des mines allait intervenir ». Ce n’était qu’un mensonge. Le lock-out des mineurs continua et la classe capitaliste poursuivit l’offensive contre chaque secteur de la classe ouvrière, l’un après l’autre. Le Conseil général du TUC a accepté de ne plus reconduire le mot d’ordre de grève. Diverses grèves se sont poursuivies par la suite alors que leurs syndicats négociaient des accords avec les entreprises pour que leurs membres retournent au travail.

La grève générale, trahie et vendue par le Conseil Général du TUC, a subi la défaite. Le Conseil général joua en Angleterre le même rôle que le Kuomintang en Chine. Il fut, dans un premier temps, contraint de donner l’ordre de grève générale, après avoir tout fait pour l’éviter. Il le rapporta au bout de huit jours laissant les mineurs isolés poursuivre seuls leur grève qui finit par échouer.

Staline apporta sa contribution à cette trahison. Il a demandé aux communistes de courtiser la « gauche » de la direction du TUC, faisant croire aux militants du PC que ces leaders « de gauche » pourraient conduire le Conseil général sur un chemin plus radical.

La déclaration de mai 1927 de l’opposition de gauche dénonce cette politique se Staline :

« La grève générale de l'an passé en Angleterre, trahie et vendue par le Conseil général, a subi la défaite. La grève s'est terminée par la défaite des mineurs. Malgré une grandiose évolution des masses à gauche touchant quelques millions d'ouvriers, bien que jamais encore la traîtrise, la fausseté du réformisme n'ait été mise aussi en lumière que pendant les grandes grèves anglaises, l'aile révolutionnaire organisée du mouvement ouvrier anglais a gagné très peu en influence. La cause principale de cet état de choses provient de notre double attitude et du fait que la direction de notre côté était pleine de contradictions et d'indécision. L'aide financière accordée par les ouvriers russes aux mineurs anglais fut merveilleuse. Mais la tactique du CC dans la question du Comité anglo-russe a été complètement fausse. Nous avons soutenu l'autorité des traîtres du Conseil général dans la période la plus critique pour ceux-ci pendant les semaines et les mois de la grève générale et de la grève des mineurs. Nous les avons aidés à se maintenir sur leurs jambes. »

La déclaration émet ensuite des critiques toute la politique de L’Internationale Communiste en soulignant que c’est la même politique qui a amené les échecs en Chine et en Angleterre. Si cette politique est maintenue elle amènera inévitablement d’autres échecs notamment en Allemagne.

« Entre la fausse ligne suivie en Chine et la fausse ligne suivie dans la question du Comité anglo-russe, il y a la liaison intérieure la plus étroite. La même ligne passe à travers la politique de l'Internationale Communiste. En Allemagne, on exclut des centaines et des centaines de prolétaires de gauche, l'avant-garde, pour la simple raison qu'ils se sont solidarisés avec l'opposition russe. Les éléments de droite ont de plus en plus d'influence dans tous les partis. Des fautes de droite les plus grossières (en Allemagne, en Pologne, en France et ailleurs…) restent impunies ; n'importe quelle critique venant de gauche, mène à l'amputation. L'autorité du PC de l'URSS et de la Révolution d'Octobre est utilisée pour faire dévier les partis communistes à droite de la ligne léniniste. Tout ceci, pris en bloc, empêche l'IC de préparer et de mener, à la manière de Lénine, la lutte contre la guerre. »

Cette grève générale fut assurément le mouvement social de plus grande ampleur jamais vu auparavant en Angleterre. La défaite de la grève tout comme la défaite de la deuxième révolution chinoise est significative de l’emprise que Staline commence à avoir sur l’Internationale Communiste. Celle-ci n’est pas encore passée définitivement du côté de l’ordre bourgeois mais, Staline est déjà en mesure de faire passer sa politique contre-révolutionnaire par les Partis Communistes.


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7 réactions à cet article    


  • Clark Kent Schrek 25 janvier 2022 16:26

    « En Angleterre, comme dans toute l’Europe, le mouvement révolutionnaire déferle à la fin de la seconde guerre mondiale. Le regard des travailleurs se porte sur la Russie où la révolution vient de triompher. « 

    Nous, en 40, on avait une guerre de retard. Les Anglais, eux, en 1918, ils avaient une guerre d’avance !


    • Jean Dugenêt Jean Dugenêt 25 janvier 2022 19:36

      @Schrek
      Merci de me signaler cette erreur. Je suis désolé de ne pas être toujours au top.


    • Yann Esteveny 25 janvier 2022 16:36

      Message à tous,

      L’article est un peu trop court par rapport aux canons habituels des agents de propagande de la filière trotskysme. Sur le fond qui ne mérite pas plus de temps lecture que celle d’une publicité quelconque, vous retrouverez néanmoins le divertissement révolutionnaire sur le passé afin de faciliter la mise en place du plan par l’oligarchie au présent.


      • PascalDemoriane 25 janvier 2022 18:37

        @Jean D
        En contrepoint de cet épisode, il y aurait un atelier collectif intéressant à mener sur le thème de « La grêve générale aujourd’hui, rémanence d’un mythe lointain ou arme de dissuasion massive du prolétartiat toujours disponible ? ».
        Notons a ce sujet que le capital, lui, a toujours sont arme de dissuasion symétrique, celle de la menance de guerre civile, non moins mythique dont Eric Zemmour est le champion...


        • Jean Dugenêt Jean Dugenêt 25 janvier 2022 19:47

          @PascalDemoriane
          Bonjour et merci.
          Ce sont en effet de bons sujets de réflexion.
          Avec mon point de vue diachronique je voulais aussi montrer comment des partis politiques qui avaient une vocation révolutionnaire deviennent des obstacles à la révolution. Cependant, ils continuent à être chargés de vertus révolutionnaires par de grandes masses de travailleurs qui ne voient pas la nécessité de construire d’autres organisations pour se défendre. C’est ce qui est arrivé avec tous les Partis Communistes. En 1926 on voit s’opérer leur mutation.


        • xana 26 janvier 2022 18:13

          Vous qui êtes le dernier des Trotskystes, vous devriez écrire des livres d’histoire puisque l’histoire de cette période vous tient tant à coeur.

          Je sais que cela n’est pas facile, le métier d’historien requérant un minimum d’objectivité, bien difficile pour un militant quel que soit son parti.

          Cependant, vous savez beaucoup de choses sur cette époque, et les réunir dans un livre pour les générations futures ne serait peut-être pas une mauvaise idée.

          Juste une suggestion...


          • Jean Dugenêt Jean Dugenêt 26 janvier 2022 18:55

            @xana

            Bonjour,

            « Vous qui êtes le dernier des Trotskystes... »
            Vous vous trompez beaucoup. Savoir qui est trotskyste est certes discutable mais, pour ma part, j’ai expliqué qu’il y a trois organisations internationales qui sont trotskystes. Il y a donc assurément des milliers de trotskystes.

            « vous devriez écrire des livres d’histoire puisque l’histoire... »
            J’ai écrit deux livres qui peuvent être considérés comme des livres d’histoire contemporaine : « De François Mitterrand à Jean-Luc Mélenchon » et « Macron démission Révolution ».
            J’écris actuellement un troisième livre intitulé « Défense du trotskysme III ». Le présent article sera l’un des chapitres.

            Finalement, je vous rejoins car si je parle d’évènements passés dans ce livre c’est pour expliquer le présent. La situation actuelle ne peut pas s’expliquer sans faire référence au passé. S’il y a partout dans le monde des partis socialistes, des partis communistes, des partis trotskystes c’est parce que des internationales révolutionnaires ont été construites à différentes étapes. Les IIème et IIIème internationales sont passées définitivement du côté de l’ordre bourgeois c’est-à-dire que maintenant elles trahissent les intérêts des travailleurs.

            Dans le présent article j’ai essayé d’expliquer que c’est précisément au moment de cette grève que se fait sentir pour la première fois le fait que Staline prend la direction des partis communistes et leur imprime une ligne politique contraire aux intérêts des travailleurs. Tous les autres articles « historiques » de mon livre se justifie par mon désir d’expliquer ce qui se passe actuellement.

            Merci de votre contribution.

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Jean Dugenêt

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