La justice en question : à propos de l’affaire Jack Sion
Quelle part reste-t-il au hasard, à l'imprévu et à l'imagination dans les relations sexuelles modernes ? A l'heure où Internet démultiplie les possibilités de rencontres, le rigorisme moral n'a jamais été, paradoxalement, aussi fort. C'est ce que démontre la récente affaire Jack Sion.
Il est des faits-divers qui en disent long sur les dérives mortifères de notre époque. Encore faut-il les regarder avec les lunettes de l'expérience critique, sans céder aux sirènes moralisatrices du moment. L'affaire Jack Sion est, je crois, de ceux-là. Ce retraité niçois, autrefois publicitaire, voulait continuer à rencontrer de jeunes femmes : qui pourrait, en toute franchise, lui reprocher d'avoir encore le goût de la vie et de la sexualité ? A l'ère d'Internet et des sites de rencontres en ligne, cela n'a jamais été aussi facile, quitte à travestir un peu la réalité. Aussi avait-il choisi, plutôt que de mettre sa photo de sexagénaire, d'étayer son annonce par la photo d'un modèle masculin de 37 ans – car on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre. Ce n'est pas honnête, j'en conviens, mais c'est vieux comme le monde et notre culture, à travers la littérature et le cinéma, s'en est largement faite l'écho. Prudent, le retraité demandait à ses conquêtes de ne le rencontrer que chez lui, de nuit et les yeux bandés : l'amour est aveugle, mais tout de même...
Cette exigence plutôt bizarre eût l'effet de dissuader les plus sensées. Mais elle n'a pas refroidi les ardeurs de quelques autres qui acceptèrent son protocole jusqu'au bout : entre adultes consentants, où est le mal ? Cependant, quelques-unes, en découvrant le pot aux roses, s'indignèrent, estimant qu'elles avaient été – j'emploie cette expression à dessein – trompées sur la marchandise. Pourtant, il ne s'agissait pas ici de rapports commerciaux ; aucune ne lui avait versé de l'argent comme une femme peut le faire avec un gigolo. C'était du sexe libre et sans violence, même s'il prenait une forme passablement compliquée. Et, déçues de ne pas avoir fait l'amour avec l'homme qui les faisait fantasmer, ces dames jouèrent la carte si facile de la victime et portèrent plainte pour viol.
Franchement je ne crois pas qu'un homme qui aurait été ainsi abusé par une femme âgée, aurait eu l'inélégance et la cruauté de porter plainte contre sa vieille maîtresse. Mais depuis Me too, les femmes ne supportent plus aucun écart à leur encontre, ont perdu tout sens de l'humour et, avec lui, toute indulgence.
Un premier procès à Aix-en-Provence, en 2018, débouta les plaignantes et aboutit à un classement sans suite de l'affaire : car il y a dans ce pays des juges qui savent encore juger avec lucidité. C'était sans compter avec les avocats des parties civiles qui demandèrent la cassation du premier procès au motif nébuleux de « viol par surprise » et l'obtinrent en 2019. A l'issue du nouveau procès, qui s'est tenu à Montpellier du 25 au 29 octobre derniers, le malheureux retraité a écopé d'une peine de 8 ans d'emprisonnement. Oui, vous avez bien lu : 8 ans de prison pour de simples jeux sexuels entre adultes consentants, infligés qui plus est à un homme maintenant âgé de 74 ans. C'est plus que des peines sanctionnant de vrais violeurs et bon nombre de délinquants hyper-violents.
Ce jugement, j'ose l'affirmer, est disproportionné au regard des faits reprochés : une amende et une peine avec sursis auraient été largement suffisantes. Il nous dit surtout que, désormais, il n'y a plus de place dans les rapports amoureux pour le hasard, l'imprévu, l'imagination, c'est à dire tout ce qui fait le sel de la vie et des rencontres. Pour satisfaire de pauvres débiles, tout doit être à présent normé, symétrique, transparent, voire contractualisé sur le modèle des relations commerciales. Triste monde qui réifie les êtres humains et les traite comme des produits périssables, frappés par une date de péremption. Voilà ce que le néo-féminisme et la haine des hommes qu'il prône de plus en plus ouvertement font à notre société. Et cette évolution est bien plus dangereuse que des canulars de vieux libertins.
Jacques LUCCHESI
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