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Accueil du site > Tribune Libre > La Libération (23) : la difficile conquête de la réaction

La Libération (23) : la difficile conquête de la réaction

Ah, le Messerschmitt 262, remis au goût du jour dans les années 80 par un groupe de hard-rock (Blue Oyster Cult) désireux d'utiliser le côté sombre lié à l'appareil nazi. Bel et bon appareil, mais qui tient plus de la légende qu'autre chose dans le conflit de la seconde guerre mondiale, où les derniers espoirs d'Hitler avaient reposé sur les armes nouvelles. En réalité, l'arrivée de la réaction à bord des avions de chasse fut un vrai calvaire pendant des années, pour les deux camps, allemand et anglais (les russes et les américains arrivant après). Les premiers moteurs ne développant pas assez de puissance, tous les avions de première génération se retrouvèrent sous-motorisés, même en mettant deux réacteurs à la place d'un seul. Peu fiables et consommant beaucoup, ces engins n'eurent pratiquement aucun rôle militaire durant cette guerre. En revanche, ils préparaient le terrain pour les suivantes, dont la Corée allait devenir leur théâtre favori.

Honneur au tout premier : il est allemand, et présent d'emblée un modèle de réacteur à compresseur dans l'axe que les alliés n'auront pas avant un bon bout de temps. C'est le Heinkel 178, imaginé par l'ingénieur Hans Joachim Pabst von Ohain qui fut le tout premier avion de ce type à voler le 27 août 1939, devançant deux ans le Gloster E.28/39, (ou Whittle, ou Pioneer) de l'anglais Frank Whittle. Dès 1937, Ohain avait fait tourner un réacteur fonctionnant à l'hydrogène capable d'une poussée de 250 kg, montée à 500 en 1939 dans sa version HeS 3, qui fonctionnait lui à l'essence. L'engin tournait à 13 000 tours/minute et pesait à lui seul 180 kilos. Le Heinkel était construit en grande partie en bois, recouvert de duralumin, alors qu'on l'a longtemps crû en acier. Lors de son premier vol, le réacteur fit tout de suite connaissance avec un nouveau problème lié à ce type de propulsion : il ingéra un oiseau ! Handicapé par un train récalcitrant, il ne fit pas vraiment merveille ; mais ce qui comptait était le principe : oui, un avion à réaction était possible. Le Heinkel 178 battra de fait l'italien Caproni-Campini C.C.2, au système beaucoup plus lourd et plus complexe (c'était un moteur classique enfermé dans l'ensemble de la tuyére qui faisait tourner la turbine). L'avion était bien trop lourd (3640 kg !) et se traînait littéralement, car sa turbine ne donnait que 700 kg de poussée. Mais il eût le mérite au moins de prouver que c'était possible à faire. Donné pour 800 km/, il parvint au maximum à 292 km/h !

C'est avec un autre moteur, le Jumo (modèle 04), qu'Ohain allait faire faire un bon de géant à l'industrie aéronautique, avec son "double", le BMW 003. Son compresseur axial permettait de faire des fuseaux-moteurs étroits, ce qui s'avéra fort pratique : les premiers réacteurs exerçant de faibles poussées, il valait mieux les monter par paire à bord des avions. Ainsi naquirent deux autres prototypes. Un chez Heinkel, et un autre chez Messerscchmitt. Le premier devient le modèle 280, au design assez voisin des ateliers de Willy Messerschmitt. Logique, car l'ingénieur de Heinkel qui s'en était occupé s'appelait Robert Lusser, et était un transfuge du groupe d'ingénieurs planchant déjà sur ce qui deviendrait le Me-262.  Contrairement à ce dernier, le He-280 fut à train tricycle dès ses débuts, alors que le ME-262, dans ses premières esquisses, avait une roulette de queue. Elle fut vite abandonnée, à constater les dégâts des gaz chauds des réacteurs sur le bitume des pistes ! Le moteur HeS 8a qui équipait le Heinkel aura raison de ce dernier : incapable de produire un moteur plus performant, Heinkel, qui avait 3 ans d'avance sur tous ses concurrents, avait déjà perdu la bataille de la réaction, qui allait s'avérer furieuse. Ce n'était pas faute d'avoir tout essayé  : ainsi, pour surveiller les moteurs de ces prototypes, Heinkel était allé jusqu'à installer des appareils photos juchés sur deux montants, au dessus de la queue. Ils prenaient en rafale les sorties de réacteurs, pour analyser les flux.

Le Me-262, le"Schwalbe", hérita donc du contrat de l'armée allemande. C'était aussi un avion très avancé, avec son aile en flèche et son cockpit moderne... à manche à balai sans poignée comme les Spitfire. Arrivé trop tard, il ne vola dans le conflit que de juillet 44 à avril 1945, mais surtout n'eut pas la possibilité de montrer ce pour quoi il avait été conçu : la chasse ou l'interception de bombardiers (ce que voulait faire le général Galland). Transformé en bombardier lui-même par le manque de vision stratégique effarant d'Hitler, l'avion "insaisissable" se fera régulièrement "descendre" lors de la phase de vol où il était le plus vulnérable, à savoir l'atterrissage, qu'il devait réaliser à grande vitesse pour l'époque, avec des réacteurs poussifs ou chauffant trop (l'as allemand Novotny mourra de cette manière le 8 novembre 1944). Son pilote, consacré sur la maîtrise délicate de ses réacteurs, n'avait pas le temps de surveiller les Tempest en maraude. L'avion était pourtant très performant : à un mois de la fin de la guerre, les pilotes du JV-44 de Galland vont en effet réussir à détruire 47 appareils anglais et américains, ce qui représente une véritable prouesse, car faute d'essence et étant donné le manque de fiabilité des moteurs, seuls six Me-262 pouvaient être en l'air en même temps dans le ciel allemand. L'avion était fait pour ça, et un prototype à cockpit surbaissé et meilleure aérodynamique des ailes fut même construit et testé pour en faire un tueur de B-29. L'avion, le Me-262 HG I ressemblait beaucoup aux avions que l'on trouvera quelques années après sur les bases du monde entier, comme le préfigurait aussi le projet HG III : les avions de "46" si chers aux modélistes démontrent l'énorme avancée allemande dans le domaine de l'avation. Le HG III est bien de la famille des Thunderflash (mono réacteur), par exemple. Lors de l'avancée des alliés, les Me-262 furent pour la plupart sabotés, on en retrouva des dizaines disséminés dans le pays, notamment vers Innsbrück où on les avait regroupés, le plus souvent dissimulés en forêt, au bord d'une autoroute qui leur servait de piste d'envol et d'atterrissage. Juste avant la fin du conflit, les japonais en avaient reçu par sous-marin, et avaient déjà commencé à les copier ; tel le Nakajima Kikka, en ayant reçu de la même manière des réacteurs BMW 003 dûment testés. Le premier vol du Kikka aura lieu le lendemain du bombardement d'Hiroshima et deux jours avant celui de Nagasaki, deux exemplaires seulement ayant été terminés (le Japon capitulant le 2 septembre 1945).

 

 

Chez Arado, même son de cloche, avec deux ingénieurs doués, Walter Blume et Hans Rebeski, qui ont planché dès 1940 sur un appareil de reconnaissance qu'ils désignaient comme l'E.370. L’E.370, un bimoteur à réaction à aile haute sur base de Jumo 004. Cherchant avant tout la vitesse, ils imaginèrent un avion à fuselage étroit, au point de ne laisser de place pour des roues : leur premier prototype décollait à l'aide d'un chariot, et se posait sur un patin ventral escamotable, une manœuvre connue comme dangereuse. Trois coups de crayons plus loin et l'appareil se voit doté d'un train rentrant à basse pression, pour décoller... dans l'herbe. Pour l'aider à le faire, on eut l'idée d'ajouter sous les ailes des boosters d’appoint Walter, munis d'un parachute et donc récupérables. Tout va aller très vite : le 30 juillet 1943 décolle le premier exemplaire (à chariot) et en avril 1944 un biréacteur à deux moteurs BMW003 est déjà en vol, alors que l'on affine un modèle... quadriréacteur, qui vole dès le 4 février 1944. L'Arado 234, dont on étudie un modèle pressurisé pour haute altitude, s'avère un des plus réussis de toute la lignée allemande. L'engin était très avancé, dans le cockpit à grande visibilité (ici en prototype) son manche à balai pouvant basculer sur le côté pour laisser place à l'écran plat de bombardement. Pour la sécurité du pilote, on avait prévu un siège éjectable, l'un des tous premiers (il ne fut pas hélas installé sur les appareils de série !). L'appareil, en très bonne plateforme de vol, est bon à tout faire, il se décline en avion de reconnaissance, de bombardement ou d'avion de chasse de nuit, équipé d'antennes radars. Les derniers modèles seront équipés de moteurs plus puissants, des Heinkel-Hirth HeS 011A de 1300kg de poussée. Un projet en cours de modèle d'Arado V-16 présentait une aile nommée Versuchsflügel II au dessin innovant, en forme de croissant, préfigurant celle du bombardier des années 50 Handley-Page Victor.

Sous forme d'avion de reconnaissance, il fut équipé de deux caméras Rb 50/30 500 mm de focal disposées à l’arrière du fuselage. Les avions ainsi équipés s'installèrent à Juvincourt, près de Reims, et c'est l'un d'entre eux qui ramena au QG allemand les premiers clichés du débarquement, pris par l'Oberleutnant Erich Sommer. Plus tard, l'escadrille se repliera sur Oranienbourg. Pas un n'avait été intercepté par la chasse des alliés : le 30 Avril 1945, le dernier Arado 234 disponible effectuait sa dernière mission : l'avion, très réussi, n'avait pas fait de miracles en bombardement ou en chasse de nuit, mais s'était montré un redoutable avion de reconnaissance. C'est grâce à lui que les généraux allemands ont pu savoir très vite que leur propre défaite était en cours, et que le Reich promis pour mille ans vivait ses derniers mois d'existence.

Chez les anglais, les travaux de Frank Whittle avaient aussi abouti, mais à un tout autre type de réacteur, dit centrifuge, qui étant nettement plus grand en diamètre avec ses chambres d'injection. Issu des travaux de sa société Power Jets, son prototype tournait déjà en 1937, et il réussit à convaincre les représentants de l'Etat de lui financer l'installation d'un modèle plus important sur un petit avion spécialement construit, le Gloster E28/39 qui vola avec pour la première fois le 7 avril 1941. Le manque de puissance chronique de l'engin eût pour conséquence la mise en chantier d'un bi-réacteur : Whittle était confronté au même problème que les allemands, et s'en sortit avec le Gloster Meteor (voir la dernière photo de cet article), dont le tout premier vol date du 12 juin 1943 : pour passer d'un prototype inacceptable en combat à un véritable avion de guerre, il fallut donc près de deux années de recherches intensives.  Et encore : à sa sortie, le Meteor est un avion fort médiocre, à part sa pointe de vitesse. Mais ses moteurs, pourtant plus lourds que ceux des allemands étaient aussi plus fiables et consommaient moins de carburant. Développé en modèle Goblin puis Nene (ici sur un Pulqui), chez Rolls-Royce, le réacteur centrifuge allait équiper une foultitude d'avions, tous reconnaissables à leur fuselage plus large : à comparer un Sabre américain à moteur axial à un "tonneau volant" Saab 29 Tunnan, à moteur Goblin on comprend vite la différence.

En 1945, les allemands avaient fait faire à l'aéronautique un bon en avant gigantesque avec leur gamme de chasseurs à réaction. Les anglais n'étaient qu'à quelques encablures, les retardataires étant les américains et les russes. Les premiers retardataires se servirent alors de tout ce qui pouvait faire avancer au plus vite leur aéronautique encore engoncée dans les cylindres et l'huile, en allant piller allègrement le savoir-faire allemand en matière de réaction. Ce fut lors de l'organisation d'une opération Paperclip-bis, car il n'y eût pas que Von Braun de concerné. Nous y reviendrons très bientôt en détail. En 1948, von Ohain fut transféré aux États-Unis lors de ce programme. Avec lui, on ramena en caisses un bon nombre d'avions allemands encore en cours de développement et on on y étudia de près ceux existants, l'Arado, notamment. Avec les recherches de Lippisch ou des frères Horten, les américains n'avaient plus qu'à customiser un Messerschmitt P-1101 pour le rebaptiser sans vergogne Bell X-5, (que pilotera le cosmonaute Neil Amstrong) et faire d'un projet de Lippish fort avancé leur tout premier appareil à réaction à aile delta, le Convair XF-92A. Les réacteurs JUMO furent "inspectés" et largement copiés (pour devenir un J-47 à la place d'un J-35 copie anglaise chez General Electric, par exemple). Le rouleau compresseur de l'industrie américaine ne s'est jamais beaucoup formalisé de ce pillage systématique.

Résultat : à la fin du conflit, les avions à réactions avaient fort peu pesé sur la guerre, et le Messerschmitt 262 aura été davantage mythique qu'autre chose, les deux autres modèles, le Heinkel 162 et le Komet 163 faisant quasimment dans l'anecdotique question efficacité.. Quant à l'Arado, le meilleur du lot, semble-t-il (éclipsé par le Me-262), ses réacteurs tenaient 10 heures, en fonctionnement, avant de devoir être changés.  Du côté anglais, le Meteor arrivait trop tard et ne participait pas ou prou au conflit (deux avions de la base de Manston abattent des V-1 le 4 août 1944, mais l'appareil n'est pas envoyé au front, mais il se rattrapera en Corée), son collègue américain, l'Aircacomet, bricolé sur base de moteur anglais et déjà complètement dépassé faisant pire, le Shooting Star, bien plus prometteur arrivant lui aussi trop tard. Mais ce dernier débutera une longue carrière et une longue descendance : en version biplace, il deviendra un des avions d'entraînement les plus utilisés au monde et se transformera en F-94 Starfire, le premier chasseur tous temps de l'Air Force, qui quitta le service en 1959 seulement.

des superbes clichés ici :

http://www.warbirdinformationexchange.org/phpBB3/viewtopic.php?f=3&t=37909&start=0


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12 réactions à cet article    


  • Dzan 20 juin 2011 11:04

    Tres bon article Morice.
    Mais les Français se servirent aussi ( je pense que vous y viendrez) abondamment de Jumo 004, et des ingénieurs Allemands capturés,pour des protos, dont le rapport poids/ poussée était faible.Les Russes idem.
    Je suis avec attention vos articles.


    • lsga lsga 20 juin 2011 11:12

      Vous avez oubliez de mettre les photos du Horten IX V3 Nazi, honteusement gardé par les USA dans un état lamentable dans le Maryland :







      • morice morice 20 juin 2011 11:39

        Vous avez oubliez de mettre les photos du Horten IX V3 Nazi, honteusement gardé par les USA dans un état lamentable dans le Maryland :


        et oh une minute, ce n’est pas fini là.... et je n’ai rien oublié, au contraire... et surtout pas celui-là : c’est une SERIE, cet article...

        un Horten vient d’être refait sous forme de réplique, informez-vous avant de râler.
        news.com/story/0,2933,529548,00.html#



        • Guzecha Guzecha 20 juin 2011 14:26

          Ah, le Me-262, une des mes maquette préférées quand j’étais minor !
          Un petit mot sur le Me-163 Komet, Morice ?
          J’attends avec impatience la suite de la saga


          • Prometheus Jeremy971 20 juin 2011 14:27

            Morice vous devez sûrement avoir des informations sur ce sujet.

            Je recherche des infos sur la dernière sortie des Uboots en Mars 1945, ils tentèrent de forcer le barrage alliés en Islande. Ce fut un désastre car 95% des uboots furent coulés. Avez-vous plus d’infos ?


            • morice morice 20 juin 2011 14:40

              Je recherche des infos sur la dernière sortie des Uboots en Mars 1945, ils tentèrent de forcer le barrage alliés en Islande. Ce fut un désastre car 95% des uboots furent coulés. Avez-vous plus d’infos ?


              un peu de patience svp...

              • lsga lsga 21 juin 2011 11:51

                tranquilou : 


                1. Je ne râle pas
                2. J’apprécie votre article
                3. Je viens de voir qu’il s’agit d’une série d’article avec le nouvel article d’aujourd’hui 


                4. Si il s’agit d’une série, vous devriez dans chaque nouvel article mettre les liens vers les anciens ; ou le faire au moins dans les commentaires 

                Bref, merci encore pour ce travail. 

                • morice morice 26 juin 2011 01:54

                  4. Si il s’agit d’une série, vous devriez dans chaque nouvel article mettre les liens vers les anciens ; ou le faire au moins dans les commentaires 


                  je l’ai fait à la reprise de la série, mais je vais le refaire, donc... merci de la suggestion.

                  • njama njama 26 juin 2011 14:31

                    Merci Morice pour ce nouvel article
                    J’ai tout replusser une fois de plus ... (sauf Waldgänger ... of course)


                    • njama njama 26 juin 2011 15:35

                      Le rouleau compresseur de l’industrie américaine ne s’est jamais beaucoup formalisé de ce pillage systématique.

                      Il faudrait mieux parler du complexe militaro-industriel Morice, car c’est bien connu, la soldatesque n’a pas d’états d’âmes, pas plus que les capitalistes pur jus ... Ô combien le discours de Roosevelt est encore d’actualité ...


                      • pastori 26 juin 2011 21:54

                        morice


                        a tu l’intention de compiler cette série et nous la fournir in extenso en version téléchargeable (avec photos et liens), à lire tranquillement in extenso vu la prodigieuse quantité d’informations de cet excellent travail ?

                        ou alors, indiquer quelle fut la date du premier article afin de dérouler les pages AV et les mémoriser ?
                        merci

                        • njama njama 26 juin 2011 22:49

                          Un exemplaire du Caproni-Camprini CC est visible au musée historique de Vigna di Valle (à 35 km au nord-ouest de Rome) voir ICI (cliquez sur le images pour les agrandir)

                          Site Officiel du musée (voir >> « Collezionne »)

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