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La Mafia vous salue bien

L’historien Jacques de Saint Victor nous apprend dans un livre passionnant que le système mafieux se porte bien, en Sicile comme en Corse. Sans doute mieux que son pire ennemi : la démocratie.

Observant qu’il fallait les mêmes compétences pour devenir un millionnaire escroc et un millionnaire honnête, Lucky Luciano ajoutait : « De nos jours, il faut une autorisation pour voler son prochain. Si c’était à refaire, je commencerais par chercher à obtenir cette autorisation. »

Le côtoiement incestueux de l’affairisme respectable et de l’affairisme criminel est le biais choisi par Jacques de Saint Victor pour retracer l’histoire des mafias. A la théorie d’une éthique protestante du travail et de l’épargne qui aurait été le terreau du capitalisme, il préfère les idées de Thorstein Veblen sur la nature prédatrice du capitalisme.

On ne peut dater avec précision l’apparition de la Mafia ; on la fait naître au XIXe siècle à l’époque de l’unité italienne. Hostiles à la réforme agraire réclamée par les sans-terres, les nobles, grands propriétaires fonciers de l’ex-royaume de Naples, n’hésitent pas à utiliser les services de réseaux criminels qui tuent ou rançonnent les paysans pour les terroriser.

Le régime parlementaire une fois installé, les anciens notables ont maintenu cette alliance pour garder le pouvoir dans l’Italie méridionale. Un système de corruption généralisée leur permet de « clientéliser » l’électorat en s’appuyant sur des gangs qui pratiquent l’assassinat ou le chantage sur commande.

Mais ce système est moins insubmersible qu’il ne veut le faire croire. L’instauration du suffrage universel en 1912 provoque une poussée de la gauche modérée et socialiste qui balaie bien des notables conservateurs, alliés du crime. En Sicile, la Mafia se replie. A Naples, la Camorra disparaît jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. La mafia sicilienne sera remise en selle par les forces américaines, au moment où elles débarqueront en Sicile, pour faire contre-feu à l’influence redoutée des communistes.

Le prince Borghese, qui avait collaboré avec les nazis, débarque dans l’île en 1947 avec ses commandos armés pour appuyer le bandit Giuliano qui mitraille les paysans venus fêter le 1er-Mai à Portella della Ginestra. La Mafia renaît avec son double visage : la corruption, qui entretient la mainmise politique des notables anticommunistes, issus désormais de la Démocratie Chrétienne, sur l’Italie méridionale et l’économie criminelle passée de la contrebande de cigarettes au trafic de drogue.

Les poursuites menées depuis trois décennies par des magistrats et des policiers courageux ont entamé mais pas anéanti le poids politique de la Mafia. L’économie du crime a connu en revanche une expansion foudroyante. Ce rôle décisif fut joué par le chef de la Cosa Nostra new-yorkaise, Lucky Luciano, et son adjoint Meyer Lansky, dans les années 1950, pour faire taire les maniaques de la gâchette des clans siciliens et créer une multinationale du trafic de drogue avec les réseaux sud-américains et asiatiques.

Lansky avait noué des alliances avec la mafia corse qu’il appréciait pour son sérieux et sa cruauté. Au début des années 1970, la lutte des Américains contre la French Connection a conduit au démantèlement partiel de l’empire de la drogue édifié par la mafia corse dans la région marseillaise. Mais ses racines insulaires restent intactes, comme le montre l’avalanche d’assassinats commandités qui s’abat actuellement sur l’île. Sa vitalité toujours renaissante, son aptitude à marier le népotisme politique, de préférence séparatiste, au grand banditisme, en font la sœur jumelle de la mafia sicilienne.

Dans un livre passionnant, Jacques de Saint Victor, reconstitue le cheminement sinueux d’un pouvoir criminel qui a su s’adapter aux nouveaux marchés et aux nouveaux usages politiques. Son véritable ennemi, ce n’est pas la modernisation, c’est la démocratie. Non pas celle qu’on a inscrit dans la Constitution, mais celle qu’on arrive à faire pénétrer dans les esprits et dans les cœurs, en désacralisant la force impérative des liens consanguins ou communautaires.

D'aprés un article d'André BURGUIERE

http://2ccr.unblog.fr/2013/01/09/la-mafia-vous-salue-bien/

Lire également : SALLES DE SHOOT ET HYPOCRISIE


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3 réactions à cet article    


  • Mr-J 12 janvier 2013 14:43
    C’est d’ailleurs Luciano qui a organisé le contact avec les sicilien en échange de sa libération. Il à toutefois dû s’exiler en Italie une fois libre, on peut dire que c’est la deuxième guerre mondiale qui à redonner un souffle à la mondialisation de la mafia, le nouveau modèle retrouvant ses racines. Aujourd’hui les mafieux italiens sont des chefs d’entreprises. « Un homme sans diplôme, mais avec un flingue c’est une imbécile avec une arme ; un homme avec un diplôme mais sans flingue : c’est un imbécile désarmé. » Citation approximative d’un passage de Gomorra.

    Je ne pense pas que la démocratie soit apte à lutter contre les organisations mafieuses dans la perspective d’un système capitaliste. Exemple de la Russie après l’éclatement de l’URSS. 

    Je pense que tant que l’on accordera de l’importance à l’argent il existera des gens pour exercer la violence dans le but de s’attribuer un peu de cette importance. Donc je pense que le système politique ne résout rien, que la vertu s’oppose à l’appât du gain, oui cela à toujours été le cas depuis des temps immémoriaux. De plus il ne faut pas oublier que pour certains ce genre d’activités et leur unique espoir de survie... Dans ce cas là, le problème n’en deviens que plus épineux. Nous connaissons les maux que nous méritons ; en essayent de lutter contre les effets de nos perversions nous ne résolvons donc rien, il faudrait prendre le problème à la racine de façon intélligente, mais qui pourra ?

    • ETTORE ETTORE 12 janvier 2013 15:36

      Mais qui pourra ?.......ET surtout « QUI VOUDRAS » !!


      Aujourd’hui avec la crise économique qui secoue le pays, après les prières pour se donner bonne conscience, l’ « organisation » reste plus que jamais le pourvoyeur de revenus pour bien 
      de personnes directement ou indirectement. 
      On ne mord pas la main qui te nourrit, même si l’autre te tient par les cou.... !!!!


      • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 12 janvier 2013 18:25

        Un écrivain excéllent qui a écrit sur la Sicile ,et donc aussi sur la mafia :Léonardo Sciascia .

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Robert GIL

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