La nuit sanglante d’Ekaterinbourg : l’exécution sauvage et cruelle des Romanov par les Bolcheviks
Dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918, la maison Ipatiev à Ekaterinbourg devient le théâtre d’un massacre qui ébranle l’histoire : les Bolcheviks exécutent la famille impériale russe, les Romanov. Ce drame, né dans le chaos de la guerre civile, soulève des questions brûlantes. Qui a ordonné cette tuerie ? Pourquoi tant de cruauté ?
Une Russie déchirée par la révolution
En 1917, la Russie est un empire pluriséculaire à bout de souffle. La Première Guerre mondiale a épuisé ses ressources, et la révolution de février force le tsar Nicols II à abdiquer le 2 mars. Le gouvernement provisoire d’Alexandre Kerenski prend le pouvoir, mais les Bolcheviks, dirigés par Lénine, gagnent du terrain. Leur coup d’État d’Octobre installe un régime radical, prêt à tout pour éradiquer l’héritage tsariste. Les Romanov, symboles de l’ancien régime, deviennent un obstacle à éliminer.
Dès août 1917, Kerenski exile la famille impériale – Nicolas, Alexandra, leurs quatre filles Olga, Tatiana, Maria, Anastasia, et leur fils Alexis – à Tobolsk, en Sibérie, sous prétexte de les protéger. Leur vie reste relativement digne, mais l’ascension des Bolcheviks change la donne. Les gardes multiplient les humiliations : ils arrachent les épaulettes de Nicolas, griffonnent des insultes sur les palissades pour choquer les jeunes grandes-duchesses. En mars 1918, la famille est soumise à des rations de soldats, présage d’un destin beaucoup plus sombre et incertain.
La guerre civile, opposant l’Armée rouge des Bolcheviks aux Armées blanches monarchistes, s’intensifie. Les Romanov, perçus comme un atout potentiel pour les Blancs, sont transférés en avril et mai 1918 à Ekaterinbourg, dans la maison Ipatiev, surnommée la "maison à destination spéciale". Cette demeure, entourée de palissades, devient leur prison. La peur d’une évasion ou d’une intervention étrangère – Nicolas étant cousin du roi George V de Grande-Bretagne – pousse les Bolcheviks à envisager une solution radicale.
La nuit du massacre : une exécution brutale
Le 16 juillet 1918, une tension pesante enveloppe la maison Ipatiev. Les Romanov, ignorant leur sort, passent la journée dans une routine austère. Vers minuit, Iakov Iourovski, chef des gardes et membre de la Tchéka, la police politique, reçoit un ordre décisif. Selon son rapport, publié en 1989, les légions tchécoslovaques, alliées des Blancs, approchent d’Ekaterinbourg, rendant la survie des Romanov intolérable pour les Bolcheviks. Léon Trotsky, dans son journal, attribue l’ordre à Lénine : pas de procès, pas de survivants.
À 1 h 30, Iourovski réveille la famille, prétextant un transfert pour leur sécurité. Nicolas, Alexandra, leurs enfants, et quatre fidèles – le Dr Evgueni Botkine, Anna Demidova, Alekseï Trupp, Ivan Kharitonov – descendent dans une cave exiguë. Iourovski lit une sentence lapidaire, annonçant leur exécution par le Soviet de l’Oural. Nicolas, incrédule, balbutie : "Quoi ? Quoi ?" avant que les tirs éclatent. Lui et Alexandra s’effondrent sous les balles de Iourovski et de son escouade.
L’exécution vire au carnage. Les grandes-duchesses, protégées par des diamants cousus dans leurs corsets, résistent aux premières salves. Les bourreaux, pris de panique, achèvent les survivants à la baïonnette. Anastasia, encore vivante, est massacrée sauvagement. Alexis, hémiophile et frêle, est abattu à bout portant. Les cris déchirent la nuit, et le massacre, d’une violence inouïe, dure plusieurs minutes. Onze vies s’éteignent dans une brutalité qui glace même certains exécuteurs.
Le sort des corps : une dissimulation macabre
Après le massacre, les Bolcheviks s’empressent d’effacer leurs traces. Les corps, enveloppés dans des draps, sont chargés dans un camion. Iourovski, aidé de Piotr Ermakov et Grigori Nikouline, conduit les dépouilles vers une mine abandonnée près de Ganina Yama. Là, ils tentent de les détruire avec de l’acide sulfurique, de la chaux vive et du feu, mais l’opération est chaotique. Craignant l’avancée des Blancs, les restes sont déplacés dans une fosse à Koptyaki.
Cette dissimulation alimente un mystère durable. En 1919, le juge Nikolaï Sokolov, mandaté par les Blancs, découvre des fragments d’os et des objets personnels à Ganina Yama, mais pas les corps. Son rapport de 1924 conclut à une incinération totale, une thèse aujourd’hui infirmée. En 1991, après la chute de l’URSS, neuf corps sont exhumés à Koptyaki, identifiés par ADN comme ceux de Nicolas, Alexandra, trois de leurs filles, et des quatre serviteurs. En 2007, les restes d’Alexis et d’une autre fille, probablement Maria ou Anastasia, sont retrouvés, confirmant l’ampleur du crime.
Les Bolcheviks maintiennent le secret. Le 18 juillet 1918, Iakov Sverdlov annonce que seul Nicolas a été exécuté, prétendant que la tsarine et ses enfants ont été évacués. Cette fable, relayée en 1922 par Gueorgui Tchitcherine, commissaire du peuple aux Affaires étrangères, vise à désamorcer les critiques internationales. Trotsky, lui, admet dans ses écrits que Lénine a ordonné l’extermination totale pour "terroriser l’ennemi". Ce mensonge d’État révèle la brutalité d’un régime totalitaire prêt à tout pour asseoir durablement son pouvoir.
Les acteurs du drame : bourreaux et victimes
Iakov Iourovski, figure centrale du massacre, incarne la froide détermination des Bolcheviks. Né en 1878, cet ancien horloger devenu révolutionnaire dirige l’opération avec une rigueur glaçante. Son rapport, rédigé en 1934, détaille l’exécution sans remords, bien qu’il note le malaise de certains gardes. Son adjoint, Grigori Nikouline, survit jusqu’en 1965, emportant ses souvenirs dans l’ombre. Piotr Ermakov, surnommé "Camarade Mauser", se vante d’avoir tué le tsar, mais son rôle précis reste flou.
Du côté des victimes, les Romanov apparaissent comme des figures tragiques, humaines dans leur vulnérabilité. Nicolas, souvent critiqué pour son indécision, reste un père dévoué, notant dans son journal son inquiétude pour Alexis, fragile à cause de son hémophilie. Alexandra, détestée pour son influence et ses liens avec Raspoutine, protège ses enfants jusqu’au bout. Les grandes-duchesses, âgées de 17 à 22 ans, incarnent l’innocence broyée : Olga, intellectuelle ; Tatiana, infirmière dévouée ; Maria, douce ; Anastasia, espiègle. Alexis, à 13 ans, porte le poids d’un empire éteint. Leurs compagnons, restés loyaux, partagent leur sort avec dignité.
Ce contraste entre la brutalité des bourreaux et l’humanité des victimes amplifie l’horreur du massacre. Les Bolcheviks, mus par une idéologie implacable, ne voient dans les Romanov qu’un obstacle à leur utopie. Pourtant, des détails poignants – les jouets d’Alexis, les livres d’Olga, les prières d’Alexandra – rappellent que ce sont des êtres humains, non des symboles, qui ont été anéantis dans cette cave sordide.
Mémoire, mythes et réhabilitation
L’exécution des Romanov ne clôt pas leur histoire. Dès 1918, des rumeurs de survie, notamment d’Anastasia, alimentent des impostures, comme celle d’Anna Anderson, qui captive le public jusqu’à sa mort en 1984. Ces mythes, nés du secret des Bolcheviks, traduisent un besoin de croire que l’innocence a triomphé. En Russie, la vérité éclate tardivement. En 1998, les restes de neuf victimes sont inhumés à Saint-Pétersbourg, mais l’Église orthodoxe, doutant de leur authenticité, refuse de célébrer les obsèques.
En 2000, l’Église orthodoxe russe canonise les Romanov comme "martyrs de la foi", louant leur "humilité et douceur". Cette sanctification, controversée, passe sous silence les failles de Nicolas, mais répond à un besoin de réconciliation nationale. En 2008, la Cour suprême de Russie réhabilite la famille, la reconnaissant comme victime de la répression politique. Ces gestes contrastent avec la diabolisation des Bolcheviks, accusés d’avoir inauguré un siècle de terreur.
Aujourd’hui, la maison Ipatiev, rasée en 1977 sur ordre du KGB, est remplacée par une cathédrale, lieu de pèlerinage. Les Romanov, jadis honnis, sont devenus des icônes d’une Russie prérévolutionnaire idéalisée. Leur tragédie pose une question universelle : comment une idéologie peut-elle justifier l’anéantissement d’une famille ? Leur mémoire, entre martyre et mythe, continue de hanter l’histoire russe, rappelant que la violence révolutionnaire laisse des cicatrices indélébiles.
La nuit du 16 au 17 juillet 1918 reste gravée comme un acte d’une brutalité inouïe, où les Bolcheviks, dans leur quête d’un monde nouveau, ont sacrifié l’humanité sur l’autel de l’idéologie. Les Romanov, imparfaits mais profondément humains, incarnent les victimes d’un fanatisme qui ne tolère aucun vestige du passé. Grâce aux archives, aux enquêtes de Sokolov, aux analyses ADN et aux témoignages comme celui de Iourovski, la vérité a émergé, implacable.
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