La racaille, nouvelle police de la pensée
La racaille a toujours été la police supplétive du pouvoir. Relisez donc les belles pages de Karl Marx sur le lumpenprolétariat, un lumpenprolétariat qui, du reste, aujourd’hui, ne s’habille plus en Lumpen (haillons). Il est idiot de croire qu’elle ne va pas jusqu’à contrôler, à la manière orwellienne, nos propos et nos idées. Bien au contraire, non seulement les agressions physiques rappellent aux honnêtes gens qu’ils doivent rester les esclaves de ces oligarques d’en bas protégés par ceux d’en haut, mais il y a aussi les agressions morales.
Ce mercredi matin, j’écoutais France info (16/09/2020) dans ma voiture. J’allais turbiner pour gagner ma vie, et aussi rapporter beaucoup d’impôts à l’État qui, n’en doutons pas, sera un État-providence pour beaucoup de personnes. La radio donnait un très court reportage, mais très intéressant (pour une fois) sur l’insécurité. Un brave travailleur vivant en HLM, depuis des années, se plaignait des crimes et délits commis dans son quartier. Avec le bon sens aiguisé des gens du peuple, il affirmait que ces crimes et délits étaient le produit d’une impunité systématique : « L’État a tout laissé faire, depuis des années et des années. » Et il avait bien raison, le brave homme !
À un moment, on entendit une racaille, reconnaissable à son distingué accent des banlieues, interdire au brave homme de s’exprimer devant les journalistes. « Faut pas que tu parles du ça, mon gars, faut pas que tu parles de ça ! » Par contre, aucun « wesh » ni « fils de p… » ou autres réjouissances (ce devait être une racaille polie, ou très fatiguée, ou soucieuse de son image de marque). En tout état de cause, l’interdiction était formelle…
Le brave homme, non sans élégance, répliqua par une série de questions. « On n’a même plus le droit de parler ? Qu’est-ce que tu vas faire ? Tu vas me tuer pour ça ? »
Le brave homme avait tout résumé. Non seulement, les racailles sont nos seigneurs et maîtres, ayant droit de haute et basse justice sur leurs terres (territoires perdus de la République, mais pas perdus pour tout le monde), non seulement il faut s’adresser à eux avec la plus grande déférence, comme les serfs devaient s’adresser jadis aux seigneurs du coin, mais la moindre conversation entre voisins, la moindre description devant un journaliste, la moindre pensée, au final, qui s’écarte un peu de la bien-pensance officielle, tout cela devra se solder par des supplices. Et, bien évidemment, si cette justice féodale des quartiers ne suffit pas, si les petits nobles provinciaux à casquettes et survêt Nike se sentent encore offensés dans leur dignité, il reste le « régalien », la police et la justice de l’État central monarco-républicain, pour châtier les manants en révolte que nous sommes. À l’heure où de véritables assassins et tortionnaires sont relâchés dans la nature sans purger aucune peine (ou si peu), le moindre propos en dehors des balises fixées par l’idéologie dominante vous vaudra d’autres supplices, peut-être plus modérés, mais tout aussi efficaces.
La racaille, c’est la meilleure invention de l’ordre établi. Même les gauchistes-bisounours, à côté, font pâle figure. Rien de tel qu’une bonne petite agression, même sans gravité, suivie d’une insomnie bien traumatisante, et le lendemain, vous arrivez au boulot doux comme un agneau, mou comme un légume. Le chef de service pourrait exiger que vous dansiez les claquettes à poil sur un bureau que vous le feriez sans discuter, si ce n’était l’épuisement physique, la seule limite objective. La terreur voyoucratique est de loin la plus profitable à l’État. Même pas besoin d’embaucher des gendarmes, des juges, des bourreaux. Désormais, ce sont les petits féodaux des quartiers sensibles qui se chargent de discipliner le bon peuple, y compris dans ses pensées. Et, comme chacun sait, les petits aristos en survêt, devant lesquels il faut ôter son chapeau, ne s’embarrassent en général ni de scrupules philosophiques ni de considérations sur les droits de l’homme. Ils ont des méthodes plus expéditives que la police et la justice officielles, lesquelles sont malgré tout formatées pour leur faciliter la tâche.
On peut appeler criminocratie ou « État-zombi » ce type de régime, sous lequel nous survivons.
La criminocratie se distingue de la voyoucratie, qu’on appelle aujourd’hui la « racaille ». Cette dernière ne désigne que l’ensemble des malfaiteurs, et il existe toujours une voyoucratie ou une racaille résiduelles, même dans les États les plus vertueux. La criminocratie, elle, est une forme d’État, bien particulière, où la voyoucratie, protégée, privilégiée, prioritaire – et forcément impunie – est devenue la milice même du pouvoir. Une criminocratie désigne un régime totalitaire, la plupart du temps déguisé en démocratie, où l’État gère la terreur sur le peuple en partenariat constant avec les voyous.
Dans ce type de système, les institutions répressives ou « régaliennes » ne servent plus à protéger les honnêtes gens contre les criminels, mais, à l’inverse, à utiliser les criminels contre les honnêtes gens. La criminocratie produit dans le peuple l’épuisement physique, la sidération mentale, la pauvreté matérielle, toutes choses qui empêchent les protestations, séditions et autres volontés révolutionnaires.
Je me console toutefois en songeant qu’aucun système, même épouvantable, n’est éternel.
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