La réforme des retraites : … et après ?
La réforme des retraites : … et après ?
On ne peut disserter sur la réforme des retraites, sans replacer cette dernière dans le contexte du moment.
Le contexte, que les décisions prises depuis une trentaine d’année en application de traités notamment révèlent, est celui du transfert de tout ce qui peut rapporter de l’argent, du secteur public aux entrepreneurs et financiers privés (1).
Les postes et le téléphone, jadis services publics administratifs disposant d’un monopole, ont cédé leurs activités à l’initiative privée. Et les PTT se sont transformées eux-mêmes en personnes de droit privé, dont le capital pourra être cédé aux financiers.
On connaît le chemin que les services publics industriels et commerciaux, comme la RATP ou la SNCF, ont pris (perte du monopole au profit d’opérateurs privés).
La santé et l’enseignement, activités marchandes au sens « européen », sont des secteurs qui évoluent vers la gestion privée et la privatisation : fonctionnement de plus en plus financé – v. par ex . l’enseignement supérieur - par les usagers. En attendant la continuation du processus selon les techniques habituelles ( v. les transformations successives des anciens PTT).
Dans ces domaines, la solidarité (les plus riches paient un peu plus pour que les plus modestes bénéficient de prestations jugées indispensables) disparaît lentement. Le temps que les gens s’habituent à la transformation. Et qu’ils acceptent de se passer du service s’ils ne peuvent pas le payer.
L’assurance maladie constitue une source potentielle énorme de profits pour les compagnies d’assurances.
Son transfert par la loi aux assureurs privés pour qu’ils en fassent un « produit » , posait à ceux qui y pensaient, un problème juridique potentiel : celui de sa conformité au préambule de la Constitution de 1946 (repris dans la constitution de 1958). Le Conseil constitutionnel risquant alors (au moins à l’époque) de juger une telle loi contraire à la constitution.
C’est la raison pour laquelle l’article 11 de la constitution, qui dresse la liste des questions pouvant être soumise à référendum, a été enrichi d’une phrase en 1995 (2) : « Le Président de la République, … peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent … ».
Ce qui, techniquement, permettait alors au gouvernement, s’il le décidait, de se faire autoriser (pour autant que la formulation de la question posée au peuple soit habile) à organiser le transfert par référendum. Puisque la constitutionnalité du référendum n’est contrôlée ni par le Conseil constitutionnel, ni par aucun juge.
On sait qu’à l’époque, les compagnies d’assurances ont fait travailler leurs juristes sur la question de savoir comment elles pourraient avoir accès au dossier médical de leurs futurs clients intéressés par un produit « santé » (3).
Le marché de la retraite est potentiellement colossal.
Il ressemble d’ailleurs beaucoup au marché de l’assurance.
Le gouvernement a re-lancé (4) le processus .
Qui est simple :
- les salariés sont mis progressivement dans la même situation ;
- leur retraite dépendra des sommes qu’ils auront versées dans le temps,
- le montant des sommes allouées le jour venu dépendra de la masse d’argent disponible.
Ce qui est exactement ce qui se passe avec le système des retraites offert par des compagnies et organismes privés qui investissent et spéculent avec les cotisations (5).
Pour ce faire, les gouvernants utilisent les bonnes recettes de la manipulation, et ont recours à un argumentaire choisi (6).
Ils habituent les citoyens à « admettre » - sans qu’ils s’en rendent trop compte, comme dans toute bonne manipulation- , dans ce domaine comme dans d’autres, ce changement de conception de la société : La réforme ne touchera que les générations à venir ( avec un report astucieux de la date à laquelle les salariés seront touchés) est-il annoncé à cet égard.
Ce qui fait que les personnes qui seront prochainement en retraite ne seront que peu touchées par la révolution qui s’annonce. Et n’auront pas tendance à contraindre le gouvernement à abandonner ses desseins.
Les diverses organisations syndicales paraissent d’ailleurs, en manifestant leur soulagement à l'annonce du « lest » lâché par le gouvernement, avoir donné le feu vert.
Comme cela fut d’ailleurs le cas au moment où les autres réformes ( transports, PTT, et autres) furent lancées.
Marcel-M. MONIN
m. de conf. hon. des Universités
(1) A côté de celui des Frères musulmans, un dogme progresse : celui d’un monde dans lequel l’individu est soit un client, soit un vendeur, soit un dominant, soit un dominé. Les institutions de l’Etat n’étant là que pour faciliter la mise en œuvre du dogme et ayant l’interdiction d’intervenir dans le jeu des rapports de force « naturels ». Ce dogme est inscrit, non pas dans la Charia, mais dans divers documents moins lus ( divers traités de 1992 à aujourd’hui) dont l’analyse fait apparaître qu’ils organisent la société d’une manière telle que les individus sont mécaniquement voués à avoir le statut ci-dessus. On notera que c’était en réalité déjà le dogme des bourgeois de 1789 qui ont imaginé le principe de « la liberté » du commerce et de l’industrie qui voulait dire (la jurisprudence a depuis confirmé cette conception) que toute activité qui est susceptible de rapporter de l’argent, doit être laissée à l’initiative privée.
(2) président de la République : J. Chirac ; Premier Ministre : A. Juppé
(3) D’un point de vue technique, on peut imaginer une méthode simple de transfert : on baisse les remboursements de l’assurance maladie tandis que les sociétés d’assurances privées remboursent mieux et sont de ce fait attractives. Processus qui est engagé. Il resterait ensuite à rendre facultatives l’affiliation et les cotisations à l’assurance maladie … les citoyens ayant alors le choix (et étant contents de l'avoir) . Et le tour sera joué.
(4) réforme Balladur de 1993 , plan Juppé de 1995 sur les retraites et la sécurité sociale, création en 1999 du Fonds de Réserve pour les Retraites qui devait placer ses actifs sur les marchés financiers, loi Fillon de 2003, réforme de 2008, loi Woerth de 2010, loi Touraine de 2014.
(5) Et dont on a un exemple avec les fonds de pensions qui prospèrent à partir des Etats-Unis d’Amérique. A l’amitié avec lesquels œuvre la « French américaine Fondation », par laquelle sont passés d’une manière ou d’une autre, beaucoup des personnes cités dans la note 4, ainsi que des présidents de la République, des Premiers Ministres, des dirigeants de banques, de compagnies d’assurance, de dirigeants de médias. Ce qui d’un côté est de nature à faciliter les convergences de vues au sein des élites dirigeantes sur les questions financières et économiques et par voie de conséquence sociales et sociétales. Et ce qui d’un autre, peut expliquer que les personnes d’un même ensemble puissent avoir une tendance naturelle à avoir « de la suite dans les idées ».
(6) par exemple en développant l’argument phare, cachant le point d’arrivée nécessaire et mécnique de la « réforme » en marche : argument selon lequel le nombre futur de retraités sera tel, que les individus ayant échappé au chômage (également produit de la mise en œuvre du dogme), ne pourront plus financer les retraites. Argument qui a magnifiquement marché, puisque tout le monde a suivi du regard le doigt du pouvoir en place (qui n’était pas le doigt du sage du proverbe chinois), et n’a raisonné que sur ces bases.
Dans le même genre, on se rappelle l’argumentaire de M. Giscard d’Estaing lors de la réforme de 1974 de la Banque de France qui permettait aux banques privées d’avoir l’Etat comme client pour se financer. Selon lequel, si on l’a bien retenu, les élus n’étant pas raisonnables dans l’ordonnancement des dépenses, ils deviendraient sages s’ils devaient faire payer aux contribuables des intérêts aux banques privées (sic) . Etc…
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