• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > La subjectivité du regard

La subjectivité du regard

A Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, les deux journalistes de France3 retenus en otages en Afghanistan depuis plus de 200 jours.

Vendredi dernier, de retour du boulot, j’ai eu l’immense plaisir d’écouter sur France culture un entretien qui avait été accordé, il y a quelques temps déjà, par Patrick Chauvel.

Patrick Chauvel est plus connu des professionnels de la presse que du grand public. Et pourtant, ses photos ont fait le tour du monde. 

Patrick Chauvel a été pendant une trentaine d’années un photographe-reporter de guerre.

Il a couvert nombre de conflits : l’Irlande, le Vietnam, le Cambodge, l’Iran, le Liban, l’Afghanistan, la Bosnie, l’Irak, etc.

Chauvel a connu toutes les affres de ce métier exigeant : la peur de mourir, les blessures, la captivité, la disparition brutale de confrères, les pires horreurs dont l’homme est capable vis-à-vis de son prochain, etc.

Dans cet entretien, Chauvel a abordé certaines problématiques qui lui sont chères.

En voici quelques unes :

  • comment devient-on photographe-reporter de guerre ?
  • Pourquoi ce choix ?
  • A-t-on le droit de photographier la souffrance des autres ?
  • Quel est le but recherché : informer, témoigner au risque de prendre partie de manière inconsciente ?
  • Y a-t-il des photos qu’il vaut mieux ne pas publier ?
  • Comment travaille un photographe-reporter de guerre ? Etc.

Dans cet entretien, Patrick Chauvel est revenu sur sa carrière, sur certains moments forts qu’il a vécus, à la fois avec pudeur et une grande humanité.

En tant que blogueur, je me suis senti interpelé par ce professionnel de la presse. Notamment lorsqu’il a abordé l’impact des nouvelles technologies de l’information sur le journalisme.

Patrick Chauvel a ainsi rappelé qu’il a exercé la majeure partie de son métier à une époque où les appareils de photos numériques, Internet et les téléphones portables n’existaient pas.

Le photographe-reporter de guerre était alors un artisan de la débrouille, souvent difficilement joignable immédiatement, et qui de surcroît devait veiller à trouver des réseaux de passeurs pour que ses clichés (développés ou non) soient acheminés à l’extérieur des zones de conflits.

Entre la prise d’une photo au moment où un événement se produisait et sa publication dans un news magazine, plusieurs jours, voire plusieurs semaines pouvaient s’écouler, dans une atmosphère constante d’incertitude sur le résultat obtenu.

Les rédactions ne réagissaient pas alors dans l’immédiateté à cause de ce laps de temps plus ou moins long.

Cette contrainte matérielle donnait du temps pour la réflexion et l’analyse.

Chauvel a également indiqué que les protagonistes d’un conflit pouvaient être photographiés dans une sincérité qui lui semble aujourd’hui sujette à caution.

Il y a encore une quinzaine d’années, le photographe-reporter était un personnage à part, détenteur d’un matériel qui était encore inaccessible aux populations en guerre.

Maintenant, même dans les zones les plus reculées et les plus conflictuelles, l’accès aux téléphones portables, aux appareils numériques, voire à l’Internet, est devenu possible.

Sans vouloir interpréter outre mesure les réflexions de Patrick Chauvel, j’ai néanmoins bien perçu dans ses propos que le photographe-reporter de guerre n’est plus cet être exceptionnel pour les populations déchirées par les conflits :

  • d’une part, parce que ces populations savent qui il est désormais, et elles peuvent alors abandonner leur sincérité au profit d’une mise en scène de type politique afin de s’attirer sa « complicité » ;
  • d’autre part, parce que ces populations peuvent elles-mêmes utiliser des technologies qui, jadis, leur étaient inaccessibles.

Chauvel l’a bien exprimé : désormais, il n’est pas inconcevable qu’un photographe-reporter de guerre se rende les mains dans les poches dans un pays en guerre.

En effet, il pourra trouver sur place, sur un marché, dans un foyer, ou dans tout autre endroit où s’échangent des biens, tout ce dont il a besoin pour exercer son métier.

La manipulation, qui a certes toujours existé, est donc devenue aujourd’hui un risque permanent.

Via Internet par exemple, une photographie peut être publiée dans le monde entier le jour même de sa prise.

Cette situation n’est pas sans effet sur le traitement de l’actualité.

.A la recherche du scoop, c’est-à-dire de l’image choc, qui va le différencier de ses concurrents, un news magazine peut céder plus facilement à la tentation de l’immédiateté au détriment de la réflexion et du nécessaire travail d’analyse de l’événement.

Ce risque s’est encore accru avec la démocratisation du support audiovisuel (caméras, logiciels de montage, etc).

Oui, en tant que blogueur, je me suis donc senti interpelé tout au long de cet interview passionnant.

Dans quelle mesure, à mon très modeste niveau bien sûr, ne suis-je pas entièrement tributaire de cette immédiateté de l’information ?

Dans quelle mesure ne suis-je pas aussi un relais de cette immédiateté, tout comme ces millions de gens qui s’adonnent quotidiennement à la passion du blogging ?

J’ai néanmoins toujours été profondément conscient de l’écueil que constitue l’instantanéité du présent. Cette instantanéité favorise la mémoire courte.

Ce faisant, combien de fois m’est-il arrivé de tomber dans cette ornière ?

Je sais donc que j’avance avec mes convictions, mes partis pris, mes passions et mes emportements.

Je sais que je ne recherche pas nécessairement l’objectivité, laquelle est d’ailleurs plus un mythe qu’une réalité.

Mais justement, dans son interview, Patrick Chauvel m’a rassuré, car il me semble avoir décelé dans ses propos une mise en doute de cette sacro-sainte objectivité derrière laquelle se réfugient un peu trop facilement nombre de journalistes.

J’aime cette idée que le blogging n’est pas fondamentalement éloigné de la photo, je veux dire de la manière dont Chauvel semble concevoir la photo (même si, bien évidemment, il ne s’agit pas de comparer un blogueur tranquillement assis derrière son écran et un photographe-reporter de guerre qui risque sa peau à tout moment).

Mais dans les deux cas, on cherche toujours un angle de vue.

Dans les deux cas, le résultat obtenu est toujours le fruit de la subjectivité.

Dans les deux cas, il y a un travail quelque peu artisanal.

Dans les deux cas, il y a, à la base, un regard, c’est-à-dire un choix de se fixer sur telle chose plutôt que sur telle autre, avec ce risque inévitable d’exclure de son attention le reste qui s’offre pourtant à sa perception.

Et en même temps, ce regard limité porte en lui le désir d’extirper des convulsions du monde et du chaos ambiant un certain ordre, afin de comprendre tout ce qui peut se déployer devant lui.

(Billet publié initialement sur Le Blog de Gabale)


Moyenne des avis sur cet article :  4.33/5   (6 votes)




Réagissez à l'article

2 réactions à cet article    


  • plancherDesVaches 19 juillet 2010 17:57

    Beeenn.. le souci :
    C’est Betancourt.


    • iris 20 juillet 2010 10:15

      les reporters hors france sont beaucoup plus courageux que dans leur pays.et ils ne sont pas reconnus à leur juste valeur

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès