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Le 5 octobre 88 ou la révolution « bolchevique » à l’algérienne

Il est du devoir de chaque syndicaliste, de chaque homme politique des années 80, de chaque intellectuel algérien ayant assisté, de près ou de loin, aux événements dramatiques du 5 octobre 1988 de témoigner et d’apporter ainsi sa contribution, aussi modeste soit-elle, à cet édifice historique qui ne devrait pas sombrer dans l’oubli. Car si on est là à s’exprimer de façon plus ou moins démocratique, c’est principalement grâce à cette journée de "chahut de gamins". C’est ainsi qu’a été qualifié le 5 octobre 1988 par les tenants du pouvoir de l’époque.

Mais plus qu’à un "chahut de gamins", force est de reconnaître que nous avions plutôt assisté à une émeute, à une révolte, certes conduite par des enfants et des adolescents, mais il ne faisait pas l’ombre d’un doute que des adultes étaient derrière. Aucun mouvement de foules n’est spontané, la foule, contrairement à un banc de sardine qui zigzague dans les profondeurs de la mer pour échapper à un prédateur, n’obéit pas à son instinct de survie, mais à un chef, même tapi dans l’ombre. Mais qui étaient ces adultes ? Qui étaient le ou les chefs qui avaient poussé des enfants à saccager et à brûler les édifices publics et à s’exposer dès le lendemain aux balles réelles de l’armée qui a été appelée à la rescousse ? Là est toute la question. Vingt ans après, on n’en parle pratiquement plus, on semble avoir fait table rase du passé et aucun des responsables du "parti-Etat" de l’époque, le FLN pour le désigner du doigt, n’a été incriminé de façon claire et nette dans la genèse de cette "révolte de la semoule" comme l’avait qualifiée une certaine presse d’outre-mer. Mais en fait il n’en était rien : les Algériens avaient plutôt faim de démocratie et soif de la liberté d’expression. Et si, dans leur folie de quelques jours, ils s’étaient attaqués aux symboles de l’Etat c’est parce que, à leurs yeux, l’Etat était défaillant sur toute la ligne. Il n’avait pas su gérer la manne pétrolière et la chute du prix du baril de pétrole dans les années 1985-86 avait pratiquement mis l’Algérie en cessation de paiement.

Si d’emblée j’ai annoncé la couleur en disant que "tout syndicaliste" devrait témoigner c’est parce qu’on a trop tendance à sous-estimer ce fait, le problème a commencé en fait au niveau de la zone industrielle de Rouiba, à quelques encablures d’Alger. Rappelez-vous, les travailleurs de cette zone industrielle et particulièrement ceux de la SNVI (Société nationale des véhicules industriels) étaient en grogne ou carrément en grève pour certains d’entre eux et cela à cause bien entendu du pouvoir d’achat qui ne cessait de dégringoler ; et malgré l’activisme des syndicalistes de l’UGTA, la seule organisation syndicale de l’époque, le pouvoir d’alors ne voulait rien céder. Ajoutez à cela le fait que, quelques jours auparavant, le président Chadli Bendjedid, dans un discours à la nation, avait stigmatisé les ouvriers algériens d’une façon générale en donnant comme exemple les ouvriers égyptiens qui ne rechignaient pas à la besogne. Qui ne réclamaient rien. Qui n’avaient pas recours aux grèves. Ceci a été peut-être la goutte qui avait fait déborder le vase. En tout cas, c’est mon analyse personnelle. Et puis, il faut dire aussi que le pouvoir incarné par Chadli Bendjedid avait permis l’émergence d’une classe sociale, minoritaire, qui profitait de tout, qui menait la belle vie au milieu d’un océan de misère. Pour le commun des Algériens, pour le "Ghachi" comme on dit chez nous, ce n’était que pénuries de toute sorte et des chaînes interminables devant les "Galeries algériennes" et les "Souk El fellah" pour, dans les meilleurs des cas, se voir proposer la fameuse "vente concomitante", à savoir un produit de première nécessité tel que l’huile ou le sucre et… une dizaine de lames de rasoir par exemple même si on est imberbe. C’était à prendre ou à laisser. On n’avait pas le choix. C’était la loi du marché d’un dirigisme outrancier ! Mais, vous me diriez que les événements auraient dû dans ce cas commencer à Rouiba et non pas à Bab El Oued. Vrai. Mais Bab El Oued est connu comme le quartier le plus populeux d’Alger et il est toujours à l’avant-garde des… révolutions comme ce fut le cas pendant la guerre d’Algérie. Bab El Oued a donc éternué et c’est toute l’Algérie qui s’est enrhumée !

Mon témoignage


Le soir du 4 octobre, j’étais à l’hôpital Mustapha.
Je n’étais pas de garde ce jour-là, mais j’ai été retenu par un ami qui était, lui, de garde au Pavillon des urgences. Et, après l’avoir aidé à opérer une appendicite, j’ai décidé de rentrer chez moi à Ain Benian (ex-Guyot ville). Il était presque minuit et ma Renault 5 avait un problème d’éclairage, l’un des H4 était grillé et je n’avais même pas songé à le remplacer puisqu’il m’arrivait rarement de circuler la nuit. A cette heure-ci de la nuit, la circulation à Alger était fluide et je n’avais aucun mal à distinguer le moindre obstacle à plus de 100 m de distance puisque sur tout l’itinéraire que j’emprunte habituellement l’éclairage public est assuré : le front de mer. Tout était calme et rien ne présageait qu’à quelques kilomètres de là se jouait un drame qui laissera l’Algérie KO pour de longues années. En effet, arrivé du côté de la place des Martyrs, une odeur particulière commençait à chatouiller mes narines et plus j’avançais et plus l’odeur devenait insupportable. Il a fallu que je lève la vitre de ma portière pour atténuer un tant soit peu cette odeur. Puis ce fut carrément de la fumée qui se répandait sur tout Alger. Là, j’avais deviné qu’il ne pouvait s’agir que de bombes lacrymogènes utilisées par la police pour disperser la foule. Mais quelle foule, à cette heure-ci ? Et pour quelle raison ? Un match de football entre les deux frères ennemis de Bab El Oued qui aurait mal tourné ? Mais il n’y avait pas de match ce jour-là. Du moins à ma connaissance. Mais, du côté de Padovani, à la vue des policiers qui couraient dans tous les sens, les choses se précisèrent davantage pour moi : aucun doute, il s’agissait belle et bien d’une manifestation pas du tout pacifique et réprimée à coups de bombes lacrymogènes. N’étant pas de la partie, j’ai pu franchir allègrement Bab El Oued en me faufilant avec ma Renault 5 brinquebalante entre des pneus et divers objets qui brûlaient sur la chaussée. Le lendemain matin, à Ain Benian, des groupes de jeunes, çà et là, plus ou moins abasourdis par ce qui venait de se passer, discutaient de l’événement et chacun y allait de son explication. La nouvelle de l’embrasement de Bab El Oued s’était répandue, la nuit même, comme une traînée de poudre même si, officiellement, il y avait un black-out total sur l’information. L’après-midi de ce 5 octobre, nous devions, ma femme et moi, nous rendre à une fête de mariage d’une cousine qui habitait à El Harrach. Sachant qu’à Bab El Oued la situation était à l’émeute et la route certainement barricadée par les uns (les émeutiers) ou les autres (les policiers), j’avais décidé de prendre l’autoroute, la rocade Sud, même si ça faisait tout un détour. Ma femme était parée de tous ses bijoux ; je ne l’avais pas mise au courant de ce qui s’est passé la veille à Bab El Oued.

En fait, j’étais loin d’imaginer que la situation allait dégénérer au point que l’intervention de l’armée soit nécessaire et au point que celle-ci use de balles réelles.
Qui aurait, en effet, imaginé que l’ALN, celle qui quelques années auparavant avait libéré le peuple algérien du joug colonial, allait être utilisée pour réprimer dans le sang une manifestation d’enfants et d’adolescents ? Alors que cette tâche, c’est-à-dire le maintien de l’ordre public, incombe normalement à la police, celle-ci, pour des raisons qui restent encore inexpliquées et donc obscures, s’est, dès le lendemain, retirée de tout Alger et a laissé faire. En fait, elle était dépassée par l’ampleur des événements car, dès le lendemain, c’est-à-dire le 5 octobre précisément, d’autres jeunes des quartiers d’Alger avaient en quelque sorte pris le relais. Et ils s’adonnaient à cœur joie à tout ce qui symbolisait l’Etat : sièges du parti FLN, ministères, mairies, véhicules des sociétés nationales ou administrations publiques donc de l’Etat et non ceux des particuliers. C’est ainsi que, sur ma route, sur l’autoroute, j’ai pu voir, sans aucune exagération des dizaines de véhicules incendiés par les manifestants.

A suivre


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4 réactions à cet article    


  • morice morice 8 octobre 2008 12:33

     chahut de gamins... on aimerait bien en avoir un ici, non ???

    Qui aurait, en effet, imaginer que l’ALN, celle qui quelques années auparavant avait libéré le peuple algérien du joug colonial, allait être utilisée pour réprimer dans le sang une manifestation d’enfants et d’adolescents ?

    et pourtant....


    • Super resistant de l’islam 9 octobre 2008 09:32

      Pffff !


      C’est ce qui se passe dans la plupart des pays du moyen orient ou de l’afrique !

      Les "fiers resistants de la liberté" font semblant de defendre le pays et dès qu’ils sont au pouvoir , c’est massacres et dictature.

      Certaines cultures ne sont pas compatibles avec la democratie , voila tout.


    • Mohammed MADJOUR (Dit Arezki MADJOUR) Mohammed 8 octobre 2008 18:14
      Le 5 octobre 88 ou la révolution "bolchevique" à l’algérienne !
      Non ! Laissez l’Histoire tranquille !

      17 OCTOBRE est à des Années Lumières du 5 octobre ! L’un avait changé le Monde, l’autre n’a même pas réussi à déloger le FLN , lequel FLN avait même à l’occasion accouché d’une copie de sauvegarde au cas où ! Alors !

      A la fin des années 1980, le Monde entier avait fait sa mutation, les raisons sont historiques, culturelles, religieuses et évidemment éminemment politiques ! La Mondialisation batarde de l’argent était offiellement née pour se substituer à l’Universalité !

      Chaque pays avait plus ou moins compris et pris ses dispositions sauf l’Algérie, confuse, inerte, fossile, solidifiée dans sa carapace égoïste qui persiste dans l’anarchie, d’où l’individualisme, l’effritement et la dispersion totale des individus sur le territoire le plus riche du Monde mais sans aucun but ni ambition ni rien du tout !

      5 octobre vous dites, mais ou est le résultat !


      Ruminez cette loi : "IL N’Y A RIEN DANS LA NATURE QUI N’AIT ETE DANS L’ESPRIT !"


      A t-on voulu faire la révolution, on aurait sûrement réussi ! Et si l’échec est bien là, comprenez donc ...


      Mohammed MADJOUR.


      • Mohamed Ftelina Mohamed Ftelina 9 octobre 2008 09:27

        En Algérie, l’histoire a débuté avant le 5/10/88. Deux ailles politiques restaient depuis pas mal de temps, dans l’air de débattre sans craindre qu’il y en a des diversités aux pays des millions de martyrs.
        Meme les temoignages ne pouvaient rien faire devant des réalités politiques se basaient déja sur l’estrade de la fortune (oil) !
        Les Algériens ont l’unique espoir, celui de rester unifier ainsi une seule et unique famille.

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