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Accueil du site > Tribune Libre > Le Bagoo jeuniste de la Banque postale

Le Bagoo jeuniste de la Banque postale

Grâce au compte Bagoo de la Banque postale, - l’ignoriez-vous ? - « dès 16 ans, on peut posséder son compte à soi avec une carte de débit immédiat pour régler ses achats et retirer de l’argent partout en France comme à l’étranger ». Il est difficile de manquer les affiches de la Banque postale dans les bureaux de poste. La cible ? « Le jeune » ! Bagoo, dans un bagout peu ragoûtant, en a plein la bouche, du « jeune ». 

« Bagoo a tout prévu pour le jeune ! » - « Le jeune a de l’avenir, Bagoo l’a compris  » - « Le jeune aime à être reconnu » - « Le jeune aime à se faire remarquer. » Deux photos illustrent les deux derniers slogans. Sur la première, une nigaude blonde parade en robe du soir, lunettes de soleil rejetées en diadème, interrogée au micro par une autre nigaude brune tout infatuée d’elle-même : la première joue à la star et la seconde à la journaliste d’investigation en potins mondains. L’autre photo montre une autre nigaude, la moue suffisante, en robe d’apparat, retournée de trois quarts vers ses fans, avant de gravir, sous les flashs des paparazzi, un escalier couvert d’un tapis rouge. L’intericonicité est transparente : elle renvoie aux protocoles des festivals de cinéma. Sauf qu’ici, tout n’est que parodie, si l’on excepte, dans le cadre d’un concours de pacotille, le prix qu’offre la Banque postale aux quatre meilleurs réalisateurs d’un film d’une minute (!) sur un thème pathétique, « Le jeune et la célébrité » : rien moins qu’une participation à « La Nuit des NRJ Ciné Awards. »

Le réflexe du jeunisme

La Banque postale, on le voit, ne lésine pas pour ensorceler le client. Sa cible se nomme « le jeune ». Cette vague catégorie biologique est trompeuse : elle désigne, en fait, pour Bagoo, une tranche d’âge entre 16 et 25 ans, soit entre la fin de la scolarité obligatoire et la fin des études facultatives. Cet âge le plus souvent est celui de la dépendance économique. Justement ! Jeunesse n’attend pas ! « Moi, je veux tout tout de suite et que ce soit entier, ou alors je refuse », exigeait déjà, en février 1944, l’Antigone immature d’Anouilh, aux antipodes de la noble figure de Sophocle qu’il voulait discréditer. Bagoo accourt donc pour donner au jeune non l’indépendance économique, bien sûr, mais un de ses signes extérieurs, la carte bleue. Et pour capter son attention, Bagoo stimule à fond le réflexe du jeunisme, cette attitude démagogique qui pare la jeunesse de toutes les vertus du monde au détriment des autres âges de la vie.

Le leurre de la flatterie Cette stimulation se fait par une flatterie sans borne, au-delà même du ridicule. Mais la flatterie du renard de Jean de la Fontaine à l’égard du corbeau était-elle moins extravagante ? Existe-t-il même des limites à la flagornerie ? Le propre de la flatterie est qu’elle ravit à ce point l’amour-propre de son destinataire qu’elle paralyse sa raison : le corbeau en oublie que l’acte de chanter n’est pas compatible avec celui de tenir dans son bec un fromage ! La Banque postale n’en attend pas moins du jeune nigaud dont elle astique l’amour-propre jusqu’à espérer le faire sombrer dans l’aveuglement de la vanité : qu’il en vienne à oublier que l’absence de revenus assurés est peu compatible avec la détention d’une carte bleue ! Une façon détournée de faire casquer au besoin les parents La Banque postale confond ainsi, dans une ambiguïté volontaire, deux attitudes contraires. L’une est le légitime désir de reconnaissance éprouvé par chacun. L’autre est une pulsion déviante conduisant l’individu à « toujours se faire remarquer » sans raison, familière à certains adolescents en quête justement d’une reconnaissance par leur entourage. Car, pour « être reconnu » et « se faire remarquer », ne faut-il pas avoir à son actif au moins un acte qui le mérite ? La belle blague ! La Banque postale, qui est dans l’air du temps, sait pertinemment qu’il n’en est rien aujourd’hui. La notoriété sans cause, à la différence de l’enrichissement, loin d’être punie par la loi, est devenue une fin légitime : il n’est que de voir l’engouement rencontré par ces émissions dites de téléréalité qui fabrique des stars à la pelle à partir d’ individus obscurs n’ayant aucun titre à postuler à une notoriété, sinon celui de partager l’affligeante médiocrité des clients qui les regardent à la télé. « Vu à la télé » est, en effet, l’argument d’autorité qui permet de vendre aussi bien un primate qu’un poulet.

Une parodie humiliante

Le dévoiement du désir légitime de reconnaissance est poussé encore plus loin. La Banque postale offre au jeune un simulacre de reconnaissance dans une parodie de ces rituels mondains inventés par l’industrie du spectacle, qu’elle érige en modèle comme s’ils étaient la consécration ultime de tout. L’habit fait le moine : on se déguise en robe du soir, et on est une star ; on joue les porte-micro au service de la promotion des stars, et on est une journaliste. La parodie est même encore plus humiliante pour les perdants du concours, soit tous les participants sauf quatre élus qui, selon le règlement, accéderont à un pastiche de la « nuit des oscars » : tous ces perdants, en effet, sont symbolisés par la caricature grotesque d’un garçon farfelu, introduite par effraction dans le champ de la photo de gala. Nouvelle intericonicité transparente ! C’est ainsi que des badauds s’agitent autour d’une interview sur la voie publique et se poussent du col pour se faire voir de leurs proches à la télé : la masse des nigauds n’a pas d’autre moyen, le plus souvent, pour être « vue à la télé ». Du moins cette intrusion d’un garçon aussi godiche que les filles mises en scène permet-elle de couper court au soupçon de sexisme : la nigauderie, assure ainsi avec raison la Banque postale, guette autant les garçons que les filles.

Cette publicité n’est qu’un exemple entre mille des tombereaux de flatteries insensées qui se déversent en permanence sur les adolescents, tant les entreprises sont avides de s’en faire des clients au plus tôt. L’acte d’enseigner dans ce contexte est-il encore possible, surtout si l’École n’inscrit pas à ses programmes ces méthodes de subornation des esprits dont usent les médias ? Comment ces adolescents peuvent-ils encore admettre qu’un professeur ait le front de leur mettre une mauvaise note à un exercice ? Adulés sans cesse comme ils le sont hors de l’École, ils ne peuvent que le soupçonner de malveillance. Et pourtant, disait le Figaro de Beaumarchais : « Sans la liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur. » À chacun donc de choisir : ou bien l’éloge flatteur, ou bien le « flatteur qui vit aux dépens de celui qui l’écoute. Cette leçon vaut bien (que du bagout de Bagoo, on doute). »

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Le Bagoo jeuniste de la Banque postale

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9 réactions à cet article    


  • Dominique (---.---.30.27) 9 octobre 2006 10:55

    Vos indignations sont souvent enchanteresses pour le lecteur. Celle-ci fait mouche avec finesse et cruauté (salvatrice), merci.


    • jerome (---.---.161.23) 9 octobre 2006 12:21

      Bravo ! C’est bien vu , dit en peu de mots , et très pertinent ! Vous n’abordez pas , par contre , les « offres » initiée par ce bagoo , réductions , promotions , etc , qui visent directement les parents (mobiliers , entre autres ...)


      • CONTESTATION (---.---.52.171) 9 octobre 2006 12:56

        Les années 70 auront bien renversé l’injonction par la flatterie.

        Force est de constater que les adolescents flattés succombent avec complicité aux images qui répondent à ce simulacre d’idéal, préalablement construit à coups acharnés d’affiches, de spots publicitaires, de logos et de marques par la très dominatrice industrie de la communication.

        Dans ce monde réduisant l’humain jusqu’à le confondre avec une marchandise, qui peux-tu être, toi, si tu n’as pas le pantalon truc, le téléphone machin et le compte bagoo ?
        - Un cave, une loose, un out-sider, un plouc, un re-lou, un cake, une tranche, bref... un objet de rejet suscitant mépris quand ce n’est pas moquerie.

        L’alternative est plutôt féroce.


        • clairette (---.---.153.103) 9 octobre 2006 21:02

          J’aime beaucoup votre article ! Excellente analyse des adolescents et jeunes ! Vous avez peut-être la dent dure mais je ne puis vous en blâmer. Effectivement, je crois que l’on a atteint un maximum de flatteries, voire de flagorneries, envers cette catégorie d’âge, inversement pproportionnelles à leur état de dépendance de plus en plus grande à leurs parents au fil des années. Les problèmes qui créent cette dépendance existent : allongement de la durée des études, prix des loyers, emplois précaires etc...

          Mais je constate en regardant vivre les « jeunes » de ma famille et de mon entourage qu’il n’y a pas vraiment de lutte pour rejeter cette situation et que la majorité paraît fort bien s’en accommoder, voire au-delà des 25 ans !

          Quelle vulgarité et que de mauvais goût dans les affiches présentées ! C’est un mélange de Blanche-Neige et de Cendrillon ! (pardon à Walt Disney)... Attention aux douze coups de minuit... le rêve risque de devenir cauchemar !


          • Josep Garp (---.---.99.11) 10 octobre 2006 13:25

            Très bon article. Je voudrais juste préciser qu’il ne faudra pas généraliser le cas des jeunes, en étant un, mais la tendance est réelle et majoritaire. Ce qui m’inquiète d’autant plus c’est que la banque qui propose de telles publicités est la poste, un intrument étatique qui pourrait être sensé plus formateur dans sa démarche. Une sorte d’exemple de droiture plutôt qu’un de consommation qui -ce ça la valeur de la France ? Ces politiques qui appellincitera plus tard ces jeunes à s’endetter comme l’état a su si bien le faire plutôt qu’à les convaincre d’utiliser leur argent de la meilleur manière. Maintenant la ligne est brisée par l’office de la poste, une privatisation n’y changerait plus rien, elle a déja fait son choix, malheureusement.

            Maintenant certes il faut blâmer les jeunes pour ce qu’ils deviennent, mais d’autant plus leur parents qui répondent à leurs caprices comme si leurs enfants devaient être les rois du monde. Regardons plus en détail la photo, si le jeune est capricieux, il n’est pas niais. Ces brochures sont là pour à priori convaincre des parents qui ont perdu un certains sens de l’éducation, qui demande de l’aide. Magnifique, Laposte les aide. C’est l’instinc maternel (ou partenel) qui refait surface dans un société plus permittive, moins dure, dans laquelle il est surement plus facile de protéger, et d’autant plus mal vu de ne pas le faire. Un déréglement face à un changement surement trop brutal des points de repères de notre société.

            Dans les programmes politiques, on ne parle plus que de la consommation. LA CONSOMMATION, ceux là ne sont plus que des Postes bis, et qui font perdre le sens des responsabilités aux jeunes, à leurs parents et grands parents. Mais nos politiques correspondent à notre société. Qui est alors le coupable ? L’individu collectif par sa niaiserie... ? Je l’espère, ça laisserait présager au moins un espoir pour l’avenir et ce pays...


            • Josep Garp (---.---.99.11) 10 octobre 2006 15:13

              En relisant mon commentaire, j’y ai vu une faute de frappe, plutôt un décalage de texte, une partie aussi a été supprimée, probablement la faute à la souris tactile de mon ordinateur et à ma maladresse. Je m’empresserai de corriger cela dans la semaine.

              Cordiales salutations


            • Beauceron (---.---.86.91) 10 octobre 2006 15:39

              Désolé, mais je crois que l’auteur tape complètement à côté.
              Le problème n’est pas un soi-disant « jeunisme ». Le jeune est et restera admirable.
              Le problème est celui d’une société de consommation, du paraître, qui cherche à fabriquer le plus tôt possible des consommateurs lobotomisés. La démagogie est trés forte, en direction des milieux populaires ou « low middle class », pour leur faire acheter n’importe quelle m...
              Que dire du gars de 40 ans, se piquant de gadgets, qui va se doter d’un module GSM ou de je ne sais quoi pour son téléphone portable, alors que le monde entier se fout de savoir où ce nouveau beauf ira cr... la bouche ouverte.


              • mandy (---.---.166.142) 27 décembre 2006 13:50

                moi je voudrais juste savoir combien de temp apres avoir deposé mon cheque je peut toucher mon argent


                • MAGGY (---.---.73.210) 15 avril 2007 15:48

                  je pense surtout que la banque postale à une image vieille et qu’elle a voulu conquérir les jeunes avec ce type d’affiche. « la nigaude brune » et « la nigaude blonde » comme le dit si bien l’auteur de ce texte on été employé pour décrire la participation au concours proposé par la banque postale et créer un lien avec les NRJ ciné awards. Si vous aller voir le fond de l’offre bagoo vouv vous rendrer compte que ce sont des offres adapté aux jeunes et qu’il ne peut être en découvert tout en leur donnant la possibilité de gérer ler comptes qd ils le souhaitent

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