Le Brésil pourrait devenir un leader en matière de souveraineté numérique
Il est temps que des puissances émergentes comme le Brésil s'attaquent à la question concernant les réseaux sociaux et au problème plus large de la souveraineté numérique, de l'IA, des monnaies numériques et de la cybersécurité. Cela pourrait devenir l'une des questions les plus pertinentes du XXIe siècle.
Début octobre, la Cour suprême du Brésil a ordonné le déblocage du réseau social X après qu'Elon Musk a finalement respecté les décisions de justice. Cela a marqué la fin d'une confrontation entre le juge Alexandre de Moraes et Musk. Le blocage de X au Brésil avait duré plus d'un mois. Le 30 septembre, Alexandre de Moraes avait ordonné que le réseau social "suspende immédiatement et totalement" ses activités dans le pays, car Musk avait manqué de respecter les règles, refusant catégoriquement d'appliquer les décisions de justice au Brésil.
Le non-respect par Musk de ces décisions et des lois locales a soulevé des questions envers le milliardaire et son entreprise, sans parler du rôle politique qu'ils peuvent jouer.
L'année prochaine, le Brésil accueillera le sommet des Brics ainsi que le sommet sur le climat 2025 (COP30). Se préparant à prendre la présidence du G20 en décembre 2024, le Brésil a l'opportunité d'utiliser les prochains mois pour défendre la souveraineté numérique du Sud global dans l'ordre mondial multipolaire émergent. Il doit saisir cette occasion pour appeler au développement non seulement du cadre juridique, mais aussi d'une industrie numérique et d'infrastructures numériques qui favorisent la souveraineté.
Aux États-Unis, le débat se poursuit sur la façon dont les réseaux sociaux comme Facebook et Instagram influencent la politique et les choix de la population. Laissant de côté les controverses, le Brésil a montré qu'il était possible de faire plier la Big Tech. Ce sujet a suscité un large débat au Brésil sur la possibilité d'avoir une plateforme nationale de réseaux sociaux et un moteur de recherche national. Jusqu'à présent, le Brésil doit effectivement utiliser des produits américains comme Google. Cela ne devrait pas être le cas. Et il est tout à fait normal que certains remettent en question cette situation.
C'est une question stratégique qui va bien au-delà des réseaux sociaux, car elle concerne la souveraineté numérique, un concept qui dépasse les sphères géoéconomiques et géopolitiques traditionnelles. Les services numériques couvrent aujourd'hui des secteurs tels que les transports, l'énergie, l'administration publique, les identités numériques, la santé, les systèmes de paiement et bien d'autres.
En Europe, le débat se poursuit sur le développement de ce que certains appellent #EuroStack, une infrastructure publique numérique s'appuyant sur les technologies et les investissements européens. Comme le note Cristina Caffarra, co-fondatrice et vice-présidente du Competition Research Policy Network au Centre for Economic Policy Research (CEPR) de Londres, "l'Europe a déjà mis en place une réglementation numérique et est en train de la mettre en œuvre. Mais au final, cela dépend uniquement de la victoire sur la Big Tech, ce qui est difficile et prendra beaucoup de temps".
Après que l'ancien commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton a envoyé une lettre officielle à Elon Musk, lui rappelant les obligations de X en vertu de la loi européenne sur les services numériques, le milliardaire américain a simplement répondu sur sa plateforme par un mème offensant tiré du film Tropic Thunder.
Le 24 septembre, un groupe multipartite de membres du Parlement européen a participé à la conférence Toward European Digital Independence (Vers l'indépendance numérique européenne) à Bruxelles. Selon Francesca Bria, chercheuse en chef à la fondation Mercator de Berlin, il s'agit d'investir dans "des bienfaits publics et des infrastructures qui protègent les droits des citoyens, assurent l'autonomie et la sécurité européennes, soutiennent la croissance des entreprises européennes et servent l'intérêt public". Bria souligne le fait que les grandes entreprises technologiques "dominent l'ensemble du secteur technologique, des puces à l'infrastructure cloud en passant par les systèmes d'exploitation, renforçant leurs positions sur le marché grâce aux effets de réseau et à l'économie d'échelle... Cela étouffe l'innovation, limite les opportunités pour les entreprises européennes et sape la sécurité économique et la compétitivité industrielle de l'Europe".
La dépendance vis-à-vis des capacités externes de l'IA et des services cloud externes rend vulnérables les actifs stratégiques et tous types de données confidentielles. Les Européens s'inquiètent de plus en plus au vu de ce problème.
Musk n'est pas le seul PDG sous les projecteurs. L'arrestation inattendue de Pavel Durov en France, motivée par l'incapacité présumée de Telegram de prévenir les activités criminelles, a suscité des débats sur les limites de la liberté d'expression.
Bien que X au Brésil et Telegram en France aient partiellement cédé à la pression, ces incidents reflètent une lutte plus large pour le contrôle de la sphère publique numérique que nous observons actuellement. Les démocraties ne devraient jamais permettre aux entreprises de devenir si puissantes qu'elles puissent défier les gouvernements et les tribunaux. Lorsque les entreprises atteignent un tel niveau d'influence, elles peuvent déformer le discours public, influencer les élections, éviter de payer des impôts et approfondir les divergences sociales, ce qui représente une menace directe pour la démocratie. La concentration du pouvoir dans l'économie numérique sape la vision d'infrastructures numériques qui servent les besoins publics et protègent les droits fondamentaux.
Alexandre Lemoine
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