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Le Chiffre

 Si le Chiffre n'était pas une abstraction, il aurait une statue à son effigie dans chaque commissariat. Ou son portrait dans un cadre doré à l'or fin, à côté de celui du chef de l'État.
 Le Chiffre est une entité omniprésente et autoritaire qui plane au-dessus de chaque service de police...

...En chœur, tous les patrons le rappellent dans les incantations consacrées. Le Chiffre ! Je veux du Chiffre ! Ramenez du Chiffre !
 Chaque flic doit garder à l'esprit qu'il existe avant tout pour le Chiffre. On ne lui demande pas d'avoir la foi en le Chiffre, mais simplement de le pratiquer au quotidien. Sans se poser de questions. Et avec ferveur si possible.
 Le Chiffre est très important, car grâce à lui on fabrique de la politique et de l'opinion. Le Chiffre ne fabrique pas de la sécurité, sinon ça se saurait.
Le Chiffre est gourmand, mais il n'a pas d'exigence particulière sur la qualité de ce qui le fait grossir. Il n'est pas gourmet, il est goinfre. Qu'importe la délinquance qui lui est amenée en offrande, il est même capable de se nourrir de vent...
 Le Chiffre peut devenir une maladie. Certains flics pensent bien faire en vouant, envers et contre tout bon sens, leur carrière au Chiffre. Ils deviennent ce qu'on appelle des gratteurs ou des chasseurs, et finissent par faire n'importe quoi. Ils voient des méchants partout. Le Chiffre à outrance peut donc provoquer des hallucinations, voire des délires de persécution pour les cas en phase terminale d'addiction au Chiffre. L'IGS accueille parfois des malades du Chiffre qui à force d'aveuglement ont fini par se prendre les pieds dedans, et déraper bêtement sur la loi.
 D'autres collègues, qui ont développé une immunité contre le Chiffre, préfèrent travailler des jours, si nécessaire, à la capture d'un vrai gros bandit, un seul, mais qui ira directement en prison sans passer par la case départ. Ceux-ci offensent le Chiffre qui ne fait pas la différence entre un vrai délinquant dangereux et un petit nuisible, et qui reste alors sur sa faim.
 Les commissaires de police, gardiens statutaires du Chiffre devant l'Éternel, se réunissent lors de grands-messes et ils comparent la grosseur de leurs Chiffres. Celui qui a le plus gros est considéré comme un très bon policier manager de troupes, et on en tiendra compte dans son déroulement de carrière.
 Mais être au service du Chiffre, ce n'est pas être au service du public. La sécurité n'est pas quantifiable. Elle n'est pas non plus un équilibre de Chiffres, et toutes les détresses n'ont pas d'unités de mesure.
 Le Chiffre est mathématique, mais il n'est pas la solution du problème.
Mauvais calcul. Il est un faux ami comme en grammaire...
 Les ennemis du Chiffre sont le libre arbitre et la rigueur, la vraie rigueur, celle qui engage la conscience. Et la déontologie.
 Le Chiffre est l'opium de la police.


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12 réactions à cet article    


  • Cocasse cocasse 11 avril 2011 10:10

    C’est proprement abominable ! Aucun véritable travail ne peut être mené avec cette obsession du chiffre. On laisse tomber les vrais enquêtes, et on va faire chier le citoyen ordinaire !
    Pourriez vous nous dire depuis quand cette politique du chiffre a débuté ? Et qui en sont les responsables depuis ce temps ?


    • Kalki Kalki 11 avril 2011 12:24

      Mais c’est une politique d’insécurité vous savez utilisé par l’extreme droite oh ahhhhhh

      Et sarkozy est un fachiste , qui fait mieux en terme d’idée de politique faciste que le pen ou hitler ou mussolini

      alors arrettez votre cynisme petit vendeur d’extreme droite ambulant


    • bénédicte desforges bénédicte desforges 12 avril 2011 02:00

      Le Chiffre a toujours plus ou moins existé. Les « chefs » aiment bien le quantitatif, c’est plus fumeux et plus simpliste que le qualitatif pour évoquer l’activité policière.
      Mais depuis Sarkozy, le chiffre est clairement devenu la politique du résultat et la pression s’est faite exponentielle (sans parler de cette invention sournoise qu’est la prime au mérite).
      Et puis le chiffre est devenu essentiel à la communication police, et police-médias, aux dépens des relations police/population.
      Tout se chiffre. Même le sentiment d’insécurité, c’est dire....


    • PAS GLOP PAS GLOP PAS GLOP PAS GLOP 11 avril 2011 10:21

      oui le chiffre est l’obsession du moment. Mais il faut expliquer pourquoi aussi.
      Depuis la « prime au mérite » , c’est la course à l’échalote . un flic de base va se prostituer pour 500€ en fin d’année ( soit 41,6€ par mois) , alors qu’un patron va allégrement croquer entre 20 000 et 60 000€ suivant son poste. Ca aussi il faut le dire.


      • Fergus Fergus 11 avril 2011 10:53

        Bonjour, Bénédicte.

        J’approuve totalement votre lutte contre les errements d’une police soumise au diktat du Chiffre. Il suffit pour se convaincre de l’absurdité de savoir que la mise hors d’état
        de nuire d’un semi-grossiste de la drogue est nettement moins intéressante que l’arrestation et le défèrement au parquet de quelques minables petits dealers. Dans le premier cas, cela nécessite un travail de fond aux résultats aléatoires qui ne se traduit pas, durant des jours, voire des semaines, par chiffres d’arrestations et d’affaires résolues, alors que les colonnes sont immédiatement alimentées par l’arrestation de petits dealers. C’est n’importe quoi !

        Autre illustration de la politique du chiffre : le nombre des reconduites à la frontière d’immigrés illégaux. Guéant l’a fixé pour cette année à 28000, présumant ainsi, comme l’avait Hortefeux avant lui, quel serait le contingent de personnes arrêtées et reconduites (ce qui en soi est une aberration) mais obligeant du même coup nombre de policiers à traquer les immigrés plutôt que les délinquants !


        • Fergus Fergus 11 avril 2011 10:59

          Pour ce qui est des immigrés et de la politique du Chiffre, petite anecdote citée il y a quelques semaines par Le Canard Enchaîné : un véhicule transportant des personnes en situation illégale a été intercepté par des policiers à la frontière espagnole alors qu’il s’apprêtait à franchir les Pyrénées pour gagner... le sud de l’Espagne. Les occupants ont été placés en centre de rétention puis expulsés en avion vers le Maghreb aux frais de notre pays alors qu’ils étaient précisément sur le chemin du retour de leur propre volonté ! Mais cela a permis d’augmenter le Chiffre.

          Encore bravo au ministère de l’Intérieur !


        • bénédicte desforges bénédicte desforges 12 avril 2011 02:03

          Je me rappelle bien de cette affaire.. le comble de l’absurde !

          Sinon, fixer le nombre de reconduite à la frontière pour l’année, c’est aussi surréaliste que le nombre de gardes à vue pour le mois suivant... La délinquance décidée et chiffrée d’avance, c’est quand même un sacré non-sens...


        • Fergus Fergus 11 avril 2011 20:02

          @ Bénédicte Desforges.

          Votre expérience est la bienvenue et vos articles intéressants. Dommage qu’ils ne soient pas plus lus. A cet égard, je vous suggère de soigner le titre qui constitue votre meilleure accroche. En l’occurence, « Police : les aberrations de la politique du Chiffre » aurait sans doute contribué à attirer plus de lecteurs.

          Cordiales salutations et félicitations pour votre engagement.


          • bénédicte desforges bénédicte desforges 12 avril 2011 02:13

            Merci pour le conseil :)
            Mais c’est de toute façon pas évident de se faire entendre, et de se faire comprendre.
            Je vous avouerais que j’ai l’impression de crier dans le désert et que c’est très décourageant.


          • Talion Talion 11 avril 2011 23:44

            Autant pour votre dernier article, le ton et la description m’avait donné envie de franchement afficher mon mécontentement envers l’institution à laquelle vous appartenez, autant celui-ci me redonne espoir envers les gardiens de la paix.

            Merci d’avoir eu le courage d’afficher clairement au travers de cet article l’état des lieu du malaise qui frappe votre profession. On a besoin que vous continuez à l’exposer.

            Par contre vous auriez pu parler des primes de fin d’année dont les commissaires bénéficient lorsque leurs « statistiques » (ah !ah !) sont bonnes.

            Il est en effet important d’exposer ceux qui se sont rendu coupable de collaboration passive dans ce fiasco.
            (Le mal ne triomphe pas à cause des salauds, mais surtout à cause de ceux qui regardent et laissent faire alors qu’ils auraient pu l’arrêter)


            • bénédicte desforges bénédicte desforges 12 avril 2011 02:26

              Talion, vous êtes tout à fait en droit de clamer votre mécontentement et toutes les réticences que vous voulez, mais s’il vous plait, gardez juste à l’esprit que je ne représente pas toute LA police (je n’y tiens pas du tout soit dit en passant..) Et en aucun cas les surenchères sécuritaires que nous observons depuis un bout de temps. Nous sommes d’ailleurs nombreux à ne pas y adhérer, mais ce n’est pas nous qui sommes le plus écoutés et à qui la presse tend ses micros. On vous sert du sécuritaire anxiogène et violent à toutes les sauces (reportages, docu, JT, etc..) alors comment voulez-vous que ceux qui veulent redonner du sens au boulot de flic dans ce qu’il a de plus quotidien, utile, et positif ne se retrouvent pas hors sujet ?
              Et puis il y a cette obligation de réserve qui rend beaucoup de mes collègues frileux et sourds muets. Ils n’en pensent pourtant pas moins.


            • Talion Talion 12 avril 2011 04:43

              J’en suis bien conscient, mais cela fait du bien de l’entendre de la part d’un gardien de la paix.

              L’absence de dialogue est éminemment destructeur.

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