Je ne l’ai jamais rencontré et moi-même j’étais globalement bien plus vache qu’hirondelle. Mais j’ai fréquenté une grande partie de ces garçons et filles qui dansaient avec la mort pour mieux ressentir la vie pourrait-on dire.
Pourquoi ?
Je ne sais pas.
Je ne sais pas pourquoi j’aimais me faire peur en sautant dans le vide avec un vague delta sur le dos.
Mais ce je peux quand même dire ce qui se passe :
On se retrouve en relation direct avec une chose qui fout les boules, qui file des sensations.
La relation directe, immédiate que nous éprouvons à l’âge de deux semaines contre notre mère, elle est certainement agréable sans être jouissive car non pensée.
Il me semble que par la suite, nous ne faisons qu’essayer de revivre des contacts directs mais pensés. Et comme ils sont pensés, comme ça forme des tas de mots dans notre tête, mots qui sont des médias, nous nous retrouvons en situation paradoxale où les mots, l’élément médiatique qui forme notre pensée, étant devenus le passage obligé pour penser « Ah que je suis bien » le médiatique finit par occuper toute la place. (Téléphone, Internet, bavardage)
Quand on est star sur scène et que le public applaudit à tout rompre, nous ressentons une vive émotion grâce au contact direct avec la masse. Mais tant la scène que le micro que l’ampli que la masse, ainsi que tous les mots qu’on met dessus sont des media. Etre acclamé c’ets ressentir une immédiateté par la voie médiatique, surtout si c’est suite à un discours.
Il y a un autre moyen de revivre des émotions immédiates, vraiment sans mots, par exemple en faisant l’amour (et encore, il faut que chacun le fasse sans la moindre pensée ou arrière pensée) et plus intensément encore en faisant l’amour avec la mort-vie, en jouant les acrobates ou pourfendeurs de dragons.
Il peut tout de même y avoir parfois quelque médiateté quand on desdend en ski un couloir « Ah quand les copains verront ma trace ! »
Mais sur l’instant même de l’exploit, il n’y a plus aucun mot, aucun média dans notre tête, on est en pleine affaire avec la Chose qu’on a choisie de baiser.
Par extension, nous avons inventé mille Choses avec lesquelles ressentir un relation directe exclusive. Ce besoin d’exclusivité fait que chacun développe sa Chose spéciale, son Guiness, d’où l’extraordinaire développenent des activités dangereuses.
Ainsi, un Kerviel, face à sa Chose, qu’il a créé sur mesures et qui lui est énorme, est en relation Toi-Moi en dépit de la montagne d’outils d’allure médiatique dont il a besoin. Quand il est face à sa Chose, il oublie tout le reste.
Il y a aussi le cas du bourreau face à sa victime, du sniper, du bombardier, du chasseur, là encore c’est une relation directe, exclusive et sans mots.
Toi-Moi, rien que Toi-Moi, sans le moindre mot, sans qu’on puisse en dire quoi que ce soit. C’est cela la relation la plus immédiate ou directe.
Il nous arrive quelques fois de vivre des immédiatetés non préparées.
Par exemple quand notre pied est en relation directe avec un caillou « Ouille ! ». L’émotion est intense, il n’y a quasiment pas de mots, c’est intéressant m’enfin un peu piteux.
Ou bien quand nous voyons soudain un OVNI, une oeuvre d’art, un requin, un cambrioleur, là en face de nous. Relation en Toi-Moi pure, sans mots, dont l’issue peut être plus gratifiante.
De ces différentes choses avec lesquelles nous pouvons vivre une grande émotion à digestion gratifiante, ce sont bien les jeux à risques qui offrent le plus grand pied.
Du coup, la relation bavarde avec les gens ressort creuse. Ceux qui pratiquent beaucoup les sports à risque sont taiseux. Nicolas Hulot fait partie des exceptions tant il est bavard ; mais je pense qu’il a fini par trouver que la relation silencieuse avec la Chose était bien son véritable objectif.
Il me semble que notre relation avec la cigarette ou la cocaïne peut être considérée comme une de ces relations très privatives et muette avec une chose en relation avec la mort-vie. Stupéfiante est la variété des stupéfiants : chacun invente là encore sa Chose ou son cocktail avec lequel danser.
Cette relation directe avec la mort-vie a donc parfois des allures très criminelles et parfois des allures que nous considérons moins criminelles, telle celle qu’entretenait Edlinger avec la falaise.
M’enfin, il nous suffit d’interposer entre le cas bourreau+victime et le cas Edlinger+ falaise, le cas de deux gladiateurs face à face pour voir que tout ça relève d’une sorte de criminalité d’un point de vue philosophique.
Ce n’est pas parce que l’aviateur ou le funambule s’écrase seul au sol devant mille spectateurs et qu’il n’a donc mis que sa seule vie en danger que ce n’est absolument pas criminel.
D’un point de vue judiciaire il n’y a certes pas crime, de même que quand un soldat tue, m’enfin dans le principe même de ce jeu, il est tout de même bien question d’interpeller la vie-mort.
Nous tous qui pratiquons volontairement quelque sorte de danse avec la vie-mort, nous sommes d’un point de vue philosophique des criminels.
(Et ça contrarie nos mères qui ne trouvent pas ça logique)