Le Gouvernement cédera-t-il pour revenir sur l’âge de départ à retraite à 62 ans ?
Réforme des retraites avec manifestations syndicales à plus ou moins fortes participations, menace de bloquer le pays dès le 7 mars, débats chaotiques à l’assemblée nationale, avec parfois des propos indignes de la démocratie. Mais cela sera-t-il de nature à faire annuler la décision de porter l’âge de départ à 64 ans ? Cette réforme portant sur l’âge de départ était-elle indispensable ?
Quelques rappels concernant les règles du système des retraites qui prévalent en France et en Europe
Les droits à la retraite sont différents d'un pays européen à un autre. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, on trouve en Europe deux systèmes ou modèles de retraite. Il y a le système dit « bismarckien » et le système « beveridgien ». Le premier, né en Allemagne, s'organise selon un principe de « contributivité », c’est à dire que chaque retraité touche une pension en fonction de ce que lui et son employeur ont cotisé au cours de sa carrière. Les pensions sont généralement gérées par les partenaires sociaux (syndicats de salariés et organisations patronales).
Le second modèle est né en Angleterre, du nom de l’économiste William Beveridge (1879-1963) qui fut chargé en 1942 par le gouvernement britannique de rédiger un rapport sur le système d’assurance maladie. Ce système s'organise selon le principe de « re-distributivité », lequel repose sur une couverture universelle organisée par l'État et financée par les impôts. A lire : https://www.vie-publique.fr/fiches/24113-systemes-bismarckien-et-beveridgien-detat-providence
Depuis, on constate l'hybridation des systèmes. Par exemple, en France on observe à la fois la présence des retraites contributives et des minima vieillesse financés par l'État pour les plus vulnérables, de la contribution de l'État aux régimes de retraites spéciaux, ainsi que des retraites pouvant résulter de l'épargne privée (fonds de pension, assurance vie, etc.).
Départ de l’age à la retraite, porté de 60 à 62 ans en 2011 et proposé à 64 ans en 2023
S’inscrivant dans la logique d’autres pays de l’OCDE, en 2011 le gouvernement Valls (Emmanuel Macron était ministre) avait relevé l’age de départ à la retraite par un report de 60 à 62 ans pour l’âge minimal de départ et de 65 à 67 ans pour l’âge du taux plein automatique (sans décote). Cette règle s’appliquait désormais pareillement aux salariés, aux indépendants et aux fonctionnaires. S’agissant de la retraite complémentaire des salariés (Agirc-Arrco), il faut même travailler un an de plus que prévu depuis 2019 pour éviter 10% de pénalité durant 3 ans
Le 10 janvier 2023, le gouvernement d’Elisabeth Borne a annoncé vouloir décaler l'âge légal de départ à la retraite de 62 ans à à 64 ans en 2030. Le président de la république qui impose ce report de départ de l’âge à 64 ans s’inscrit ainsi dans la logique d’autres pays de l’OCDE, ce qui soulève les oppositions que l’on sait....
L’un des arguments du gouvernement pour justifier sa réforme s’appuie sur le fait que la population européenne est vieillissante. Par rapport à la population totale, en 2020, 20,6 % de la population de l’UE avait 65 ans et plus, une hausse de trois points sur 10 ans. Un chiffre qui traduit une tendance au vieillissement général, mais il est toutefois variable selon les années (par exemple à la suite de la surmortalité liée au Covid-19) et au sein de l'UE où certains pays de l'Est ont une population moins âgée que les autres pays d'Europe. Ce pourcentage varie également entre les pays. En 2020, il est de 20,4% en France, de 21,8 en Allemagne et de 18,2% en Pologne. Les personnes âgées de 65 ans et plus sont, relativement à la population du pays, les plus nombreuses en Italie 23,2%, en Grèce 22,3%, en Finlande 22,3% et au Portugal 22,1 %.
Quelques autres rappels concernant le système des retraites français et son morcellement
En France, l’essentiel des régimes de retraite repose aujourd’hui sur un mécanisme de solidarité interprofessionnelle et intergénérationnelle qui est basé sur la répartition, c’est-à-dire que les cotisations versées par les actifs sont destinées à financer la pension versée aux retraités. Les cotisations se traduisent par une partie des retenues sur les revenus bruts (salaire ou bénéfice selon le régime).
La France se distingue aussi par un système complexe avec 42 régimes différents. Un salarié cotise obligatoirement au régime de base et à un régime complémentaire (sauf certains fonctionnaires ou salariés des régimes spéciaux qui ne versent qu’à un seul organisme). Au total, il existe 42 régimes différents dotés de règles de fonctionnement propres.
Parmi les caisses de retraite les plus connue, il y a la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) qui s’occupe de la retraite de base, l’Agirc-Arrco pour la retraite complémentaire des cadres et des salariés ou encore la Sécurité Sociale des Indépendants (ex-RSI) pour les chefs d’entreprise ou les autoentrepreneurs. Mais plusieurs autres structures de retraites viennent compléter ce descriptif, notamment, quelques régimes de base spécifiques, tel celui des agriculteurs, et de nombreux régimes obligatoires complémentaires.
Parmi ces régimes de retraites obligatoires, certains sont destinés aux fonctionnaires, comme la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP) qui est complémentaire à la retraite de base de la caisse des pensions civiles et militaires pour les fonctionnaire d’État. La RAFP se présente comme le seul fonds de pension en France avec un système par capitalisation. Autres régimes de retraite obligatoires avec la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), qui est le régime spécial de Sécurité sociale chargé de l’assurance vieillesse des fonctionnaires de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière.
D’autres régimes de retraites obligatoires sont liés à des professions particulières, comme, par exemple, la caisse de retraite des médecins, celle des notaires, des pharmaciens, mais aussi il s’y ajoute les régimes spéciaux comme pour ceux des agents de la RATP, de la SNCF ou encore des mineurs.
Avec ce morcellement du système des retraites, il existe de gros écarts entre les différentes structures. Ainsi, on peut déplorer, par exemple, que sur le plan administratif, une personne qui part à la retraite devra généralement attendre plusieurs mois pour percevoir sa première pension concernant ses droits issus des régimes de base. En revanche, il ne lui faudra que quelques semaines pour l’obtenir s’il est affilié à un régime complémentaire professionnel.
Un schéma complexe, dont le fonctionnement s’érode à cause de la problématique démographique
Avec un système complexe de 42 régimes différents, basé sur un mécanisme de solidarité interprofessionnelle et intergénérationnelle par répartition, s’il a très bien fonctionné lorsque le nombre d’actifs était largement supérieur à celui des retraités, mais depuis quelques années, il s’enraye à chaque crise économique et montée du chômage. Ce n’est pas quelques embellies passagères en « dent de scie » qui vont inverser cette tendance générale.
D’après le Conseil d’orientation des retraites (COR), Il montre aussi ses limites, compte tenu du vieillissement de la population. Les chiffres ne sont d’ailleurs guère rassurants. Pour le COR, entre la croissance démographique (en 2002 la France comptait 62 millions d’habitants alors qu’aujourd’hui il y en a 68 millions), soit une progression de 6 millions en une vingtaine d’années et cela va continuer d’augmenter. et l’augmentation du nombre de retraités avec la baisse du nombre d’actifs qui va progresser inévitablement à cause de l’évolution de la révolution numérique, les perspectives ne sont guère réjouissantes. Selon l’INSEE, à la fin de 2021, la France comptait 16,7 millions de retraités pour 29,7 millions d’actifs. Dans sa version la plus optimiste, elle devrait compter 18,9 millions de retraités pour 30,1 millions d’actifs en 2030. Mais ce ratio devrait fortement se dégrader à l’horizon de 2040. https://cleerly.fr/retraite/nombre-retraites
La survie financière du système actuel des retraites est-elle pour autant vraiment en péril ?
Imposé par le Président Emmanuel Macron, le gouvernement justifie sa réforme des retraites par la nécessité de sauver le système par répartition de solidarité intergénérationnelle qui est en vigueur en France depuis 1946. Il faut bien avoir à l’esprit que désormais, et pour les années à venir ce système souffre et souffrira inévitablement du déséquilibre entre le nombre de retraités et celui des cotisants. Dans la plupart des pays de l’OCDE, la dégradation de ce ratio s’est traduite par un relèvement de l’âge de départ à la retraite. Ce qui avait conduit la France à passer de 60 à 62 ans.
L’argument de l'équilibre du système financier des retraites est constamment mis en avant par le gouvernement et la première ministre Elisabeth Borne pour justifier cette réforme des retraite portant le report de l’age de départ à 64 ans , car il y aurait urgence à réduire le déficit.
Dans son dernier rapport de Septembre 2022 le Conseil d’orientation des retraites (COR) indiquait que « Le système des retraites était déficitaire de 13 milliards d’euros en 2020. Mais en 2021, retour au vert, le système a été excédentaire de près de 900 Millions d’euros et cette situation s’est prolongée en 2022, avec un excédent de 3,2 milliards d’euros.Pour la branche vieillesse des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse, l'exécutif prévoit toutefois un déficit de 2,6 milliards d'euros en 2023.
Mais, à court terme, les prévisions sont plus pessimistes. Quel que soit le scénario retenu, le COR table sur un déficit allant de 0,5 point de PIB à 0,8 point dès 2023 et pour dix ans. Résultat, en 2032, le trou sera de 20 milliards d’euros. Globalement, « sur les 25 prochaines années, le système de retraite serait en moyenne déficitaire.
Est-ce pour autant le bon moment pour engager une réforme des retraites avec un report de départ à 64 ans et n’y avait-il pas d’autres solutions pour alléger le déficit des retraites.
Il convient tout d’abord d’observer que selon le Haut Conseil des finances publiques, la réforme, telle qu’envisagée aujourd’hui par le gouvernement, la réforme des retraites creuserait de 400 millions d’euros le déficit de la sécurité sociale, ce qui le placerait alors à 7,5 milliards d’euros. Une estimation gouvernementale jugée « réaliste » avec un « impact très faible », par le Haut Conseil présidé par Pierre Moscovici, par ailleurs premier président de la Cour des comptes. A lire : https://www.vie-publique.fr/loi/287916-reforme-des-retraites-2023-projet-de-loi-plfss-rectificatif# : :text=Pour%20la%20branche%20vieillesse%20des,milliards%20d'euros%20en%202023.
Bien que dispersé en 42 régimes, il existait une « cagnotte » de 127 milliards d’euros pour financer les retraites
Malgré sa forte dispersion des systèmes de retraites français, un économiste ( Gilles Raveaud ) affirmait en 2019 qu’il existait bien des réserves financières considérables dans le système des retraites français cette année là, dont le montant, selon lui s’élevait à 150 milliards d’euros. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) le confirmait également dans son rapport publié le 21 Novembre 2019 en indiquant : « si l’on compte l’ensemble des réserves et dettes existantes dans les différents régimes ainsi que dans le fonds de réserve des retraites (FRR), il y a globalement 127,4 milliards d’euros de réserves nettes dans le système (déficits déduits). Soit peu ou prou l’équivalent des 150 milliards d’euros évoqués par l’économiste ».
La question de l'utilisation du Fonds de réserve pour les retraites s’est posée posé. Créé en 1999 pour anticiper l'évolution de la pyramide des âges et ses incidences sur l'équilibre du régime général d'assurance vieillesse, celui-ci a finalement été dédié au remboursement de la dette née des déficits de la branche vieillesse du régime général à compter de 2011 A lire : https://www.senat.fr/rap/r20-747/r20-747_mono.html. La crise sanitaire du Covid étant passée par là s’y est ajoutée. La question aujourd’hui porte aussi sur la nécessité de refaire cette réserve...
Bien qu’il faut s’efforcer de ne pas aggraver le déficit des retraites, la question qui se pose, n’est-elle pas : fallait-il engager maintenant cette réforme ?
Notre pays, comme d’ailleurs ses voisins, doit faire face à une forte ’inflation (environ 6 % en un an) qui risque fort de progresser encore. Liée en partie à la guerre en Ukraine, dont les risques de conflit nucléaire ne peuvent être exclus, mais aussi au dérèglement climatique qui va perdurer, faute d’un difficile changement radical de politique économique et de maîtrise la plus juste et équitable possible de la croissance démographique mondiale…
Ne fallait-il pas plutôt rechercher des solutions de financement externes à l’Etat pour alléger son déficit ?
- Je rappelle une fois encore que par l’usage du numérique qui doit concourir à simplifier les procédures et permettre des économies de gestion par la mutualisation, il faudrait réduire le nombre de régimes de retraite en procédant par des regroupements, mais aussi intégrer les régimes particuliers en déficit chronique, qui est comblé par l’État, dans le régime général ? Ce qui un temps fut d’ailleurs envisagé.
- Pour des recettes nouvelles, je rappelle qu’il serait indispensable de taxer les super profits des entreprises qui, directement ou indirectement par divers travers de spéculation, profitent de la guerre de la Russie à l’Ukraine. Ce qui est totalement immoral quand des centaines de milliers de victimes, avec des destructions, tombent sous les bombes. Selon plusieurs organisations, il est estimé que la taxation de ces super profits se situerait entre 5 et 10 milliards d’euros, voire plus.
- Je rappelle également qu’en en lieu et place de l’actuel impôt sur la fortune immobilière (IFI) qui ne « touche » pas forcément les plus riches, il conviendrait de créer une contribution solidarité sur la richesse (CSR) pour les très riches ( au-delà de 7 millions d’euros en y intégrant les biens immobiliers, les yachts, jets privés, berlines somptueuses au delà de 70 000 euros...) Ce type de contribution pourrait rapporter un peu plus de 3 milliards d’euros. Cette disposition s’appliquerait à tous les citoyens Français, que les gains de leur richesse se fasse en France ou à l’étranger (Dirigeants d’entreprises du CAC40, divers sportifs, dont des footballeurs, des comédiens, animateurs télé…). Un accord international dans ce sens doit être trouvé lors des réunions du G20…
Les deux mesures suggérées concernant les recettes, ainsi que les économies de gestion par le transfert des régimes particuliers au régime général permettraient de réaliser incontestablement entre 8 et 12 milliards d’euros de recette pour le budget de l’État, voire beaucoup plus, dont une partie servirait à réduire le déficit du régime général des retraites.
Pour conclure
Il est semble bien qu’un retour à l’équilibre budgétaire des régimes de retraite qui dépendrait du niveau de productivité futur, c’est à dire qu’il y aurait un équilibre retrouvé entre actifs cotisants et retraités, avec le maintien par l’État de sa contribution publique qui serait faible, ce n’est pas pour demain. Dès lors, soit on reporte toujours plus loin l’âge de départ à la retraites et la durée des cotisations, soit, tout en faisant des économies de gestion par la mutualisation en réduisant le nombre de systèmes de retraites, on trouve des sources de financement extérieures au budget de l’État.
Sur le même thème
Réforme des retraites pour un futur naufrage électoral des partis présidentiels ?Comprendre la réforme des retraites présentée par Élisabeth Borne ce mardi 10 janvier 2023
Pour assurer nos retraites, soyons réalistes assurons l’existence !
Suicide politique assisté, conçu par Emmanuel Macron dans un rôle à la Dr Jekyll ?
La proposition de loi du groupe LIOT et le recours à l’article 40 par l’exécutif ?
23 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON