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Accueil du site > Tribune Libre > Le jeu des poses misérables ou « l’égosystème Macron »

Le jeu des poses misérables ou « l’égosystème Macron »

Le « Je » n’est pas le « Moi ». D’abord, le « je » est créateur. Quand Rimbaud dit « ‘je’ est un autre », il n’est plus sûr d’assumer ce qu’il dit mais ce dont on ne saurait douter, c’est que ce « je » est encore créateur. Ensuite, le « je » s’engage. Le « je » a été créé à une époque où l’individualité n’existait pas. Seul le roi pouvait dire « je ». L’expression à la première personne était réservée aux évènements de grande importance : pour prêter serment, porter témoignage, accomplir un rite comme le mariage. Enfin, le « je » est l’essence, alors que le Moi tient davantage du non essentiel : l’avoir, le paraître.

En résumé, dans le couple « Je- Moi », c’est le « je » qui pense, c’est lui qui crée, c’est lui qui s’engage. 

Voilà la base mais aujourd’hui ne voit-on pas le « je » se mettre au service du « Moi » ?

Ce risque était déjà dénoncé par Pascal quand il disait « le Moi est haïssable ». En société, c’est le Moi qui prend le dessus dans le couple « Je - Moi » et d’ailleurs, l’individu parle en disant « moi, je… », ce qui inverse l’ordre naturel du couple et n’est que trop révélateur de cette tendance.

Dans ses excès, le Moi, qui est lié aux humeurs, prend la place du « je » et établit un lien entièrement affectif entre l’individu et le monde. L’humeur de notre Moi tranche de tout : on aime ou on déteste telle chose ou telle personne sur la foi de sa seule première impulsion. Il est bon d’étaler partout la liste de ce que l’on aime et de ce que l’on n’aime pas. Pareillement, nous sommes sommés par la doxa de toujours donner notre opinion sur les gens, les collègues comme ceux qui nous gouvernent.

Le « je » se serait-il aliéné au Moi sous la pression du monde qui va de plus en plus vite et qui nous sollicite constamment de diverses manières ?

Le Moi est un pronom irréfléchi !

Certes, il y aura toujours des religions, des gourous, des philosophes, pour appuyer les personnes dans la voie de l’essentiel. Mais leurs voix deviennent minoritaires et même souvent inaudibles dans le tintamarre des médias, des bavardages, du mercantilisme. Quand quelqu’un s’adresse à vous, il ne s’adresse pas à votre « je » (dont il se moque éperdument) mais à votre « Moi ». Il veut vous entendre donner votre avis, amorcer une dispute, vous forcer parfois (de plus en plus souvent dans notre société qui moralise chaque propos tenu) à vous justifier, et à vous justifier encore, à vous engager vite par des mots et sans trop réfléchir. Dans cette spirale, votre « je » disparaît aussi vite que l’eau qui s’écoule dans le trou d’un évier. C’est ce que je nomme "l’égo système". L’égo pris dans son système. Le « Je » est à privilégier en toutes circosntances car il ne dépend en rien d’un système, il est l’essence, il est la vie, la vérité. Poussière de cosmos !

Le jeu du « je » est créateur, celui du « Moi » est dangereux : il étouffe le « je ».

C’est tout un « égo système » qui nous tient sous sa coupe. Quand le « Je » veut des progrès, le « Moi », lui, regarde les progrès accomplis avec mépris car le Moi veut plus que des progrès : il veut des victoires ! Il suffit d’observer les animaux politiques pour s’en convaincre. Il n’est pas jusqu’au premier d’entre eux qui ne soit atteint de ce mal quand il prend plaisir à humilier en public des adversaires en situation d’infériorité. Car le Moi a des adversaires et des ennemis. Il se compare, rivalise. La compétition est son dada. Pour cela, il est prêt à tout, même à la tricherie et aux bassesses. Oui, Pascal, le Moi est haïssable !

Dire dans un élan grandiloquent qu'il faut sauver l'enfant Mozart et les jours d'après humilier Amadeus selon la méthode sèche digne d'un "Brice de Nice", montre une contradiction certaine entre les discous trompeurs et la vérité de la pensée du tribun.

Le "Je" est le Précieux

Pour retrouver son "Je", il faut s’affranchir des pesanteurs et des contraintes du Moi, cette partie sociale de nous-même qui n’agit que sur le coup des désirs et des humeurs, qui est réglé par les préjugés ambiants et hérités. Le Moi réagit plus qu'il n'agit et ne pense. Et de réaction en réaction, le Je se perd...

Descartes est parvenu à cela en dépouillant le « je » du Moi (illusions des sens, désirs) mais aussi du Nous (la doxa, l’éducation). Mais son opération salutaire de dépouillage est trop radicale pour devenir une façon de penser de tous les jours. L’autre méthode, la méthode humaniste, est celle d’Augustin et de Montaigne qui disaient « je » en parlant de chacun mais d’eux-mêmes aussi. C’est le Je de témoignage qui parle de l’amour, de l’amitié, et même du sexe et de nos défauts. Le Je est plus attaché à dire son amitié qu’à se chercher des compétiteurs ou des individus sur lesquels déchaîner ses humeurs.

« Parce que c’était lui, parce que c’était moi. » C’est par cette simple formule que Montaigne traduit avec simplicité toute la force de son amitié avec Étienne de La Boétie. Par l'expression du Je, le penseur, le philosophe du couple "Je - Moi" devenu, hélas, le "Moi - Je" de notre époque, est capable d’humanité et de se dépasser dans l’humanité. L’humanité étant le lieu par prédilection du dépassement de soi. Monter sur l'échelle de soi-même et sur les épaules des Grands Autres, c'est aussi grandir en humanité.

Le geste dépasse les poses

L'humanisme, c’est le "Je" retrouvé, mais point aussi exigeant que celui de Descartes, c'est le Bon qui fait du bien. Savoir exprimer ce qui est au fond de nous, redire l’essentiel, reprendre le flambeau de Socrate qui prônait l’introspection, voilà tout ce qui donne sa noblesse au "Je" et en fait sa valeur. L’introspection que m’enseigne le précepte « connais-toi toi-même » m’apprend à me connaître et me rend plus tolérant avec les autres. Si je fuis ce que je suis, je serai médisant et méchant envers mes congénères car je leur trouverai tous les défauts que je ne veux (ou ne peux) pas voir en moi. Les petites victoires du Moi dans les poses de Monsieur Macron sont la quintessence du monde que l'on veut nous imposer comme seule voie possible avec l'individu-type fabriqué sur mesure pour le faire fonctionner.

Le Moi qui veut te gouverner par le désir, l’humeur ou l’impatience, méconnaît cette étape essentielle et te jette sur un chemin semé d’embûches flanqué de ton pire ennemi : toi-même ! Le « Je », tout au contraire, est ton fidèle ami tout au long du chemin. Le « Moi » te fait divorcer de toi-même, alors épouse-toi plutôt !

Retrouver la valeur qui est dans le geste, qui fait Un avec la vérité et qui est spontané, dans ce geste qui n’a aucune parenté avec les poses du Moi, ce Moi méprisable et méprisant s'affiche, s’adjuge, s'affronte et pour quels résultats ? Pour porter des blessures à l’Autre, pour rester sourd au témoignage et à l’essentiel. Les poses sont misérables, le geste est grand.

Le geste s’il-vous plaît, et assez de poses !

 


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6 réactions à cet article    


  • Christian Labrune Christian Labrune 24 septembre 2018 21:09
    Ce risque était déjà dénoncé par Pascal quand il disait « le Moi est haïssable ».
    =======================================
    @Taverne,
    Dans la phrase de Pascal, le « moi » n’a rien à voir avec l’ego romantique ; le moi Pascalien, c’est « l’amour propre » qui est, pour reprendre la définition de La Rochefoucauld, « l’amour de soi et de toutes choses pour soi ». Ca ne colle pas vraiment avec vos explications.

    Et quand vous dites que « le moi est un pronom irréfléchi », je suis désolé de devoir vous dire que c’est exactement l’inverse. C’est le « je » qui est irréfléchi. qui marque simplement cette partie du monde qu’occupe momentanément celui qui s’exprime, Quand JE parle, de ce coin de la pièce, ce n’est pas TOI, qui parle, le l’autre coin. Je suis le sujet de mon discours, sans avoir à préciser ce qu’il en est de la singularité de mon être. Quand je dis MOI, en revanche, ce qui fait ma spécificité ontologique se trouve thématisé et souligné. On passe de l’impensé d’une spontanéité purement automatique à un minimum de réflexivité.

    • Taverne Taverne 25 septembre 2018 11:08

       @Christian Labrune

      « le moi est un pronom irréfléchi » = le Moi agit de façon irréfléchie. Humour...

      Le Moi classique n’avait pas d’individualité : l’artiste appliquait les codes. Lors de la Renaissance le Je a voulu s’affranchir mais la religion chrétienne s’est empressée de le réduire à nouveau au silence : Concile de Trente, Inquisition, classicisme.

      Le Moi romantique du XIXème était particulier, il s’exprimait par la douleur du sentiment et une forme d’attrait morbide pour la Mort.

      Le Je individualiste est très récent. Il fait suite au « Nous » patriotique voire nationaliste qui a régné jusqu’à 1945. Il manque aujourd’hui un « Nous » valable et transcendant, car le Nous européen ne vaut pas tripette. Faute de cela, ce sera le retour au Nous nationaliste et populiste...


    • Christian Labrune Christian Labrune 25 septembre 2018 19:24
      Seul le roi pouvait dire « je ». L’expression à la première personne était réservée ....
      ===============================
      @Taverne

      Le pronom « je » n’est pas, que je sache, une fabrication récente. Il est présent et constamment employé depuis les origines de la langue. On croirait que vous n’avez jamais lu la littérature médiévale.

      « Seul le roi pouvait dire »Je«  », écrivez-vous. Ben non, justement ! Le paysan s’autorisait sans difficulté à dire quotidiennement des choses telles que : « JE m’en vas traire ma vache ». Henri IV, certes, aura probablement dit souvent à l’une quelconque de ses maîtresses : « il faut que J’aille pisser, je reviens tout de suite », mais le roi, lorsqu’il se tient en tant que roi en son conseil, et plus encore en un lit de justice, disait « Nous ». C’est ce qu’on appelle, très précisément, le « nous de majesté », que les chartistes rencontrent dans tous les documents officiels de l’ancien régime et que personne n’ose plus guère utiliser, de peur d’être ridicule.

    • lala rhetorique lala rhetorique 25 septembre 2018 09:08

      Les trois derniers présidents ont été proposés et choisis par la finance non pas pour leurs capacités à présider, mais pour leur égo surdimensionné. Les mégalos sont des gens finalement fragiles, la mégalomanie étant, n’oublions pas, une maladie. Ceux qui ont le réel pouvoir, vous ne les voyez pas, ils aiment l’anonymat, la vie tranquille, loin des médias et des projecteurs ! Notre président actuel découvre, en particulier avec le prélèvement à la source, que ce n’est pas lui qui commande ! il n’a que peu de marge de manoeuvre. Il a le droit de parader, de sortir des conneries, etc, vous avez quand même dû remarquer qu’il s’exprime comme Sarko, c’est-à-dire comme un voyou des cités ! Ces présidents n’ont aucune réelle envergure mais ce qui est grave, c’est qu’ils nous font les poches et que nous nous laissons faire !


      • Taverne Taverne 25 septembre 2018 11:19

        @lala rhetorique

        Le Je a été soumis à des siècles d’absolutisme monarchique, aujourd’hui il est sous le joug d’une autre forme d’absolutisme, fondé sur la puissance de l’argent mondialisé. Les citoyens sont redevenus des sujets asservis avec la complaisance des dirigeants dépourvus de vision.


      • zygzornifle zygzornifle 25 septembre 2018 10:21

        Moi président TOI TU bosse....

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