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Le « Jeune homme à la tête de mort » de Frans Hals, et, en prime... un gentil plagiat

Il m’arrive de publier sur Agoravox d’anciens textes que je diffusais autrefois sur le Net dans une page perso aujourd’hui disparue, sous le pseudo de L-C Chaupourel, « auteur philosophe ».

Je viens de trouver sur un site consacré à l’art une sorte de plagiat ou de résumé d’un de mes textes, concernant Le jeune homme à la tête de mort, œuvre du peintre Frans Hals. L’auteur du commentaire s’appelle « johannf ». Je ne lui en veux point (mais il aurait pu citer ses sources). Le lecteur trouvera ci-dessous le texte complet de mon commentaire. Je conseille d’aller sur le site pour trouver le reproduction du tableau, que je joins aussi en photo à mon article.

Autre aspect amusant, et presque psychanalytique, de mon commentaire, c’est qu’en définitive mon texte esquisse aussi une sorte de portrait de moi-même comme le jeune enseignant que j’étais à l’époque. Bref : un commentaire de tableau, un texte intimiste... et un gentil plagiat.

 

Le jeune homme à la tête de mort de Frans Hals (1581-1666)

 
Ce commentaire du tableau célèbre de Frans Hals, peint entre 1626 et 1628, ne prétend à aucune érudition historique. On tentera simplement de formuler par concepts l’émotion originelle dont semble émaner cette œuvre.

 

I° Les constats.
 A - Une série de contraste.
 Ce qui frappe tout d’abord, même si le procédé est traditionnel pour toute représentation de la "vanitas", c’est l’opposition entre la vie et la mort, d’une part, l’apparence et la réalité, de l’autre. Tout est, tour à tour, jeunesse et caducité, jeu et sérieux.
 On voit tout d’abord un adolescent poupin, tenant une tête de mort ancienne, puisque réduite à l’os. Le jeune homme est grave malgré la fantaisie purement théâtrale de son costume, comportant un chapeau orné d’un plumet désinvolte. Une certaine mollesse de traits met en valeur pourtant la sagesse de son regard. Sa main droite est vibrante alors que la gauche, immobile, soutient le crâne. Ses cheveux, presque ébouriffés à l’instar de son plumet, font contraste encore avec la cape, ample et solennelle, qui donne au jeune homme une carrure virile. Enfin, la présence massive de ce personnage (accentuée par l’absence de décors) semble atténuée par la fuite de son regard. Quand au couleurs, elles se disposent selon une double tendance au rouge, symbole de feu et de vie (chapeau, plumet, manche), et au noir, représentant la terre et la mort (cape, chevelure, chapeau).
 B- Des contrastes constamment atténués.
 Le jeu d’oppositions qui structure cette œuvre n’est pas tranché. Bien au contraire, tous les éléments antinomiques paraissent s’atténuer, se résorber dans une atmosphère globale, moins différenciée. On peut en citer de nombreux exemples.
 La tête de mort, tourmentée comme par une envie de mordre, semble vivante jusque dans sa mortalité, alors qu’à droite la main, vivace, est pourtant coupée dans son élan par une sorte de syncope. La cape et la chevelure, antagonistes en leurs mouvements, sont similaires au point de vue de la couleur . L’opposition rouge-noir, du reste, ne crie pas, puisqu’il s’agit plutôt de rose et de brun, et que tout tend à se noyer dans un beige uniforme Quand au plumet fantaisiste et théâtral, il se penche quand même vers la tête de mort, comme pour la signaler.
 On pourrait multiplier les exemples. Mais tous tendent à mitiger les antithèses scène-réalité, apparence-vérité, jeu-sérieux, élan-arrêt, vie-mort, en une ambiance intermédiaire, doctorale, mais sans prétention, en d’autres termes : pédagogique. Le jeune homme semble avoir discouru sur la mort avant d’être coupé dans son éloquence par un événement qui l’intéresse vivement, sans toutefois le troubler. La main se lève, interrompue par le regard qui s’éloigne : il s’agit bien là d’une attitude professorale surprise, quoique sans stupeur, dans sa lancée.

II° Conséquences.
 Rien de tragique en cette œuvre. Si elle est constituée de contrastes, c’est de contrastes résorbés. le personnage n’est pas déchiré entre l’angoisse de la mort et la frénésie de la vie. Ni abîmé dans la méditation macabre ni gaspillé dans le divertissement, il a réussi un compromis supérieur. Il jouera sa vie, guidé par la conscience, lucide mais non découragée, de sa finitude. Il créera son existence dans le champ que lui laisse ouvert sa mortalité. Chaque peine et chaque plaisir qui se présenteront, il les considérera raisonnablement. Ce jeune homme, pour parler clair, est l’incarnation de la Prudence.
 Ses traits poupins et gourmands se subliment dans la grande intelligence du regard ; il n’observe pas la tête de mort mais la sent peser sur sa main gauche ; il considère un événement extérieur avec une attention sincère, mais sans fascination : c’est le portrait du bon sens et de la maîtrise de soi.
 la sagesse concerne autant les rapports avec les choses qu’avec les personnes. Dans ce cas, l’événement qui interrompt le jeune philosophe ne pourrait-il pas être une remarque formulée par un auditeur placé dans un coin de la salle ? Et avec quel intérêt le jeune homme considérerait cette intervention, témoignant en cela d’une franche courtoisie et d’une pédagogie très sûre ! Il est vrai que, même s’il est seul représenté, on lui devine un public, ou, plus réellement, un auditoire. Car la sagesse est aussi commerce avec la pensée d’autrui.

Conclusion d’ensemble.
 Le premier trait de génie qui illumine cette œuvre a consisté dans une présentation esthétique de l’idée rationnelle de Prudence (ou, comme on voudra, sagesse, bon sens discernement, ... ). Les anciens et les modernes ont laissé des doctrines morales d’une grande élévation et ce serait une lourde tâche intellectuelle que d’en faire la synthèse. Mais ici, en un seul tableau, par le geste indivisible d’un grand artiste, se trouve incarnée une maîtrise de soi-même qui, peut-être, englobe et dépasse toutes les doctrines.
 Le second fut d’incarner l’idée sous les traits d’un jeune homme. Il est vrai que la jeunesse du personnage était impliquée dans la structure antinomique du tableau : la mort ne ressortait bien que sur fond de jeunesse, la jeunesse représentant mieux la vie que les périodes ultérieures de l’existence. Mais il fallait surtout que ce personnage, grand conciliateur, s’accomplît dans un compromis suprême et donc héroïque : faire de la jeunesse l’alliée et non plus l’adversaire d’une sagesse qui semble, au fond, toujours réservée à l’âge mûr. Là réside le charme et l’âme de ce tableau ; les traits adolescents du personnage n’incitent pas qu’à s’attendrir ; ils sont aussi et surtout charismatiques, infiniment plus en tout cas que le serait la mimique trop sereine d’un vieillard barbu, dont la sagesse traduit simplement la baisse des forces vives. Pour l’humanité jeune, et pour l’humanité tout entière, ce tableau jouit d’une valeur éthique exemplaire.
 On objectera peut-être que les peintres ont toujours représenté la "vanitas" par un enfant qui tient une tête de mort. Mais cela ne signifie pas que ces représentations soient toutes des réussites, abstraction faite de leurs qualités techniques. En outre, le tableau de Frans Hals ne représente pas la "vanitas", mais la conscience, lucide, et malgré cela optimiste, de cette "vanitas". L’œuvre de Hals possède donc une authentique originalité. Qu’on ait peint la vanité avant lui, et selon le même schéma d’ensemble, c’est un fait. Mais on l’a peint comme un problème sans réponse. Or, il fallait une réponse, sous la forme de la Prudence, et c’est Le jeune homme à la tête de mort qui l’apporte. Il la fournit en outre avec un charme inégalable. Telle est l’ultime génialité de l’artiste, qui, dépassant les fades allégories en vogue, sut composer une œuvre digne de contemplation, esthétique et morale.


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1 réactions à cet article    


  • Luc Paul ROCHE Luc Paul ROCHE 30 mai 2010 21:54

    Je m’aperçois que j’aurais dû publier cet article dans la rubrique « culture », puisqu’il s’agit de peinture, et non pas dans tribune libre ; les lecteurs me pardonneront !

     smiley

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