Le Linceul de Turin résiste au doute
À propos du Linceul de Turin comment ne pas rester perplexe ? Tous ceux, ou presque, qui se lancent dans des commentaires à son sujet ne cessent d’user du conditionnel, l’arme fatale du doute : il semblerait être celui de Jésus de Nazareth mais le carbone 14 dit que ce n’est pas possible.
Chaque commentateur non sindonologue – du mot « sindon » en italien – oublie de vérifier l’ensemble des informations disponibles en même temps que surabondantes : plus de 250.000 heures de travaux scientifiques réalisés par des diplômés appartenant à 70 disciplines différentes, cela laisse évidemment des traces… et c’est pourquoi l’on découvre chez l’un des approximations, chez l’autre des oublis, chez un troisième des erreurs – parfois des mensonges – qui déroutent le lecteur, averti on non. Ainsi, au sujet des pièces de monnaie de l’an 29 et de l’an 30 – que certains veulent absolument écarter parce qu’un chirurgien-dentiste non numismate a laissé planer le doute, disant que Pilate ne pouvait pas avoir frappé ces leptons, n’en ayant plus le droit depuis l’an 27 : mais il se le permettait simplement parce qu’il avait un très cher ami proche parent de l’empereur Tibère… Hélas pour lui, cet ami disparut en l’an 31 et il n’y eut plus de leptons de Pilate…
Cela pour dire que l’on aimerait à la fois plus de sérieux dans la constitution des dossiers et moins de cette « prudence » qui ne fait que masquer la méconnaissance de l’ensemble des recherches. C’est ainsi que par exemple les historiens ont accompli une magnifique besogne – confère notamment Yan Wilson et le Père Dubarle – si bien que l’histoire par elle-même suffirait à authentifier le document.
Ainsi, je vois que l’on commence enfin à aborder la question du sang intact alors que l’on devrait constater sur le Linceul la présence de sang altéré ou arraché – comme peut l’être le sang sur un pansement, une fois celui-ci arraché – mais sans se souvenir que le docteur Barbet avait découvert ce fait des plus surprenant en 1953, se refusant d’ailleurs à donner la moindre explication parce que justement il ne peut y en avoir, remarque qui gênera sans doute certains des internautes qui ont réagi avec agacement à l’article paru dans AgoraVox le 23 novembre dernier sur le Saint-Suaire de Turin, qui n’est d’ailleurs pas un suaire mais un linceul : un suaire servait aux Romains pour s’essuyer le visage quand il faisait trop chaud.
En 1993, un symposium a été réuni à Rome, comprenant environ 150 scientifiques venant d’une cinquantaine de pays différents, afin de répondre enfin à cette question du sang intact alors qu’il aurait dû présenter l’aspect de sang arraché. C’est à peine si j’ose « dévoiler » ici ce qui fut dit lors de ce colloque car il se trouvera nécessairement des internautes, absolument pas sindonologues, c’est-à-dire spécialistes du Linceul, pour venir dire que, puisque cela se passait à Rome, ce ne pouvait être que douteux : pourtant il convient de donner cette information qui a été fort peu reprise par les médias, encore et toujours fascinés par l’analyse par le carbone 14, pourtant vieille de vingt-deux ans…
Qu’ont donc déclaré ces chercheurs, dont il faut souligner qu’ils sont tous bardés de diplômes éloquents ? Ils ont simplement cherché quelle avait pu être la « condition » qui aurait dû régner à l’intérieur du Linceul pour que soit obtenu ce résultat « impensable » puisque radicalement impossible : cette « condition », qui ne peut évidemment pas être une explication scientifique puisqu’il ne peut y en avoir, a été exprimée sans ambiguïté et contresignée par des scientifiques athées, agnostiques et chrétiens ! En outre cette condition est également nécessaire pour que soit en quelque sorte « possible » l’impossibilité de l’image que l’on voit « normale » alors qu’elle devrait être en « développé », le linge ayant « enveloppé » le corps. Quelle est cette condition ? On peut la résumer de cette façon : pour que le corps sorte du Linceul il faut qu’il se dématérialise. S’il le fait, l’image sera normale et le sang intact. S’il ne le fait pas, le sang sera altéré comme du sang de pansement et l’image sera en développé. Peut-il exister une autre condition possible ? Non. (Le mot « dématérialisation n’a pas ici le sens que le lui donne le physicien nucléaire : il n’y a pas eu d’Hiroshima au 1ier siècle…)
Pour ces savants cette conclusion ne concerne que ce cadavre : pour eux, il a « simplement » perdu sa matérialité. On ne sait pas ce que cela veut exactement dire, on n’a jamais observé un tel phénomène que seul le document de Turin suggère, on ne l’a donc jamais étudié, jamais reproduit.
Il est certain que le concept fait peur aux commentateurs : comment n’avoir pas craindre, en rapportant ce fait, de se faire prendre pour des illuminés ? Cette peur pourtant est sans objet car la « dématérialisation », qui se comprend alors comme la situation d’un cadavre qui n’obéirait plus à ce qu’impose l’appartenance à notre espace-temps, est très loin de recouvrir l’étendue du concept de résurrection et elle ne saurait donc, en aucun cas, être prise comme « la preuve » de ce que les chrétiens disent être advenu dans la nuit du 4 au 5 avril 33, qui va du samedi saint au soir au dimanche matin de Pâques, événement d’une nature à ce point inconnue que les scientifiques ne peuvent même pas l’évoquer. (La date est fournie par les documents anciens (du 1ier et 2ième siècles), dus aussi bien à des païens qu’à des chrétiens et qui parlent de cet événement – ces Ténèbres qui obscurcirent Jérusalem, mais aussi Héliopolis, Carthage et Nicée de la sixième à la neuvième heure –, souvent considéré comme purement symbolique.)
Cela étant dit, il me paraît nécessaire de revenir sur la datation par le carbone 14, résultat reçu en 1988 comme un dogme mais aujourd’hui déclaré nul pour diverses raisons. La première est que l’on analysé des échantillons inhomogènes par rapport au principal de l’étoffe : pris dans un coin de ce tissu, qui subissait de fortes tensions lorsque l’on procédait à des présentations ou ostensions rapides du document – on alignait des évêques tout au long de ses 4,36 mètres, ceux qui se trouvaient aux extrémités devant tirer avec vigueur pour que l’image soit à peu près plane. D’où des travaux de renforcement, d’ailleurs réalisés avec une adresse remarquable, et qui sont cause du poids de ces échantillons – 43 mg par cm² -, alors que le reste du tissu ne pèse que 25 mg au cm²… Mais un chercheur étatsunien découvrit, sur des objets mayas rajeunis de six siècles par le 14C, un film produit par des bactéries se nourrissant du carbone atmosphérique, donc contenant l’isotope 14 : il le retrouva, recouvrant l’ensemble des fibrilles du Linceul et publia sa découverte en 1996. Ce film est très résistant, et il empêche donc le nettoyage des carbonistes d’être efficace. Hary Gove, qui en 1990 avait chanté les louanges de sa méthode – il est l’inventeur de l’amplificateur spectrométrique de masse dit ASM en français et AMS en anglais – déclara humblement en 2000 que le carbone 14, vu ce film, n’était pas le bon moyen pour dater le linceul.
Il y a d’ailleurs d’autres éléments qui entrent en ligne de compte et permettent de penser que le carbone 14 ne peut donner un résultat fiable quand il s’agit de vieux tissu qui ont beaucoup vécu, ce qui est le cas de ce document. Ainsi, l’on sait depuis peu que les grosses particules carbonées ne sont érodées qu’au plus à 50% par le lavage initial. On sait aussi que les pollutions anciennes ont eu le temps de diffuser une partie de leur carbone à l’intérieur des fibrilles : si l’on pense aux nuages de fumée d’encens qui ont enveloppé ce tissu quand il se trouvait à Edesse – l’actuelle ville d’Urfa en Turquie – dès le deuxième siècle jusqu’à l’année 944,date de son arrivée à Constantinople jusqu’en 1204, puis à Lirey, près de Troyes, à Chambéry, à partir de 1453 et Turin, dès 1578, où il ne fut conservé dans un reliquaire étanche qu’à partir du 19e siècle, on se doute qu’il a été fortement pollué, au point d’ailleurs que cette pollution forme comme un bruit de fond sur toute la surface du linge…
Je n’en dirai pas plus de peur de lasser : ces quelques précisions suffiront, me semble-t-il, à faire prendre conscience qu’il est bien difficile aujourd’hui de voir en cette image presqu’invisible réagi une fabrication hasardeuse due au 14e siècle… alors que la couture qui court tout du long est typique du 1ier siècle et tout à fait inconnue du Moyen Âge…
Dominique Daguet
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