Interpellé par un article sur agoravox (le web pour faire la révolution), j’ai tout d’abord commencé à y apporter un commentaire, afin de lui exprimer les points d’accord, et aussi les différences que j’entretiens avec son point de vue. Mais face à la longueur de mon commentaire, j’ai bien senti que le problème du “complot”, mis en rapport celui de la révolution, était plus compliqué qu’il n’y paraît.
Tout d’abord, je partage (même si j’en suis victime) deux constatations faites par l’auteur de l’article :sur le net fleurissent en ce moment dénonciations régulières de complot, et en parallèle de nombreux appels à une “révolution”. S’il est vrai que cette profusion peut nuire à la crédibilité des deux éléments, force est de constater qu’il y a autant de complots et de révolutions qu’il y a d’auteurs et de commentateurs. Cela signifie pour l’auteur que les hommes sont avides de secrets, de complots et de fantasme “Historique”. Cela est à la fois vrai et faux. Car si l’homme a toujours rêvé de jouer un rôle dans l’Histoire, l’Histoire le lui a bien rendu : Elle est auréolée d’individualités héroïques, émaillée de complots et parcourue de révolutions.
Car dans la définition même du concept de “complot” apparaît la notion de “secret”, et donc de mystère entourant ce concept. Le complot doit être préparé en secret, et sa réalité n’est due qu’à la Foi de ceux qui le désirent ou le redoutent (le complot). Cela signifie que si certains croient en l’existence d’un complot, leur réaction est de se rassembler discrètement (pour ne pas se faire repérer par les “agents” du complot) afin de lutter contre ce complot : ils donnent ainsi vie au complot anti-complot. Et bien sûr en face, on se rassemble aussi, il suffit de se croire visé et un nouveau complot est né.
C’est pour cette raison qu’il y a autant de complots que de différences. Un complot juif, musulman, chinois, américain, capitaliste, tout est possible puisque invérifiable : sans compter que les ennemis peuvent faire entrer n’importe quel courant dans le complot du voisin. Ou même faire croire qu’il en est ami, ou ennemi…
La révolution est l’acte qui révèle au grand jour le travail du complot, et qui permet de basculer brusquement d’un système de gouvernance à un autre. Lorsque cette révolution est passée, elle est inscrite dans l’Histoire. La seule possibilité de changer à nouveau sera d’en fomenter une nouvelle, et c’est par le complot que ceci est rendu possible. C’est souvent pour éviter de trop nombreux changements (tous les complots qui attendaient une faiblesse de l’ordre établi précédent voulant profiter de l’instabilité actuelle) qu’une dictature est rapidement installée. Toujours pour sauver une révolution.
Mais comme nos gouvernants sont eux-aussi passionnés par les complots, ils craignent les révolutions. Ils sont eux-mêmes victimes de la création de leur fantasme guerrier. Et de leur héroïsme de souvenir. Alors pour prévenir les révolutions, quoi de mieux que d’instaurer une dictature, en la préparant secrètement ?
Pas facile, mais il existe une solution, déjà bien éprouvée par les “héros” de l’Histoire, et synthétisée par la fameuse phrase d’Orwell : “on n’établit pas une dictature pour sauver une révolution, on fait une révolution pour établir une dictature”. Et oui, voilà les paradoxes du complot réglés : puisque les complots se créent toujours et partout, autant comploter volontairement, afin de créer le complot ennemi. D’où le “grand complot” : les dirigeants de la planète veulent conserver leur pouvoir, et les privilèges qui vont avec. Mais le capitalisme ne peut survivre sans inégalités, ce qui provoque toujours et inévitablement des conflits d’intérêt, pouvant déboucher sur des révolutions. Le plus simple est donc de créer eux mêmes cette révolution pour la contrôler, et déboucher sur une dictature pour garantir cette révolution. En légiférant sans cesse contre les libertés individuelles, en accroissant la misère des peuples ils parviendront à pousser tant de gens dans la rue que la révolte se produira. Alors les dirigeants ramèneront l’ordre, et seront en mesure d’établir une dictature.
Après c’est une question de point de vue : si la loi Hadopi est si urgente à adopter, est-ce la faute des internautes se préparant à la révolution, ou est-ce parce que cette loi risque d’être adoptée que les internautes se réveillent ?
Dans le premier cas, l’auteur de l’article aurait raison de croire que nous avons trop crié au loup. Dans le second, il est presque trop tard pour crier.
Cependant une chose est sûre, complot ou pas, c’est que nous regretterons de n’avoir fait que crier.
calebirri