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Le partage de la valeur, une idée neuve, vraiment ?

La prime "pouvoir d'achat" renommée "prime de partage de la valeur" fut créée dans l’urgence de la crise des gilets jaunes. Pourtant il existait des dispositifs qu’il suffisait d’étendre. N’est-il pas temps d’intégrer cette question du partage de la valeur dans la stratégie des entreprises, sans avoir à attendre les injonctions de l’État ?

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Quand le partage n’est pas gratuit.

La prime “pouvoir d'achat", étonnamment devenue : “prime Macron”, comme si le chef de l’État la versait personnellement, a troqué cette année la trivialité terre à terre de sa première appellation pour une dénomination quasi messianique : “partage de la valeur”. C'est en cette fin d'année qu'elle va être le plus souvent versée aux salariés, les entreprises qui le peuvent connaissant désormais à un mois près leur résulat de l'exercice 2022 et leur marges de manœuvre. L’État, contenant, excelle dans son pédagogisme et prend la main des entreprises pour ne pas avoir à leur tordre le bras. Si la “sobriété” tient le haut du pavé, il est un autre discours du moment : celui de la vertu du partage. 

La nouvelle version de cette prime, décomplexée par l’élargissement de ses montants, des salariés visés, de la périodicité de son versement, en fait désormais un outil d’une très grande souplesse pour des entreprises qui ont choisi la prudence. Plutôt que d'accorder dans l'immédiat des augmentations de salaire dans un contexte général particulièrement sombre et incertain, elles préféreront se tourner vers la prime de “partage de la valeur” qui n’engage pas l’avenir, dans un moment où la maîtrise de leurs coûts est devenue cruciale.

Le discours de la vertu n’est pas sans quelques arrière-pensées du côté des pouvoirs publics ; la création sur mesure du cadre d’une prime comme substitut à l’augmentation de salaire semble répondre à une stratégie à double détente : éviter la mutation du mécontentement social en déflagration, empêcher l'emballement de la boucle prix/salaires. Dans les années soixante-dix, la progression des rémunérations fut l’une des raisons, parmi d’autres, de la hausse des coûts de production et par conséquent des prix. La sanction en fut une perte durable de compétitivité.

Démocratiser le partage des bénéfices

Cette politique publique n’est pas sans poser question. Le partage de la valeur n’irait pas de soi en entreprise, tant l’encouragement au partage nécessite des incitations financières sous forme d’exonérations très coûteuses pour les finances publiques. Pourtant, il suffisait d’étendre la participation et l’intéressement à toutes les entreprises au moyen d’une simplification de l'enfer bureaucratique dans lequel pataugent ces dispositifs, qui recèlent de nombreuses qualités.

L’État aurait gagné à s'inspirer de l’éthique séculaire du partage de la valeur dans les sociétés coopératives ; il aurait pu alors s’exonérer de cette invention prise dans la précipitation de réponses à donner à la crise des “gilets jaunes”. Les sociétés coopératives (SCOP), qu’elles soient sous forme de SA, SARL ou SAS disposent d'une gouvernance démocratique ; les salariés ayant le statut d'associé sont associés majoritaires de la société. Ils possèdent au minimum 51 % du capital social. Il ne s’agit pas ici de prôner, pour tous, un modèle qui implique l’élection des dirigeants de la société par ses salariés. Ce choix et ce style de projet entrepreneurial n’est pas fait pour tout le monde, il requiert un certain état d'esprit et d’ailleurs on dénombre 3 800 SCOP sur les 3 800 000 entreprises françaises. Ce modèle est en outre parfois mal adapté aux activités nécessitant de lourds investissements.

Toutefois, toute entreprise peut s’inspirer de sa culture du partage des profits. Les bénéfices sont redistribués en trois volets :

Une part pour tous les salariés qui complète leur rémunération et pouvant être versée sous forme de participation ou d’intéressement. Cette part représente, en général, 40 à 45 % des bénéfices, sans pouvoir être inférieure à 25 %.

Une part pour les salariés-associés, versée sous forme de dividendes, qui représente entre 10 et 15 % des bénéfices.

Une part pour les réserves de l’entreprise, en général comprise entre 40 et 45 % des bénéfices, sans pouvoir être inférieure à 15 %.

La part attribuée aux réserves de l'entreprise assure son développement, renforce ses fonds propres et participe à sa pérennité.

La question du partage de la valeur émerge périodiquement à la faveur d’une crise aiguë, pour retomber dans l’oubli aussi vite qu’elle a surgi ; pourtant c’est une question de fond qui traverse la société dans son ensemble au-delà des clivages politiques. Elle mériterait une attention prolongée des pouvoirs publics et des partenaires sociaux. Au lieu de rafistoler dans l’urgence, ne pourrait-on pas s’inspirer d’un dispositif séculaire, éprouvé et apprécié ? Il permet de rémunérer, reconnaître le travail sans engager l’avenir et la pérennité de l’entreprise.

Le partage de la valeur, une opération gagnant-gagnant.

Notre propos pourrait laisser penser que ce modèle de redistribution s’oppose à la rémunération des actionnaires et des dirigeants. Il n’existe pas de contre-indication. Il est compréhensible de rémunérer ceux qui prennent le risque d’investir, les salariés, eux, ayant perçu une rémunération avant tout versement de dividendes aux actionnaires. Il est toutefois raisonnable, au XXIème siècle, de se poser la question des équilibres de la répartition des marges bénéficiaires.

Preuve qu’il n’y a pas d’opposition, dans les SCOP dénommées Coopératives d’Activités et d’Emploi, modèle original rassemblant des travailleurs indépendants ayant fait le choix de se salarier dans une PME mutualisée, aucun dirigeant ne néglige sa rémunération. Dans ce genre d’entreprise, chacun est dirigeant et salarié de son activité. Ils sont indépendants les uns des autres, tout en se développant ensemble. Le versement de la participation, de l’intéressement et des dividendes complète, augmente leur rémunération. Le dirigeant ne flouerait pas le salarié qu’il est et inversement. Dans les SCOP, personne n’aura crié : “Eurêka !” tel Archimède à l’annonce de l’invention de la prime. Elle aura plutôt provoqué parmi les sociétés coopértaives un sentiment de lassitude à n’avoir pas été consulté et à constater une énième mesure ajoutée au mille-feuille bureaucratique du pays. 

La pratique du partage de la valeur n’est pas un hochet qu’on agite, elle peut être insérée au cœur de la raison d’être d’une entreprise et contribue au respect de toutes les parties prenantes du projet entrepreneurial.


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14 réactions à cet article    


  • Clocel Clocel 25 novembre 2022 12:57

    Du pain aux canards...


    • L'apostilleur L’apostilleur 25 novembre 2022 13:55

      @ l’auteur 

      Votre sujet intéressant gêne tout le monde. C’est pourtant le coeur du partage des richesses en entreprise. 

      Les dirigeants d’entreprise regardent d’un mauvais oeil une participation qui a pour conséquence de faire entrer au conseil d’administration des salariés qui pourront peser sur les investissements qui pérenniseront l’entreprise au détriment des résultats à court terme ...

      Les syndicats ne montent pas vraiment au créneau sur ce sujet. Trop compliqué ?

      La gauche extrême genre notre ancien ministre PS Peillon, ignore le sujet.

      Vous avez raison de remettre ça sur le tapis.

      J’avais abordé ici le sujet. Sans grand intérêt apparemment. 

      https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/plutot-qu-un-nouvel-impot-ps-224755


      • the clone the clone 25 novembre 2022 18:21

        Une prime est injuste si tout le monde ne peut pas la toucher ...


        • titi titi 25 novembre 2022 22:40

          @l’auteur

          Dans « La Terre », Zola nous présente le monde agricole comme un monde de crevards. Ainsi que Fernand Raynaud dans son sketch sur les paysans.

          Pourtant, les seuls coopératives qui fonctionnent, ce sont les coopératives agricoles.

          C’est même du monde agricole qu’elles viennent (première fruitière à Comté crée au 13è siècle)

          Ailleurs ça ne fonctionne pas.

          La raison est toute simple : lorsqu’il s’agit de partager des bénéfices, tout le monde est volontaire. Lorsqu’il s’agit de remettre au pot pour financer un investissement, tout le monde se débine.

          Or c’est cela de possèder des parts dans une société : toucher des dividendes quand ça va bien, mais aussi refinancer quand ça va mal.

          Alors on va me dire que les actionnaires font appel aux banques pour remettre au pot. Sauf qu’aucune banque ne prête sans garantie.

          Les agriculteurs sont enracinés sur leur terroir. Ils ont la notion de patrimoine, de capital chevillé au corps. Ils peuvent se serrer la ceinture quand vient l’orage pour préserver ce capital.

          Ils connaissent la différence entre salaire et patrimoine.


          • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 25 novembre 2022 22:51

            @titi
            J’a acheté un Maroille AOP de rage ce soir . Tain avec une salade je va me tuer demain !


          • L'apostilleur L’apostilleur 25 novembre 2022 23:29

            @titi
            Quand nos camarades travailleurs auront assimilés les fondamentaux de notre remarquable paysannerie, ils trouveront bien des Montebourg pour les guider vers cet actionnariat salutaire. 
            Les LFI et autres syndicalistes coincés devront faire leur révolution culturelle. 


          • titi titi 26 novembre 2022 18:13

            @voxa

            "Dans une SCOP, Un homme = une voix, quelles que soient ses parts sociales.

            "

            Oui oui.

            Ca ça marche très bien quand il y a des bénéfices.

            Mais quand il faut remettre au pot, tout le monde se débine.

            Car c’est celui qui paie l’orchestre quie choisit la musique.


          • titi titi 26 novembre 2022 18:16

            @voxa

            "La plupart des coopératives agricoles n’ont de coopératives que le nom.

            "

            Poutant j’ai donné un exemple...
            Mais bon je comprends que ça vous demande un effort intellectuel trop élevé.


          • titi titi 26 novembre 2022 18:18

            @Aita Pea Pea

            "Maroille AOP de rage ce soir

            « 

            Désolé mais le Maroille c’est décevant : le goût n’est pas à la hauteur du fumet.
            On le renigle, on se dit »ça va envoyer", mais ça n’envoie pas grand chose.


          • lecoindubonsens lecoindubonsens 26 novembre 2022 07:53

            "Les bénéfices sont redistribués en trois volets :

            Une part pour tous les salariés ..

            Une part pour les salariés-associés...

            Une part pour les réserves de l’entreprise...« 


            Bon ok pour les réserves, j’appelle cela de l’investissement et non des bénéfices »

            MAIS !!!

            1. Concernant les salariés
              le salarié devrait n’être rémunéré que par rapport au service qu’il rend, et non lié au resultat de l’entreprise qui dépend en général de paramètres sans lien direct avec ce travail (les bénéfices extraordinaires récents de Total en sont un bon exemple)
              Naturellement salariés efficaces et bons résultats peuvent cohabiter, il suffit de donner de bons salaires ou bonnes primes de fin d’année à ces bons salariés, mais pas besoin de participation, intéressement, primes resultats, etc.
              Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué

            2. Concernant les salariés associés ! Terme à décomposer = salarié + actionnaire. Salarié voir au dessus. Actionnaire voir en dessous.

            3. Concernant les actionnaires
              la question est pourquoi faut-il rémunérer un actionnaire.
              Au début, c’était logique. Celui qui avait une bonne idée mais pas d’argent, associait qqs investisseurs à son projet. Pertes pour eux si le projet échoue, et dividendes pour les « remercier » si le projet réussit.

              Mais aujourd’hui, qui sont les actionnaires ?
              Reprenons l’exemple de Total.
              Depuis 10 ans nombre d’actions entre 2.4 et 2.6 milliards, 10 millions échangées par jour. Clairement les actionnaires ont ceux dont le seul rôle est d’avoir acheté des actions. Leur argent est-il allé vers l’entreprise ? Non, seulement dans la poche des vendeurs.
              Depuis 10 ans l’augmentation de capital est essentiellement due à des actions gratuites distribuées aux salariés (pourquoi ne pas les payer plus simplement en salaires et/ou primes)
              Pas un euro de plus pour l’entreprise, donc arrêtons de penser et de dire que l’actionnaire est utile pour l’entreprise.
              Et pourtant cet actionnaire reçoit tous les ans un peu plus de 2 euros par action (multiplié par 2.5 milliards d’actions = 5 milliards par an)
              En gros 50 milliards en 10 ans reçus pour n’avoir rendu absolument aucun service.
              Expliquez nous pourquoi est ce normal de payer un actionnaire qui n’est qu’un joueur de poker menteur sans aucun lien avec l’économie réelle d’une entreprise ?



            • L'apostilleur L’apostilleur 26 novembre 2022 08:31

              @lecoindubonsens
              L’exemple Total illustre bien un enrichissement pour cause exogène. Ni l’actionnaire ni le salarié ne sont impliqués dans la cause. L’effet d’aubaine a démultiplié les bénéfices. Pourquoi ne pas les partager ?

              Les financiers ont oeuvré pour changer un rapport à considérer. Au début du XXe s. les résultats étaient répartis entre les actionnaires 10% et 90% pour l’entreprise. A la fin du siècle le rapport était généralement inversé (Caisse Ep.)

              Concernant l’actionnariat des salariés, un pdg du cac prend les décisions que son actionnariat exige. S’il doit dégager des bénéfices à deux chiffres, ce sera parfois au détriment d’investissements qui pourront fragiliser l’entreprise. Les objectifs à court terme de l’actionnaire (fonds de pension...) ne sont pas les mêmes que ceux des responsables industriels. 
              Avec des salariés-actionnaires responsables ces décisions seraient différentes. 
              Évidemment, on trouvera toujours des cas particuliers pour alimenter cette discussion...


            • lecoindubonsens lecoindubonsens 26 novembre 2022 11:04

              @L’apostilleur
              Comme indiqué à @ Olivier Jouan

              dans mes commentaires avant modération, un bien meilleur partage de valeur me semble possible, beaucoup plus équitable !
              C’est le partage avec les clients de l’entreprise (dont font en général partie tous les autres : salariés, actionnaires, etc).
              Ce partage se fait très facilement en fixant les prix de vente à un niveau tel qu’il n’y a plus de bénéfices (je rappelle que je considère que les investissements sont prélevés AVANT calcul du bénéfice).
              Ainsi, c’est le partage le plus large entre citoyens.
              Les salariés sont équitablement rémunérés via salaires et primes en fonction de leur travail. Plus rien pour des actionnaires qui dans les grosses entreprises ne servent à rien (parasites inutiles vivant au crochet des autres)
              Ainsi vos inconvénients "un pdg du cac prend les décisions que son actionnariat exige. S’il doit dégager des bénéfices à deux chiffres, ce sera parfois au détriment d’investissements qui pourront fragiliser l’entreprise. Les objectifs à court terme de l’actionnaire (fonds de pension...) ne sont pas les mêmes que ceux des responsables industriels" disparaissent naturellement smiley Gestion plus saine des entreprises.


            • I.A. 27 novembre 2022 11:52

              Excellentes propositions.

              Le partage de la valeur ajoutée peut aussi être déductible des impôts de l’entreprise, par exemple.
              De même qu’il est possible d’imiter un achat à crédit : au bout de 5, 10 ou 20 ans d’ancienneté, le salarié devient actionnaire de l’entreprise à tant, tant ou tant de %.

              Et c’est un tel sujet de fond, comme vous l’avez si bien analysé, qu’il conviendrait de le préciser dans votre conclusion :

              « La pratique du partage de la valeur n’est pas un hochet qu’on agite, elle peut être insérée au cœur de la raison d’être d’une entreprise comme d’une communauté humaine, et contribue au respect de toutes les parties prenantes du projet entrepreneurial comme du projet sociétal. »

              Il est primordial de comprendre que nous sommes tous interdépendants, dans une société aussi complexe que la nôtre.
              Non seulement Macron ne semble pas l’avoir intégré, mais encore lui et son Europe sont en train de broyer, depuis 2020, la majorité des entreprises locales, tout en montant les Français les uns contre les autres...


              • the clone the clone 27 novembre 2022 18:13

                En tout cas on partage tous l’augmentation des énergies et des produits de première nécessité et on partage tous de force le roquet Macron ....

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