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 Le proscrit

 

Alors que son nouveau film, le bien nommé « J’accuse », vient de sortir, des associations féministes demandent la tête de Roman Polanski pour venger ses victimes présumées. Entre le créateur et le pervers sexuel, il n’y aurait donc aucune distinction à faire ?

 Il y a quelque chose de pathétique dans la vie de Roman Polanski. Vie brillante et réussie, sans aucun doute, mais marquée aussi par l’épreuve, la fuite et l’exil. Cela commença tôt, dès l’âge de dix ans, pour cet enfant du ghetto juif de Cracovie qui dût se cacher pendant plusieurs années pour échapper aux nazis. Jeune homme c’est à Londres qu’il part tenter sa chance dans le cinéma après s’être formé aux arts de la scène en Pologne. Le succès de Répulsion (avec Catherine Deneuve) et du non moins étrange Cul de sac (avec Françoise Dorléac) sera confirmé par le parodique bal des vampires. Hollywood commence à lui faire les yeux doux : d’emblée il lui offrira un chef-d’œuvre, le terrifiant Rosemary’baby en 1968.

 L’année suivant c’est le drame : Charles Manson envoie ses furies à l’assaut de sa villa hollywoodienne. Sharon Tate, sa jeune épouse, y sera sauvagement assassinée avec l’enfant qu’elle portait. Polanski, modèle de résilience s’il en est, n’en poursuit pas moins sa carrière de réalisateur starifié, enchaînant les fêtes et les orgies, notamment avec Jack Nicholson qu’il a dirigé dans Chinatown.

Les femmes, Polanski les aime jeunes, très jeunes ; une tendance qui ne plait guère à l’Amérique puritaine. L’affaire Samantha Geimer, qui éclate en 1977, lui vaudra de passer quarante deux jours en prison. Malgré un accord à l’amiable avec sa victime en 1993 (Polanski lui versera 500 000 dollars) et le retrait de la plainte, la justice américaine, qui ne s’estime pas quitte, lance un mandat d’arrêt international contre lui. Mais Polanski n’en a cure : il a refait sa vie en France et le succès accompagne toujours ses films. En 2002, Le pianiste lui rapporte une Palme d’or à Cannes, sept Césars, l’année suivante, ainsi que trois Oscars – dont celui de meilleur réalisateur – à Hollywood que, prudent, il ne viendra pas chercher.

Son passé de proscrit le rattrape néanmoins à Zurich en 2009. Retour pour deux mois à la case prison, mais il échappera à l’extradition vers les USA. Les années 2010 voient l’émergence d’une dizaine de plaintes tardives, toujours pour des agressions sexuelles commises trois ou quatre décennies plus tôt. Et la dernière en date, celle la photographe Valentine Monnier, relance la polémique autour du cinéaste franco-polonais de 86 ans. Qui est réellement Roman Polanski ? Doit-on établir une nette démarcation entre le génie et le pervers ?

Pour les féministes qui manifestaient mardi soir à Paris, devant le cinéma le Champo où l’on projetait en avant-première J’accuse, son dernier film inspiré par l’affaire Dreyfus, la question est tranchée : entre l’homme public et l’homme privé, il n’y a pas de différence et Polanski, tout comme Harvey Weinstein voici deux ans, devrait être déchu de toutes ses distinctions pour sa conduite scandaleuse envers les femmes. On mesure ici le caractère passionnel et excessif de leur demande. Mais n’est-ce pas le propre de la vengeance, elle qui, contrairement à la justice, ignore la tempérance et la prescription ?

 A l’inverse nous pensons que si Polanski peut encore être jugé, il faut que ce soit dans une salle de justice et pas sur la place publique. Il faut qu’il puisse se défendre des accusations portées contre lui et que personne ne puisse remettre en question la décision des juges, quelle qu’elle soit. Quant à son œuvre cinématographique, elle ne doit pas être affectée par ses dérapages intimes (dont elle est en partie nourrie) et rester accessible à tous. Du reste, le public français a pris fait et cause pour cette deuxième option en allant voir massivement J’accuse dès sa première semaine d’exploitation. Il n’empêche : nos modernes érinyes - ces divinités infernales de la vengeance dans la Grèce ancienne – ne sont pas prêtes de le laisser longtemps tranquille. Entre ombre et lumière, la vie de Roman Polanski concentre tous les éléments d’une tragédie antique. 

 

Jacques LUCCHESI


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5 réactions à cet article    


  • marmor 16 novembre 2019 12:07

    Vous pensez quoi de « l’œuvre » de Balkani ? Faut-il la dissocier de ses turpitudes ?


    • Albert123 16 novembre 2019 12:21

      Polanski fait des films d’une qualité indéniable, les mytho misandres du féminisme hystérique avec leur posture de victimes permanente jamais responsables de rien sont nuisibles.

      on sait donc qui doit disparaître pour apporter un peu plus de paix à la société. 


      • ZenZoe ZenZoe 16 novembre 2019 17:59

        Je suis contre tout tribunal médiatique.

        Pour autant, il faut bien constater que, souvent, seule cette tactique délètère et malsaine en soi fonctionne pour attirer l’attention et faire bouger les choses. Et en matière de viol et de violence envers les femmes, les choses ne bougent pas bien vite, surtout en France, J’ai lu avec attention l’article sur Agoravox concernant les propos de Dolto, toujours d’actualité chez beaucoup. On biaise, on trouve mille excuses, on accuse les femmes, on défend les hommes, on sort des chiffres, on en oublie d’autres etc... Pas très reluisant tout ça

        Si la cabale contre Polanski peut nous forcer à regarder en face des vérités qui devraient déranger, tant mieux ma foi.

        Je n’ai absolument aucune sympathie pour ce cinéaste aujourd’hui. Il n’a jamais assumé ses actes (on les rappelle ici : il tabasse, drogue et viole ses vicimes), il les a même défendus, il n’a jamais envisagé qu’ils aient pu nuire gravement à ses victimes, jamais même voulu se présenter devant la justice. Pire, dans une interview, il compare même l’acharnement dont a été victime Dreyfus à celui que lui-même aurait subi aux Etats-Unis, on est dans l’indécence pure.

        Alors, l’appel au boycott dans son cas m’indiffère. Fallait pas te débiner, salaud !


        • colibri 17 novembre 2019 21:12

          Il n’y a pas de plainte , pas de demande de réparation , juste des femmes qui racontent ce qu’elles ont vécus pour que la vérité soit dite .

          Tout comme un enfant battu , tourmenté ou violenté par ses éducateurs  a le droit de raconter son histoire comme

          Hervé Bazin avec « vipère au poing » ,

          Félicité Herzog « un héros » :elle n’a pas supporté que son père passe pour un héros alors que c’était un pervers .

          Sophie Chauveau dans « la fabrique des pervers » dénonce son père incestueux ,et les hommes de sa famille tous pervers .

          Flavie Flamant qui raconte publiquement comme David Hamilton l’a violée , 

          et beaucoup d’autres ....

          il y a prescription dans toutes ces histoires , aucune volonté de passer devant un tribunal ,aucun enjeu juridique , juste la le besoin légitime de dire la vérité ,raconter son vécu .

          Qui celà peut -il gêner à part ceux qui ont des choses à cacher , qui sont pour le secret , qui ne veulent pas que la vérité des comportements sorte ???


          • eddofr eddofr 19 novembre 2019 15:33

            Existe-t-il une hiérarchie du mal ?

            Un crime est-il pire qu’un autre ?

            Si un meurtrier, un braqueur de banque, un escroc en col blanc, un tueur en série, un terroriste « repenti », ont le droit d’écrire et de vendre un livre, de chanter en public contre monnaie sonnante et trébuchante, d’écrire un scénario, de réaliser un film, pourquoi un violeur condamné, présumé ou, à fortiori et dans le cas présent, même pas mis en examen, n’en aurait-il pas le droit ?

            Après, libre à chacun, selon sa conscience, d’aller voir son film ou pas ...

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