« Le successeur de Pierre » de Jean-Michel Truong
Relire des livres est parfois une bonne idée, cela procure l’opportunité de raviver des souvenirs et de redécouvrir des pans oubliés d’une histoire. Ce livre de 1999 m’avait intrigué naguère, même si les aspects touchant à une hypothèse de Parousie m’avaient rebuté à l’époque (et rien n’a changé à ce sujet). Mais la relecture de cette dystopie a été édifiante. Alors pourquoi ne pas en écrire une petite recension, même 25 ans après sa parution initiale ? Les bouquins n’ont pas tous une date de péremption.
Imaginez une humanité plus ou moins dévastée par une pandémie d’ampleur mondiale et qui condamne à isoler chaque homme dans un caisson étanche où il n’aura plus jamais de contacts physiques avec les autres humains. Ils sont obligés de se contenter du réseau internet. L’économie étant devenue une économie de service, tous travaillent sur des informations et des robots s’occupent de produire et de manufacturer ce qui doit l’être. Les intelligences artificielles sont omniprésentes et brouillent les relations interpersonnelles. Est-ce un humain, un avatar légitime ou un avatar piraté qui est derrière l’écran et la voix reçue ? Ou est-ce le seul fruit d’un algorithme ? Cela va jusqu’à une vie sexuelle où des polochons remplacent la chair de l’autre qui n’est que connecté. Bien sûr, tous ne sont pas astreints à cette vie de reclus. L’élite s’affranchit de cette interdiction du contact physique et vit sa vie de plaisirs dans des bulles isolées où la plèbe n’accède pas. Cette élite très hiérarchisée a pour donneurs d’ordres les patrons des entreprises oligopolistiques. Et comme le travail de cette plèbe ne sert in fine qu’à leur donner l’illusion d’une utilité sociale, il est ubérisé afin de coûter le moins cher possible. Une politique malthusienne active est mise en œuvre pour éradiquer cette plèbe, avec la complicité de ce qui reste de l’Église catholique. Les dissidents fliqués via l’internet sont les premiers en ligne de mire.
Il ne faut pas dévoiler l’intrigue qui mérite le détour, juste rappeler que, dans notre passé très récent, nous avons vu des ébauches partielles des horreurs imaginées par Jean-Michel Truong. Les gestes barrières et le confinement ne sont pas sans rappeler les ergastules modernes de ce roman. Le contrôle des médias sur l’opinion au mépris de la vérité s’y retrouve. La promotion active de l’euthanasie, qui devient personnalisée et intrusive jusqu’à devenir une injonction sociale, se fait jour au Canada. La corruption des puissants et leur vision utilitariste des autres n’est pas sans rappeler l’arrogance et l’impunité de Big Pharma. La virtualisation des relations permise par les réseaux et le masque éventuel derrière lequel se cache son interlocuteur progressent à grande vitesse. Ce futur antérieur commence à devenir notre passé, même partiellement.
Jean-Michel Truong se définit comme un balisticien : quelqu’un qui prévoit le lieu d’impact d’un projectile déjà lancé. Il est difficile de lui donner tort, mais il serait souhaitable qu’il se trompe. Considérer que les transhumanistes libéraux auraient déjà définitivement gagné serait par trop désespérant.
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