Le système D est-il pertinent au XXIè siècle ?
Les Français ont la réputation d’être les rois de la « débrouille » et du système D, des experts des remises à niveaux brutale après avoir tardé durant des lustres à s’adapter. Handicapés par nos sempiternelles hésitations nous avons dû développer au cours des siècles une certaine ingéniosité qui nous avait toujours permis de nous remettre au diapason de nos voisins. Que ce soit lors de la révolution industrielle (où l’on découvrait déjà une France bien moins industrieuse et entreprenante que l’Angleterre par exemple) puis après guerre quand nous nous équipâmes d’infrastructures modernes, de villes et d’institutions rénovées, « les Français arrivent tard mais ils arrivent tout de même » écrivait Voltaire 25 ans avant la révolution française.
Quand on tape sur Google l’expression : « retard français » 3 680 000 résultats sont renvoyés : citons en vrac : Intelligence économique, environnement, aliments bio, photovoltaïque, hôpitaux, égalité des sexes, numérique à l’école, gestion des déchets, allaitement maternel, maîtrise des dépenses publiques… Sur tous ces sujets les thèses déclinistes abondent, un ouvrage décrypte même le phénomène sans prendre tout à fait parti entre « tardophiles » et « tardophobes » (« comment le retard vient aux français » de Julie Bouchard)
Ne dit-on pas souvent que la France a une guerre de retard : en 14-18 elle ignorait l’armée blindée et se lança dans une guerre de tranchées désastreuse tout en gardant sa cavalerie et des fantassins habillés de pantalons rouges. Dans les années 30 elle crut encore se protéger derrière sa dérisoire ligne Maginot.
Après guerre encore notre pays décida de se caler dans une bulle protectrice et étanche aux malheurs du monde : l’Etat Providence. Ne souhaitant pas choisir entre le communisme (dont chacun mesurait les dangers et l’inefficacité économique) et le libéralisme (qui n’était présenté que sous ses aspects négatifs) nous décidâmes de marier la carpe et le lapin en pensant adopter un système hybride qui ne fâcherait personne. Un peu plus tard sous les socialistes on alla même jusqu’à théoriser sur une improbable « économie socialiste de marché ». Désormais pour 2012 les socialistes nous présentent leur renaissance providentielle sous la forme du Care (qui pourrait nous coûter cher). Bref nous vivons depuis des lustres nos multiples contes de fée hexagonaux tout en ayant le toupet de penser que nos brillantes trouvailles devraient inspirer tous les peuples de la terre.
Les français se croient donc tout à la fois protégés des dieux et du libéralisme tout en avançant que leur modèle social pourrait être éternel et avoir vocation à être généralisé dans le monde (à l’instar de la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen ou de la laïcité).
Nous serions les derniers phares de la pensée sociale et de la civilisation, un ilot de prospérité économique et de bonheur social dont un monde libéral de brutes.
Las, si l’on creuse un peu le sujet et si l’on observe par exemple les comptes de notre pays depuis le début de la crise de 2008 on découvre avec effarement que notre endettement s’est creusé de 500 milliards d’euros en deux ans ! Notre Etat social a donc servi d’amortisseur mais il pourrait bien nous empêcher de redémarrer et de rendre un quelconque espoir à ceux qui ne sont pas protégés dans le giron de l’Etat (les jeunes qui quitteront un jour ou l’autre l’école, les travailleurs intérimaires ou précaires, les seniors, les travailleurs exposés à la concurrence internationale…).
Beaucoup d’habitants de notre pays semblent s’être placés sous la protection de l’Etat (un peu comme le fameux chapitre 11 aux USA en cas de faillite). Mais se mettre sous la protection de l’Etat (aux USA) quand on a échoué dans les affaires n’a pas la même signification que se réfugier vers l’Etat (providence) au lieu même de tenter de devenir un quelconque acteur de l’économie.
De nombreux français sont sans doute peu ambitieux économiquement, c’est leur droit évidemment, mais ce peu d’ambition ne se contente pas de peu. Il leur faut être éduqués, logés, aidés, soignés par l’Etat qui au besoin leur octroyera des primes à Noël ou pour la rentrée des classes. Bref notre pays veut le beurre et l’argent du beurre, une place économique modeste mais tout le confort moderne pour lequel les peuples du monde travaillent sans relâche.
Malheureusement dans aucune société il ne peut y avoir que des (même petits) gagnants, le système libéral anglo-saxon charrie certes son lot d’injustices (mais la politique a-t-elle vocation à créer de la justice sociale ?) et de violences mais il donne aussi leur chance aux plus courageux, aux plus entreprenants, aux plus ambitieux sans couper les ailes au développement économique du pays.
La France quant-à elle n’aime guère la réussite économique, elle se positionne souvent dans la haine de classe ou le ressentiment social sans se donner les moyens de ses ambitions économiques. Dans une réelle société ouverte et libre tout un chacun devrait pouvoir donner le meilleur de lui-même sans être entravé par ses origines sociales. Ce n’est pas le cas français où l’héritage du diplôme ou de l’argent tient lieu de viatique de génération en génération.
L’actuel président a voulu réhabiliter le travail et le succès économique, on ne saurait lui en vouloir, par contre il a fait une erreur sur un seul et unique point : la transmission par l'héritage. Pour qu’une société libérale puisse survivre et se régénérer il faut en effet que les cartes soient rebattues à chaque génération. La seule transmission qu’on peut admettre est culturelle, pas celle de l’argent qui doit revenir dans le circuit et ne pas être accaparé durant des générations.
Notre pays est lent à changer, il y a 40 ans Jacques Chaban Delmas le déplorait déjà (Discours à l’Assemblée nationale le 16 septembre 1969) : « Le malaise que notre mutation accélérée suscite tient, pour une large part, au fait multiple que nous vivons dans une société bloqué » […] Nous sommes encore un pays de castes. […]Des écarts excessifs de revenus, une mobilité sociale insuffisante maintiennent des cloisons anachroniques entre les groupes sociaux. […] La société française n'est pas encore parvenue à évoluer autrement que par crises majeures…….
Ce qui était vrai en 1969 nous semble toujours d’actualité en cette fin 2010. Pire encore, nous serions passés d’une société bloquée à une société verrouillée où plus aucune réforme d’envergure n’est possible sans immédiatement que certains en appellent à la guerre civile (ah ces belles envolées lyriques sur les droits acquis, sur les lumières, sur la générosité…).
Nous aimons rejouer nos anciennes batailles que ce soit celles de la révolution française, de la restauration, de l’industrialisation ou de la collaboration. Tout est prétexte à diabolisation et à invectives et notre absence de consensus se paie au prix fort (au prix d’une dette qui nous empêchera dans les prochaines années de rester indépendants et libres économiquement).
Les guerres du XXI ème siècle se feront peu avec des troupes ou des assauts guerriers classiques. La guerre a changé de terrain depuis la fin du siècle dernier, elle est très largement économique et nos batailles perdues se mesurent désormais à nos reculs sur les marchés, au déficit de notre commerce extérieur, au peu de brevets que nous déposons, à l’absence de grandes entreprises françaises dans l’informatique ou les nouvelles technologies.
Cette guerre économique présente un avantage trompeur : elle ne fait pas de morts physiques ni de dégâts matériels. Les ponts, les gares, les usines et les bâtiments des villes restent intacts, ils changent simplement de main. La bourse de Paris est par exemple détenue à plus de 50 % par des fonds étrangers, des centaines d’entreprises ont été vendues depuis les années 80 à des fonds de pensions, les plus beaux biens immobiliers parisiens (ou les grands palaces) appartiennent à des fonds étrangers. Les français perdent petit à petit la main sur leur pays mais aussi sur l’activité économique : travailleurs étrangers faisant tourner de nombreux systèmes (le plombier polonais mais aussi le chef de travaux turc ou le tailleur chinois), rachetant des quartiers entiers pour produire des richesses (confection ou restauration pour les asiatiques..)
Les Français estiment qu’ils n’ont pas vocation à prendre des risques ou à travailler beaucoup (deux qualités essentiels pour développer une économie). En Ile de France les 2/3 des entreprises sont créées par des étrangers, notre pays tout en ayant le plus grand mal à intégrer ses jeunes ou à garder ses seniors attire des millions d’étrangers (et pas seulement dans la restauration) pour occuper les postes qui nous répugnent ou nous fatiguent (trop campagnards, trop sales, trop pénibles, trop mal considérés).
Plus grave pour notre avenir commun notre système d’apprentissage (que nous pensions être le meilleur du monde) prend l’eau de toute part : en éducation initiale les jeunes français ont des résultats médiocres, face à une élite de 8 % d’élèves qui tirent parfaitement profit du système la grande masse des écoliers n’apprend plus grand-chose. Pire l’échec, la déscolarisation et la violence scolaires progressent partout. En formation des adultes la situation n’est pas meilleure. Notre pays s’est doté d’une réforme ambitieuse en 2004 (Loi pour la formation tout au long de la vie), Sept années plus tard la situation n’a strictement pas changé, les blocages subsistent et 6 % des salariés les plus qualifiés trustent la moitié des budgets de la formation. Notre système de formation reste Corporatiste, Cloisonné et Complexe (Les 3 C décrits au Sénat en 2007).
L’Etat a bien tenté de rectifier le tir en 2009 et si la nouvelle réforme proclame dans son titre 2 : développement et simplification de la formation professionnelle, dans les faits elle a ajouté de la complexité et des difficultés pour une vraie diffusion de la formation.
Que faire, que penser de nos retards, sont-ils comme le prétendent certains porteurs d’espoir pour les peuples du monde (7 milliards d’humains qui prendraient pour modèle 60 millions de français) ou terriblement dangereux pour notre avenir économique et social ?
Nous nous garderons de nous prononcer, notre pays a pour coutume de vivre ces longs moments d’attente et d’atermoiements (la cocotte minute sociale) puis d’explosion (mai 68) ou de brutales remises à niveau (le développement rapide des 30 glorieuses). Le revers positif de la médaille pourrait être que nous prenons notre temps et adopterons le meilleur du libéralisme (la liberté) en laissant de côté ses aspects inégalitaires. C’est une lecture optimiste car au temps de l’Internet si nous gaspillons tout notre héritage culturel, social et économique aurons-nous encore le temps de nous mettre à niveau ? Pourrons-nous affronter tous les défis du siècle si nous perdons notre indépendance économique (et ce n’est pas la sortie hasardeuse de l’Euro qui pourrait résoudre des problèmes bien plus anciens).
Non décidément les prochaines années pourraient être dangereuses pour notre pays et pour éviter d’être tous ruinés dans 10 ans (Cf. le livre de Jacques Attali) il va falloir travailler beaucoup plus, beaucoup mieux et reconquérir un rôle économique dans un monde bien plus concurrentiel et impitoyable.
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