Lehaïm - à la vie !
Captation d’un spectacle à la Maison de la Poésie Mise en scène et adaptation : Bernard Bloch d'après Portraits Juifs de Herlinde Koelbl Avec : Paul Allio, Hubertus Biermann, Bernard Bloch, Philippe Dormoy, Jean-François La Bouverie, Hélène Ninerola, Evelyne Pelletier.
paru chez L'Arche Éditeurs dans une traduction de Bernard Chartreux et Bernard Bloch Collaboration Artistique : Martine Colcomb Réalisation de la captation : Isabelle Rèbre Montage : Anne Morin Mixage : Thomas Carpentier Dispositif Scénique : François Duconseille Costumes : Geneviève Humbert Lumières : Christian Granara puis Luc Jenny Régie générale : Marc Tuleu Musique : Hubertus Biermann
Cette captation a été tournée en avril 2007 au cours des représentations du spectacle éponyme à la Maison de la Poésie à Paris.
Des Juifs, il y a douze ou quinze ans, parlent du génocide des Juifs de l’Allemagne nazie et de ses nombreux complices ; ils en parlent au plus près d’eux, dans leur vie, ce qu’elle leur a fait, comment ils en sont survivants, et jamais complètement, comment il faudrait continuer après ce phénomène dont il faut bien voir, pour notre honte, à quel point il est humain : une nation riche, cultivée, avec de grands philosophes, de grands musiciens compositeurs s’est mis en tête que le malheur du monde avait sa source dans l’existence d’un petit groupe (religion, ethnie…) et a entrepris de les tuer tous.
Le mal est en nous et rien ne nous prémunit de nous laisser emporter dans de telles passions destructrices. Un de ces Juifs l’exprime en substance ainsi : ils voulaient, une fois finie cette période et son projet criminel, repartir comme avant, se relever et reprendre le cours normal de leur vie comme après une mauvaise grippe.
Les comédiens jouent plusieurs rôles, et sont interrogés par la même personne et actrice. Il n’y a pas de pathos, ni de généralisation bruyante. Chacun dit ce que cette persécution lui a fait, à lui. D’où il vient, ce qu’il fait, où il va, ce qu’il en pense, ce qu’on peut penser par ailleurs… toutes ces paroles enracinées dans la singularité de chacun portent un très beau et très complet tableau de ce qu’est la judaïcité, de quoi elle est faite, comment elle se maintient, et si elle doit se maintenir même... Un aphorisme dit que là où il y a deux Juifs, il y a trois points de vue. Dans Lehaïm - à la vie ! il y a beaucoup de points de vue, il y en a des incompatibles, exprimés calmement et de bonne foi. Comme dans un procès, ils ne se répondent pas, ils s’expriment en entier et sans risquer d’être interrompus.
On entend l’enchevêtrement de ces voix singulières… comme la carte de parcours impossibles. Beaucoup de questions tournent autour de l’existence d’Israël. Pour certains, un Etat juif est une nécessité pour maintenir le peuple juif, avec la Judaïcité, alors qu’elle s’est maintenue pendant de siècles sans ce port d’attache. D’où vient-elle ? Comment dure-t-elle ? La foi ? La loi ? Remplir les prescriptions au cours des siècles suffit à donner le sentiment de l’appartenance (la loi, ce que l’on fait vraiment)… ou la foi ? Comment on croit aux mêmes choses quoique l’on fasse ? Questions universelles. La disparition du peuple juif aurait-elle plus d’importance que la disparition des Romains, des Aztèques, des Phéniciens et de tant d’autres peuples ou civilisations. C’est un argument parallèle aux questions de la biodiversité ; la multiplicité des peuples, des cultures, des religions nous est nécessaire mais la façon dont elle est faite à un moment donné ? Si les uns disparaissent, d’autres apparaissent… Le crédit de génie porté souvent sur les Juifs (Einstein, Marx, Freud…) et qui les rendrait si singulier, objet des attentions positives (tirer parti de leur génie) et négative (jalousie, envie…) ce « génie » peut être mis en doute en prenant le bus à Tel-Aviv.
C’est un Juif qui le dit, c’est un spectacle sur la parole de Juifs. Au sens où la parole engage, au sens de Parole d’homme ! qui n’exclut pas les femmes, il vaut mieux le préciser. L’un dit que les Arabes n’ont pas besoin de la bande de Gaza, qu’ils ont un territoire assez grand pour eux tous et que s’ils y tiennent à ce point-là, c’est une forme d’antijudaïsme. Et l’autre dit que même sans terre, les Juifs restent juifs, qu’ils n’ont pas besoin de cette terre et que la prendre, à la place de la partager avec les Arabes comme avant 1948, où cette terre s’appelait la Palestine, ne peut que susciter une haine éternelle et une guerre permanente.
On rencontre une jeune fille catholique, élevée par une mère et un beau-père cathos, mais dont le père géniteur est juif, ce qui la rend juive selon les lois en vigueur sous l’Allemagne nazie. Elle choisira de « rester » juive.
On entendra colère, réserve ; prudence et condamnation énergique ; résilience et désir de justice puissante et exemplaire…
Ces voix croisées nous disent la totalité de ce moment et de notre condition humaine. Ces singularités nous disent l’universel.
Les hommes s’aiment si peu et il faut bien vivre cependant… après la catastrophe… Lehaïm ! A la vie !
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