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Les diseux et les faiseux

La raison du plus fort sert toujours ses intérêts.

 Le langage est difficile à distinguer des feulements des grognements ou des cris, et d’éventuelles traces fossiles sont par essence absentes. Le langage serait toutefois apparu chez les Néandertaliens il y a environ 250 000 ans. Mais il fut très probablement précédé par l’apparition d’outils "standardisés", vieux eux de deux millions d'années. La différence entre faiseux et diseux ainsi établie ne cesserait plus jusqu’à nos jours, les diseux prenant rapidement le pas sur les faiseux jusqu’à permettre l’établissement d’empires.

 Il existe maintes différences entre les artisans, les artistes, les scientifiques mais un trait les unit tous : aucun ne pourrait indiquer un cheminement logique qui conduirait à coup sûr à ce qu’ils considèrent être leur œuvre. Bien entendu la Raison n’est pas absente de leurs préoccupations, le désir de réussite intervient, une juste rétribution des efforts consentis leur semble équitable… mais ils ne « travaillent » pas pour cela. La genèse du nouveau et du beau s’apparente à une naissance et est tout aussi mystérieuse que celle-ci. Le verbe a sa place dans le processus. C’est lui qui permet de communiquer le savoir, mais son rôle est marginal. L’intelligence de la main, l’exemple, le mimétisme, le désir de bien faire, constituent le cœur de leur passion. Le Beau qui se créé ne concerne que l’individu, seul à se battre contre ses propres tourments ou ses appétences de l’instant pour engendrer un fragment d’éternité. Le faiseux ne travaille pas pour les autres mais pour être satisfait de lui-même, sans esprit exacerbé de concurrence, sans émulation nécessaire.

 Mais le verbe ne sert pas seulement à communiquer ou instruire, il sert aussi et principalement à dominer. Les détenteurs d’un verbe haut et imagé, propre à enflammer les foules, vont s’investir eux-mêmes comme seuls capables de diriger autrui. La nature de ce qui est dit n’a strictement aucune importance, même pour un public raffiné de fins lettrés, tout se trouve dans la façon de le dire. L’habileté est obligatoire, la rouerie conseillée, la vérité ne concerne pas les troupeaux que l’on mène le plus souvent à l’abattoir. Les plus aptes à s’entasser dans des classes surpeuplées puis des amphithéâtres bondés peuvent s’installer en haut d’une chaire à laquelle l’éloquence permettra seule (sauf exception) d’accéder. Le diseux pourra accroître sa puissance en distillant des messages pour obtenir des fidèles, des élèves, des aficionados, des croyants, des militants, toutes sortes de gens sacrifiant leur capacité de discernement personnel pour adopter une inintelligence de groupe fait de prêt-à-penser, de poncifs propres à accroître l’audience, à conforter le clan. Ceux-ci perdent leur intelligence propre pour adopter les préceptes qui conviennent au groupe afin de le rendre plus puissant.

 Malgré tout ce qui est utile et agréable à la vie provient du labeur des faiseux. Pourtant ni les artisans, ni les chercheurs, ni les infirmiers et médecins, ni les boulangers, ni les mineurs de fond, ni les conducteurs de tram, ni les potiers, ni (la plupart) des artistes peintres, ni les cuisiniers… n’ont une place prééminente dans la hiérarchie sociale. Le communisme n’aurait pas dû prétendre offrir le paradis sur terre à la classe ouvrière, ce qu’il était incapable de donner, mais prétendre faire une place à ceux-qui-font par rapport à ceux-qui-font-faire. Si un individu donné est capable du beau, il est constitutionnellement incapable du beaucoup. La fragmentation des tâches à l’infini jusqu’à transformer les personnes concernées en automates est indispensable pour une production de masse, donc moins coûteuse et disponible au plus grand nombre. Une telle organisation de la production nécessite une hiérarchie qui sera d’autant plus efficace si elle s’exerce sur des travailleurs décérébrés.

 La séparation entre diseux et faiseux s’accompagne d’un jugement de valeur, les subordonnés sont implicitement ou explicitement ‘inférieurs’ à leurs maîtres. La Nature n’a que faire en effet de l’égalité en quelque domaine que ce soit. Dans un monde idéal, le plus habile des potiers deviendrait chef potier, le plus talentueux des chercheurs deviendrait Directeur, le plus ingénieux des ingénieurs dirigerait le bureau d’étude… Mais ce n’est pas ainsi que cela fonctionne. Les diseux affirment que conduire les Hommes demande des qualités spécifiques qui n’ont rien à voir avec un quelconque savoir-faire. Ils font de longues et souvent coûteuses études pour démontrer qu’ils sont intrinsèquement supérieurs à ceux qu’ils dirigeront. Ils jongleront avec les notions idéologiques du jour (mais elles changeront périodiquement) pour déterminer la conjoncture économique, pour gérer les flux de personnel ou les transports de containers, et surtout ils s’attacheront à rendre incompréhensibles leurs logorrhées verbales afin d’asseoir leur suprématie sur le commun des mortels. En d’autres termes l’enfance d’un chef permet de fabriquer des Übermenschen prêts à l’emploi pour la vie. Leur savoir est de faire-faire et il ne peut démontrer qu’une qualité à propos des dominés : ne pas trop laisser voir le profond mépris qu’ils ont à leur égard. Un ensevelissement de cet état fait est fait sous une montagne de bruits médiatiques qui le confortent dans sa position et maintiennent les autres dans la soumission.

 Plus l’Empire est grand, plus la fragmentation des savoirs et des savoir-faire est importante, plus la cohérence des foules est grande. Détruire les empires et, avec tout le respect que l’on doit à chacun, en finir avec la crétinisation programmée des masses, ne peut pas se faire si on ne remet pas en cause la tyrannie des diseux sur les faiseux. Par contre porter un diseux à la place d’un autre ne changera rien.

 


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15 réactions à cet article    


  • Brutus S. Lampion 18 mars 16:36

    Bonne analyse. Et cette manipulation au service d’une domination se vérifie à l’échelle internationale autant qu’au sein d’une société.

    Une langue reflète un modèle de représentation de « l’univers » et, dès le départ, imposer une langue c’est imposer un modèle de représentation unique en contrôlant le système d’information. C’est ce que font tous les colonisateurs.

    Là où se situe l’arnaque, c’est dans le confusion entre « information » (émission d’un message) et « communication » (dialogue) en appelant « communication » (d’entreprise ou institutionnelle) des outils de publicité ou des orientations, voire de la propagande.

    Or, concevoir un ensemble de messages cohérents et homogènes, c’est posséder un pouvoir énorme face à des récepteurs (et non pas des interlocuteurs) exposés aux ambiguïtés et aux contradictions de la vie.

    Un tel outil a été rapidement identifié et utilisé par les manipulateurs depuis la nuit des temps. Les anciens Grecs et les Jésuites appelaient ça la Rhétorique, ce qui n’est pas le langage en luis-même, mais l’art de séduire par les mots, tout comme les techniques de vente qui en sont les héritières.

    La recette consiste à concevoir des modèles uniques à forte capacité de diffusion et de pénétration. C’est ce qui rend si dangereux et efficace le fait d’imposer une seule langue.

    Les pilotes se parlent en anglais dans toutes les compagnies et les aéroports du monde. Rien que cette réalité est déjà une arme, en fait. Plus besoin de canonnières.

    L’homogénéisation permet la concentration et la centralisation et renforce les possibilités de contrôle et de domination. Toute perte de diversité se traduit par une perte d’autonomie.

    Mais ce ne sont pas les langues qui sont les coupables. Elles ne sont qu’un outil. Celui qui tue n’est pas le colt mais celui qui le tient.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 19 mars 10:10

      @S. Lampion
      Vous poussez l’analyse plus profondément que dans mon article et je vous en remercie.


    • pemile pemile 18 mars 16:57

      « Les diseux affirment que conduire les Hommes demande des qualités spécifiques qui n’ont rien à voir avec un quelconque savoir-faire. »

      Et à cause d’eux, et de leur « optimisation » du nombre de faiseux, ma ligne électrique est toujours à terre avec une rubalise danger de mort, 4 mois et demi après la tempête Ciaran !

      Idem pour les fibres optiques installées depuis plus d’un an, encore en recette et explosées depuis août 2023.


      • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 20 mars 13:24

        @pemile
        Je n’ai aucune compétence dans ces domaines.


      • pemile pemile 20 mars 14:01

        @Jacques-Robert SIMON « Je n’ai aucune compétence dans ces domaines. »

        Il ne s’agit que d’un exemple de résultat quand les diseux gèrent le planning des faiseux smiley


      • chantecler chantecler 18 mars 17:42

        Et que pensent les diseux et les faiseux de tous ces magnifiques nichons présentés dans leur écrins publicitaires qui se déversent sur Agx depuis quelques jours ?

        Une dizaine de modèles par jours , c’est pas rien !

        Aujourd’hui un deux pièces verts sur une nana plutôt bien fichue ....

        Impossible de confondre avec du porno .... !

        Par contre je ne sais pas quoi acheter .... !

        Et puis il me faudrait des indications sur la taille des sous tifs : je m’y perds dans tous ces bonnets .

        Et le bonnet ment natürlich !

        Je dois dire que c’est pas vilain à regarder mais c’est difficile à faire passer pour de l’information à usage collectif !

        Déjà j’avais du mal à scruter ma petite amie ces derniers temps mais aujourd’hui je peux lui dire : « va te rhabiller tu fais plus l’affiche !

        La concurrence est sévère ! ».

        Elle va d’ailleurs porter plainte pour concurrence déloyale ...

        C’est vrai quoi ... !

        Ca c’est de l"évolution !


        • pemile pemile 18 mars 18:25

          @chantecler "Et que pensent les diseux et les faiseux de tous ces magnifiques nichons présentés dans leur écrins publicitaires qui se déversent sur Agx depuis quelques jours ?"

          Que la publicité ciblée te connait ?

          Et tu peux très simplement, en tant que faiseux, faire en sorte de ne plus avoir ces pubs !


        • chantecler chantecler 18 mars 18:27

          @pemile
          merci !
          Je me passerai de tes conseils informatiques , histoire de gagner du temps .


        • pemile pemile 18 mars 18:31

          @chantecler « Je me passerai de tes conseils informatiques , histoire de gagner du temps . »

          Passe donc autant de temps que tu veux à comparer les bonnets de soutien-gorge et à bouffer de la pub !


        • chantecler chantecler 18 mars 18:38

          @pemile
          J’ai plus de souci avec mon réseau internet devenu intermittent comme mon tel fixe depuis des semaines ,qu’avec les soutifs qui sont un ravissant divertissement .
          Et puis en dessous il y a les petites culottes et encore en dessous le diable !


        • pemile pemile 18 mars 18:44

          @chantecler « J’ai plus de souci avec mon réseau internet devenu intermittent comme mon tel fixe depuis des semaines »

          Un diseux t’a pas expliqué qu’il faut utiliser Calgon pour déboucher les tuyaux ?

          « qu’avec les soutifs qui sont un ravissant divertissement .
          Et puis en dessous il y a les petites culottes et encore en dessous le diable ! »

          Gaffe aux prochaines pubs ciblées ! smiley


        • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 19 mars 10:11

          @chantecler
          Il faut bien vendre.


        • SilentArrow 20 mars 11:12

          C’est toute la différence entre une communauté d’animaux et la France : les animaux ne choisiraient jamais des diseux comme Macron, Mélanchon ou Le Pen pour les diriger.

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