Les élites
Par quoi se définit une élite ? Comment peut-on prétendre en faire partie ? Quelles qualités sont nécessaires ?
Les ‘Grandes Écoles’ se sont données pour objectif d’engendrer une ‘élite’. Chacun se plaint périodiquement de l’absence de représentants des milieux populaires au sein de cette élite supposée. Des révisions marginales des modes de sélection pour l’entrée dans ces écoles ont donc été mises sur le tapis.
Une étude éditée en 1995 par deux sociologues montre que « la proportion des jeunes d’origine “populaire” (ouvriers, employés, paysans, artisans commerçants) dans les quatre principales grandes écoles (Polytechnique, l’Ecole normale supérieure, HEC et l’ENA) a beaucoup diminué : environ 30 % des élèves étaient d’origine populaire dans la première moitié des années cinquante, 10 % aujourd’hui. » Toutefois, la structure sociologique de la population française peut expliquer en partie cette évolution en diminuant significativement la proportion des jeunes issus des classes populaires dans la population totale. Quoi qu’il en soit, est-ce la sélection qui défavorise les milieux populaires ou les démunis sont-ils réellement moins aptes que les nantis à subir un tri rigoureux ? Si ‘faire des études’ consiste à emmagasiner dès la prime jeunesse le maximum de connaissances dans l’unique but d’en faire étalage auprès de ses maîtres ou auprès de ceux qui n’en ont pas, il n’est pas douteux qu’une longue et studieuse scolarité permet d’appartenir à une minorité, si ce n’est à une élite. S’il s’agit de faire en sorte de fournir les armes pour découvrir, innover, créer, animer, la question se pose d’une façon plus aigüe. .
Pour qui a fréquenté un tant soit peu les différentes strates sociales (de bas en haut si tant est que cette classification ait un sens), il est clair que les problèmes ne se situent pas à ce niveau. De l’avis de tous, une élite doit être utile aux autres plutôt plus de flatter son propre égo, une élite détient la responsabilité du bien commun.
Utile ? ou Faire croire qu’on est utile ?
Une récente grève des éboueurs à Marseille permet de se rendre compte de la relation qui existe entre utilité sociale et rémunération, c’est à dire reconnaissance sociale. Une commentatrice sur une des innombrables chaînes télévisées appelait les autorités à agir vigoureusement contre les employés chargés de la collecte des déchets. Si cette personne furieuse contre l’inaction des autorités avait fait grève, il est plus que probable que personne ne l’aurait remarqué. Par contre, pendant le même temps, les ordures s’entassaient dans les rues de Marseille. On pourrait multiplier les exemples, on chercherait en vain une quelconque relation entre utilité sociale et rémunération.
La rareté ?
La rémunération est-elle liée à la difficulté de trouver un talent donné ou une qualité particulière au sein d’une population. Pour les footballeurs, c’est vrai, les pépites touchent des fortunes. Mais ce n’est pas vrai pour les joueuses de Handball pourtant championnes olympiques. Ce n’est pas vrai pour les intellectuels non plus, les plus méconnus n’étant pas les moins talentueux, ni les mieux payés. Ce n’est pas vrai pour les savants ou les chercheurs qui n’ont, sauf rarissimes exceptions, que des salaires misérables pendant des décennies d’études avant que de bénéficier de salaires décents l’âge du déclin étant venu.
Quant est-il des responsables, des leaders, des managers qui doivent être jugés non sur un savoir faire mais sur un savoir faire faire aux autres ? Là encore on peut s’interroger sur la rareté des qualités que l’on doit réunir pour appliquer mécaniquement des techniques managériales à la mode qui satisfont des marchés régentés par des cocaïnomanes ‘vibrionnants’ sans états d’âmes.
Ni l’utilité sociale, ni la rareté ne permettent d’établir une élite. L’intelligence peut-être ?
La piste semble prometteuse puisqu’on admet généralement qu’il existe un écart d’une quinzaine de points entre le QI (Quotient Intellectuel) moyen des enfants de manœuvres ou d’ouvriers agricoles et celui des enfants de cadres supérieurs. Soit ! Mais il n’est peut-être pas indispensable d’identifier l’intelligence avec le degré de réussite à une batterie de tests élaborée avec les techniques les plus sophistiquées des psychologues d’aujourd’hui. Il existe depuis toujours au moins deux types d’intelligence : l’intellect et l’intelligence de la main, le travail manuel, le travail intellectuel, tous deux décrits par Pascal comme étant l’esprit de finesse et l’esprit de géométrie. Un trait sépare sans confusion possible l’une et l’autre de ces intelligences : le caractère irréfutable ou non du résultat. Si vous fabriquez un objet, si vous créez une oeuvre d’art, si vous faites une synthèse chimique... vous savez promptement si votre travail est couronné de succès, il suffit d’examiner le résultat et de faire examiner votre travail par un collègue, un ami... le monde. Il n’en est pas de même pour une construction intellectuelle, théorique, abstraite, un ensemble plus ou moins fumeux de propositions de comportement. Leur pertinence ne peuvent être déterminés qu’avec le temps et ce temps n’est pas compté pour quelque chose qui n’existe pas dans le réel. Plus ! Des constructions antagonistes, incompatibles entre elles, peuvent être proposées par deux auteurs différents sans qu’il soit possible de séparer le bon grain de l’ivraie quelquefois pour le reste des temps des temps. On trouve ainsi le coeur du ressort de constitution d’une élite d’apparat : personne ne peut la contredire car elle ne dit rien de concret, juste des conseils ou des ordres.
Une élite ne se constitue pas sur l’utilité sociale, la rareté, l’intelligence mais sur la possibilité à faire croire que vous êtes supérieur aux autres, et plus vous serez capable de le faire croire, plus vous atteindrez la sommet de la pyramide hiérarchique. L’acquisition de la renommée implique par essence un nombre important de laudateurs. La qualité de ceux-ci peut toutefois poser problème, il y a peu de points communs entre les bataillons fascisants acclamant un führer et la foule d’idolâtres adorant son dieu. Il n’en reste pas moins que le mécanisme intime reste le même : de nombreux gens du commun doivent croire en un être suprême ou un cénacle plus grand qu’eux. Et la puissance de l’être adoré dépend directement du nombre de zélateurs pas de leurs objectifs.
Admettons que la renommée ne suffit en rien pour faire partie d’une élite, d’ailleurs un simple coup d’oeil à l’une des très nombreuses émissions télévisées suffirait à s’en convaincre si besoin est. L’élite peut peut-être être postulée comme indissociable du pouvoir, élite qui déciderait in fine du Bien et du Mal à la place des dieux antiques et des gens du commun. Dieu en mourant n’a plus laissé comme source de pouvoir que l’argent. Les Hommes avisés se ruèrent vers cette nouvelle chance de rester immortels... au moins dans la mémoire de leurs semblables. Qu’en est-il des qualités requises pour se draper dans les habits de la toute puissance ? Un milliardaire américain put se hisser sur le plus haut des trônes terrestres en devenant le 45e président des États-Unis. Son père fut un promoteur immobilier et assura la construction de 27 000 appartements et maisons individuelles. Il fut cependant arrêté pour abus de contrats publics et violation de droits civils. Donald Trump intégrera l’entreprise de son père et ne fera pas la guerre du Vietnam en ayant obtenu quatre reports d’incorporation. Rien ne semble indiquer, conformément aux écrits bibliques, que l’acquisition de richesses permettent les qualités requises pour mener à bien les destinées d’un peuple, un processus démocratique de plus en plus biaisé par une kyrielle d’influenceurs n’aide de toute façon pas à établir une sélection qui permettrait de le faire.
Alors, que conclure ?
Une élite se définit finalement comme un petit groupe de personnes sans qualités ni qualifications particulières qui s’emploie avec acharnement à préserver places et privilèges pour sauvegarder leur position et leur aura.
Qu’était l’élite dans une civilisation judéo-chrétienne ?
Le monarque et sa cour étaient exclus de l’élite. Ils devaient se coltiner avec les problèmes du quotidien, les famines, les guerres, les émeutes, tout en jouant un spectacle le mettant hors de portée des manants. Le clergé n’en faisait pas plus partie, plus préoccupé de conforter la toute puissance de l’institution à laquelle il appartenait que de répandre les félicités promises par un hypothétique au-delà. Les ‘savants’ s’occupaient à des tâches tellement incompréhensibles que personne parmi les gens de peu n’y attachait une quelconque attention. L’élite auquel se fiait les masses populaires était constituée des Saints qui par leur foi inébranlable, les tourments souvent endurés, les ‘bonnes actions’ qu’ils ne cessèrent de prêcher et de faire, quittèrent dès leur vivant le domaine terrestre pour gagner celui des icônes. Une élite c’est ce qu’on rêve d’être, ce qu’on peut montrer à ses enfants, ses petits enfants en leur disant : « c’est la bonne direction. »
Que devrait être une élite maintenant que dieu est mort ?
Une élite pourrait avoir ou ne pas avoir des qualités particulières ou exceptionnelles mais elle devrait pour le moins permettre d’obtenir l’estime et le respect de tous, y compris et surtout des gens qui ne sont rien. L’estime suscitée devrait être même telle que la plupart souhaiteraient leur ressembler. C’est ici que le bât blesse, qui parmi les gens honnêtes et talentueux souhaite s’identifier à ceux qui se sont auto-désignés comme l’élite.
Revenons aux Grandes Écoles qui fournissent le terreau le moins incontestable d’une hypothétique élite. Notons auparavant que le nombre d’étudiants en Classes Préparatoires aux Grandes Écoles est de l’ordre de 90 000 dont une très grande majorité intégrera une de ces Écoles plus ou moins prestigieuses. La plupart exerceront avec talent leur métier d’ingénieur, de cadre technique, d’enseignant, de responsables dans les différents corps de la fonction publique. Mais conjointement à cette grande masse, une minorité s’est donnée pour but de saisir les rênes du pouvoir prétendument pour le bien de tous, mais surtout pour pérenniser leur emprise sur un système. Mais une élite ne se constitue pas par un pouvoir mais comme valeur d’exemple. Quel est-il en ne prenant que des faits emblématiques.
Est-ce à ce Mozart de la Finance qui a utilisé son carnet d’adresse établi au sein de la haute fonction publique pour se constituer une fortune personnelle, qui et le défenseur d’une école publique tout en ayant soigneusement évité d’y mettre les pieds lorsqu’il ne pouvait pas en tirer profit, qui a raté trois fois le concours d’une ce ces grandes écoles tant convoitées par le prestige que l’on tire d’y être entré et une fois d’une autre où il n’a pas pu côtoyer les gens qui ne sont rien qu’il veut rudoyer pour les rendre dociles, grandes écoles dont l’un des directeurs en plus de sa famille de tous les jours était l’amant du président de la SNCF, un autre de ses directeurs décrit comme le Newton de notre temps qui n’avait pas compris que le réchauffement climatique menaçait... et tant d’autres exemples où le besoin de dominer domine surtout sur le bon sens et l’honnêteté... même si à côté d’eux une multitude de leurs semblables faisaient remarquablement ce que commandaient leur compétence et leur sens de l’honneur.
Ce comportement n’est seulement condamnable, il est indigne d’une ‘élite’. Surtout que cette micro-minorité par mille artifices permet d’insuffler ses propres valeurs au sein de populations qui ne peuvent qu’en pâtir. Quelles sont les priorités affichées pour l’agriculteur, le maçon, l’ouvrier d’un laminoir, un chercheur, un petit commerçant... les idées qui courent au sein de quelques centaines de personnes gonflées d’arrogance qui ne représentent rien si ce n’est eux-mêmes.
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