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Accueil du site > Tribune Libre > Les indigènes chassés de la ville et les cités concentrationnaires : une (...)

Les indigènes chassés de la ville et les cités concentrationnaires : une figure banale de l’Occident

Je ne vous dirai pas que je suis indigné. Juste que j’essaie de comprendre ce qui se passe sous mes yeux. Je vois évoluer la ville de Bordeaux. Le quartier environnant la gare est promis à un grand chantier immobilier. La future extension de la ligne TGV a suscité quelques convoitises de la part des promoteurs immobiliers et des élus locaux, prêts à favoriser le bâti dès lors qu’il amène des fonds et crée du profit. Bureaux et logements pour travailleurs de bon niveau sont prévus pour les prochaines années. A l’autre extrémité de Bordeaux, le quartier de Bacalan, situé au nord, a toujours été populaire mais on peut lire dans la presse locale quelques inquiétudes suscitées avec les futures implantations projetées par les promoteurs conseillés par des architectes. Les gens du coin voient déjà les bobos s’installer et prendre leurs aises dans le quartier. Le tram amène les convoitises. Les clichés sont tenaces mais ils ont leurs propres raisons et le bon sens colle de près au vécu, à ce qui se dit et s’entend. Dans le centre de Bordeaux, une association de notables s’occupe de réquisitionner des vieux bâtiments pourris pour les réhabiliter et les proposer à des citadins aux revenus confortables. Les gauchistes énervés ont placé cette association dans le collimateur et l’accusent d’expulser des vieilles dames pour mettre à la place un couple de bobos trentenaires. Il y a même eu des procès en diffamation. Qu’il y ait malversation ou pas, le phénomène de transformation des villes est bien un fait avéré. Les quartiers du centre s’embourgeoisent et les pauvres sont chassés à la périphérie. Aux Etats-Unis, c’est différent. Ce pays privilégie les zones pavillonnaires plus que les villes centrées. Autre histoire, autre culture urbaine. Mais au final, une même tendance, les votes aux élections ne se déterminent plus par classes sociales mais par territoires. Cette tendance est arrivée en France. On assiste à un processus de segmentation territoriale qui sans doute, n’a rien de nouveau mais s’accentue au point d’interpeller la conscience républicaine.

Etrange paradoxe que le discours français volontariste sur la mixité sociale et la réalité de ces faits sociétaux qui ressemblent à un écrémage social. Les indigènes de la ville sont chassés de leur territoire. Cette notion d’indigène n’a rien à voir avec les indigènes de la république qui n’existent que dans la tête d’idéologues aventuriers aux intentions pas très claires mais certainement politique. Les indigènes de la cité, ce sont des réalités du moment. Bordeaux, Lyon, Nantes, Toulouse, beaucoup de villes sont concernées, y compris la capitale dont les journaux parlent souvent pour énoncer la même litanie depuis des décennies. Les classes populaires sont chassées de Paris intra-muros, à l’exception de quelques quartiers dans les 18, 19 et 20ème. Les indigènes de la ville deviennent les exilés des cités. Même si quelques moyens sont dispensés par l’Etat, les cités, ça un peu ghetto, pour ne pas dire zone concentrationnaire de pauvreté et mal de vivre. Une manière de rejeter les classes sociales indésirable dans une zone périphérique et d’offrir les centres-villes aux individus dotés d’un standing de vie convenable. A l’idéologie morale de la mixité sociale s’oppose la réalité amorale des désirs individualistes. Le bobo n’a aucune conscience sociale si ce n’est celle qui le pousse à assister à des réunions de riverains dès lors qu’il faut chasser les indigènes et les saltimbanques de sa cité car il croit que l’espace public lui appartient parce qu’il a déboursé une somme rondelette pour acheter sans le quartier. Dans d’autres lieux, les motifs ne sont pas économiques mais ethniques. Mais le résultat est le même. L’homme chasse l’homme.

Ces transformations urbaines n’ont rien de surprenant. Depuis les grands projets collectifs de l’ère contemporaine, les hommes se déplacent, s’installent et parfois, occupent des lieux en chassant leurs habitants. Ces phénomènes se sont produits dans tous les pays, que ce soit en terre de Palestine, en Amérique avec les Indiens parqués après avoir été chassés de leur territoire, en Chine, au nom du développement urbain et industriel et partout ailleurs dès lors que des intérêts puissants nécessitent l’occupation d’un lieu pour se donner les moyens de leurs objectifs. Ces phénomènes sont peu ou prou violents mais ils sont toujours justifiés par des discours idéologiques. Le plus souvent, l’homélie politique et sociale du progrès sert de paravent pour masquer les véritables intérêts en jeu. Pour revenir au cas spécifique de nos zones urbaines, les enjeux sont évidemment économiques, avec les promoteurs ; mais ils se comprennent également à travers différentes intentions locales menées par les notables qui cherchent à renforcer le standing du bâti car les taxes locales sont revues à la hausse et cela fait entrer des fonds dans les caisses pour des projets spécifiques qui intéressent oligarchies et autres coteries locales. Ne soyons pas dupes, ce processus est global et se déroule avec la complicité des masses citoyennes. Qui ne sont pas à condamner. Humains, très humains.

Un peu moins humains, ou trop humains, les séparatismes dans ce monde, avec les citoyens de l’Inde assumant l’héritage aryen du sanscrit et les dravidiens du sud. Mitrovica, ville scindée, non pas par un mur idéologique comme Berlin mais un mur ethnique. Serbes et Kosovars en situation de retranchement dans des camps territoriaux et ethniques. Bien pire que nos cités de la république française. Ces quelques faits de sociétés incitent à réfléchir sur l’homme et son incapacité acquise et culturelle à accepter le vivre ensemble. Peut-être une tare mais pourquoi pas aussi un réflexe protecteur. Je ne crois pas à l’angélisme du « je te donne mes différences ». L’homme a des penchants dominateurs, veut régenter, accumuler, être chez soi (une douce impression de faire du Hobbes). Hélas, il est obligé de faire avec les autres. Le vivre ensemble repose sur une communauté d’intérêts (thèse libérale anglo-saxonne héritée de Smith) et beaucoup moins sur une éthique de la communion spirituelle et de la morale publique. J’étais parti pour sous-titrer sur une figure assassine de l’Occident. Je me suis rétracté. La Chine et l’Inde ne sont pas occidentales et pourtant, l’exclusion des indigènes y est courante, peut-être encore plus qu’en Occident.

L’homme qui chasse l’homme est une figure universelle, autant que celle de l’homme qui partage avec son prochain et s’associe en communauté puis Etat. Les deux tendances sont présentes. Avec aussi celle de l’homme qui se sert de l’homme. On verra laquelle va l’emporter. Aurais-je trop tiré sur la corde philosophique ? Non, je ne crois pas. J’ai même été assez sobre. Ces considérations mériteraient d’être développées. Ici, juste quelques illustrations achevées en généralités sur le genre humain. En France, l’idéal est de faire une société de bourgeois ou à défaut de classes moyennes mais les élites ne savent pas comment y parvenir si ce n’est en sacrifiant les masses travailleuses. C’est une impasse. Et ce n’est pas la première fois dans l’Histoire qu’un pays se trouve dans l’impasse et doit en sortir par des méthodes exotiques. Il reste à imaginer la sortie de l’impasse en 2013. Je n’ai rien à proposer. Je crois même que nous sommes tous paumés, citoyens, masses, intellectuels. Enfin, paumés, pas ceux qui savent utiliser le système pour leurs fins.


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3 réactions à cet article    


  • Corinne Colas Corinne Colas 16 avril 2013 13:20
    Un processus de purgation urbaine qui permet de s’abstraire du peuple !

    J’ai quitté Bordeaux depuis longtemps mais chaque fois, je pleure ma place de la Victoire au hasard de mes rares retours.Le reste est à l’avenant... Le tram est un merveilleux cheval de Troie pour démolir une ville et la remplacer par une autre. Mr Juppé avait besoin d’un mini Paris « quartier chic et toc » grignotant peu à peu l’âme de Bordeaux. C’est le seul modèle qu’il est impératif de recopier partout avec les mêmes chaînes de magasins, bars, restaurants qui l’accompagnent, soit bien un artificiel urbain ! Chartrons, St Jean, St Pierre... la cité se pare de fausses fleurs. Les nouveaux habitants sont ravis. Les agents immobiliers susurrent que le quartier Saint Michel s’améliore de jour en jour (sic). On sait ce que cela signifie... Ses indigènes rejoindront les barres de béton ! 


    « En France, l’idéal est de faire une société de bourgeois ou à défaut de classes moyennes mais les élites ne savent pas comment y parvenir si ce n’est en sacrifiant les masses travailleuses. »

    ... le rêve des vainqueurs de la Révolution : une « classe moyenne » selon le « juste milieu » cher à Aristote ! 




    • Martin sur AgoraVox Martin sur AgoraVox 16 avril 2013 19:24

      Dans le même ordre d’idées : les indigènes chassés de Londres.


      • Asp Explorer Asp Explorer 17 avril 2013 08:02

        C’est curieux, chez moi à Paris c’est le contraire : on chasse les classes moyennes pour installer des logements sociaux à la place.

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