La connaissance ne peut être acquise que par une compréhension personnelle que l’homme doit trouver seulement en lui-même : « Connais-toi toi-même », disait l’expression inscrite sur le fronton du temple de Delphes ; maxime dont une des variantes modernes se retrouve dans l’investigation du « ko ’ham » ou « Qui suis-je ? » védantique de Ramana Maharshi ou dans le fameux hadîth de la tradition islamique : « Man arafa nafsahu faqad arafa Rabbahu » (« Celui qui se connaît soi-même connaît son Seigneur »).
Aucun enseignement « conventionnel » n’est capable de donner la connaissance réelle. Sans cette compréhension, dit René Guénon, aucun enseignement ne peut aboutir à un résultat efficace. Et l’enseignement qui n’éveille pas chez celui qui le reçoit une résonance personnelle ne peut procurer aucune sorte de connaissance (« Être ce que l’on connaît ») ; toute vraie connaissance est un ressouvenir. C’est pourquoi Platon dit que « tout ce que l’homme apprend est déjà en lui » et qu’Ibn Sina (Avicenne) exprime ainsi : « Tu te crois un néant et c’est en toi que réside le monde. ».
Toutes les expériences, toutes les choses extérieures qui l’entourent ne sont pour l’homme qu’une occasion pour l’aider à prendre conscience de ce qu’il a en lui-même. Cet éveil est ce que Platon appelle « anamnésis », ce qui signifie « réminiscence ». Si cela est vrai pour toute connaissance, ce l’est d’autant plus pour une connaissance plus élevée et plus profonde, et quand l’homme avance vers cette connaissance, tous les moyens extérieurs et sensibles deviennent de plus en plus insuffisants jusqu’à perdre finalement toute utilité. S’ils peuvent aider à approcher la sagesse à quelque degré, ils sont impuissants à l’acquérir réellement, quoiqu’une aide extérieure puisse être utile au début, pour préparer l’homme à trouver en lui et par lui-même ce qu’il ne peut trouver ailleurs et particulièrement ce qui est au-dessus du niveau de la connaissance rationnelle. Il faut, pour y atteindre, réaliser certains états qui vont toujours plus profondément dans l’être, vers le Centre qui est symbolisé par le Cœur et où la conscience de l’homme doit être transférée pour le rendre capable d’arriver à la connaissance réelle. « Ainsi, dit Ibn Arabî, il n’y a de Connaissance de la Vérité Suprême provenant de la Vérité même que par le Cœur ; ensuite cette connaissance est reçue par l’Intellect, de la part du Cœur. »
Ces états qui étaient réalisés dans les Mystères antiques étaient des degrés dans la voie de cette transposition du mental au Cœur.
Ceux qui se font initier, assure Aristote, apprennent moins quelque chose, qu’ils ne font l’expérience de certaines émotions et ne sont plongés dans un état d’esprit particulier ; « Ne pas apprendre mais éprouver », dit-il à propos des Mystères d’Eleusis ; « Non pas apprendre mais subir la vérité », disent également les moines orthodoxes à propos de l’acquisition des états conduisant à la Réalisation spirituelle.
C’est ainsi que le Pèlerinage est une figure de l’Initiation, de sorte que le « Pèlerinage en Terre Sainte » est, au sens ésotérique, la même chose que la « Recherche de la Parole perdue » ou la « Queste du Saint Graal » ; expressions qui se rattachent à un symbolisme que l’on retrouve dans presque toutes les traditions, et qui font allusion à quelque chose qui, à partir d’une certaine époque, aurait été perdu ou tout au moins caché, et que l’Initiation doit faire retrouver.
Julius Evola définit l’Initiation comme une réalisation de la Connaissance au moyen d’une sorte de dessillement, tout comme si, à la suite d’une opération chirurgicale, « l’Œil aveugle », que l’on peut identifier avec l’« Œil de la Connaissance » ou « troisième Œil » de la tradition hindoue, voire aussi l’« Œil du Cœur » (aynul-qalb) de l’ésotérisme islamique, c’est-à-dire « l’Œil de l’Âme » se rouvrait et se mettait à voir.
« Tu souriras alors, en connaissant si simples, les notions qui te paraissaient si abstruses lorsque tu n’étais qu’un profane, et tu avoueras qu’il n’était pas d’explication possible, avant l’investigation personnelle, destinée à préparer ton esprit à recevoir les semences du vrai. » (E.J. Grillot de Givry, Le Grand Œuvre) Et c’est dans ce sens qu’il est dit que nul ne peut être initié que par soi-même ; « Aide-toi, le ciel t’aidera » nous dit la sagesse populaire.
C’est pourquoi la Vérité ultime n’est pas quelque chose qui reste à découvrir, mais quelque chose qui reste à être compris par chacun, et chacun doit faire le travail pour lui-même.
« Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas trouvé » dit le Christ aux Paiens ; « Je trouve et ensuite je cherche pourquoi j’ai trouvé » dit Jean Cocteau, à propos de la Gnose (la connaissance première).
Le discernement du Cœur (apprendre « par le Cœur » et non « par cœur ») permet de séparer la paille et le grain, l’esprit de la lettre. C’est cette faculté de l’âme qui donne le sens des « causes premières ».
NB : La Solitude ou le goût irrésistible de la Liberté
Dans « Les Sept Tours du Diable », Jean-Marc Allemand rappelle que René Guénon signa certains de ses écrits de ses initiales A.W.Y. soit respectivement les trois lettres arabes « Alif », « Wâw », « Yâ’ ». La lettre « Alif » a pour valeur 1, le nombre de l’Unité. « Sache, dit le Cheikh Ibn ’Atâ’ Allah al-Iskandarî (dans son Traité sur le nom d’Allah), que celui à qui est dévoilée la connaissance du secret du Alif et qui se réalise par lui, a été gratifié de la connaissance du secret de la réalisation de l’Unicité ; il accède ainsi à la station de la connaissance du secret de la solitude (Wahda) de l’Unité ».
N’oublions pas, rappelle encore J.-M. Allemand, que la réalisation initiatique de René Guénon est celle des Afrâd (les solitaires).
« L’homme de l’initiation doit s’arracher du monde, obstacle à la réflexion qui empêche la spéculation de l’absolu en lui », écrit Solange Sudarskis (« La Solitude du nombre 1 »).
« Seuls les solitaires ont accès au Royaume », disait Guillaume de St Thierry au XIIe siècle.
Cet enseignement peut être retrouvé dans les textes et catégories de pensée qui évoquent le thème du « désert » et de la « quête », thème qui apparaît dans la plupart des religions et traditions initiantes.
Ce que l’on peut retenir dans ces hiéro-histoires, c’est que le désert permet un temps sacro-saint, où s’accomplit l’expérience religieuse ou mystique, où s’abolit la différence du saint et du sacré. C’est un mouvement par lequel l’homme en se recueillant au « désert », s’élève à la transcendance (souvent appelée Dieu ou le divin). Dans sa quête, le désert est l’épreuve et le lieu du combat contre le principe du Mal. En ce sens c’est un lieu de passage : se quitter soi-même, abandonner son moi superficiel pour trouver son Soi. Il est comme un centre de labyrinthe où se vivra aussi l’expérience fécondante de la solitude et des combats. Mais cette solitude, cet esseulement n’est jamais le lieu où doit se fixer définitivement l’initié.
Le désert, lieu où la quête ne s’y achève pas, conduit à une deuxième naissance, celle de toutes les « terres promises ».
La Solitude s’avère le contraire de l’égocentrisme, du repliement sur soi et de la revendication pour sa petite personne. Le véritable Solitaire se passe de témoins, de courtisans et de disciples. Le Solitaire sait qu’il a beaucoup à apprendre alors que la plupart ne cherchent qu’à enseigner, à avoir des disciples. Il lit, écoute, réfléchit, mûrit ses pensées comme ses sentiments. En cet état, il pèse le moins possible sur autrui : il ne cherche pas, au moindre désagrément, une oreille où déverser ses plaintes, il ne rend pas l’autre responsable de ses faiblesses et de ses incompétences, il ne peut exercer sur personne un chantage affectif.
La solitude, comme l’humilité, est bien une école de respect de l’autre et de maitrise de soi.
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