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Les relations arméno-turques, la diaspora et la presse

Le Collectif VAN propose régulièrement des traductions d’articles de journaux turcs. Par ailleurs, notre revue de la presse française ou anglophone collectée quotidiennement, nous permet de procéder à une rapide « étude comparative » des articles traitant des relations arméno-turques. Un récent article paru sur le site du journal turc Today’s Zaman nous a paru calqué sur diverses dépêches des médias européens et américains. Mais, c’est en fait la presse occidentale, dite libre, qui se cale chaque jour davantage sur la marge (étriquée) de liberté d’expression de la presse turque… L’article "La Turquie et l’Arménie signent un accord historique", oeuvre conjointe de l’Associated Press (AP) et du Today’s Zaman, se veut anodin mais est emblématique des textes produits ’à la chaîne’ par les journalistes européens et US. Ces derniers suivent, dans leur grande majorité, un parcours fléché, lorsqu’il s’agit d’aborder les relations arméno-turques. Et pour cause : ils se basent sur les dépêches des trois principales agences de presse mondiales, l’AFP, l’AP et Reuters, qui ont une fâcheuse tendance à reprendre à leur compte, sans discernement, la propagande négationniste d’Ankara. De nombreuses dépêches d’agence sont rédigées par leurs correspondants en Turquie, alors que ces derniers sont soumis à des lois particulièrement répressives à l’encontre du tabou du génocide arménien. Par le jeu des reprises « aveugles », le négationnisme du génocide arménien fait ainsi son nid lentement mais sûrement, en France, en Europe et aux Etats-Unis. Navrant.


Relations arméno-turques : décryptage des sept règles d’or de la presse

1) Citer le terme de génocide, uniquement lorsqu’il s’agit de faire écho à l’opinion de quelqu’un qui utilise ce mot (en Turquie, vous pouvez tomber sous le coup de l’Article 301 du Code Pénal et être condamné à des peines de prison si vous estimez que les « événements » de 1915 constituent un génocide. Mais en France ou aux USA ?). Autre variante : l’enfermer dans des guillemets, au cas où il s’échapperait pour apparaître dans sa nue vérité.

2) Opposer systématiquement le nombre des victimes « selon les Arméniens » et « selon les Turcs ». Les journalistes s’imagineraient-ils écrire « Selon Faurisson ou Ahmadinejad » et « selon Klarsfeld » ?

3) Affirmer que le génocide est une simple opinion (celle des Arméniens, voire éventuellement celle de la France et du Canada). Mais que ce n’est pas l’avis de la Turquie. Exit les dizaines de chercheurs et historiens internationaux qui ont écrit sur le sujet et ont conclu à la préméditation des massacres visant la population arménienne de Turquie. La fameuse pétition ‘Liberté pour l’Histoire’ et son antienne « Laissons l’histoire aux historiens » ne concerne visiblement pas les historiens qui ont étudié le génocide arménien.

4) Justifier les ’massacres’ par le fait que les Arméniens auraient plus ou moins mérité leur sort : certains n’hésitent pas à affirmer que les mouvements révolutionnaires arméniens de la fin du XIXe et du début du XXe siècle fomentaient des troubles destinés à démembrer l’Empire ottoman et à créer une Arménie indépendante. Le fait qu’il s’agissait en fait uniquement de mouvements d’autodéfense de villages arméniens en proie à des brigandages et des attaques systématiques de la part des tribus kurdes d’une part, et à une oppression intolérable des gouverneurs, des soldats et de la police de l’Empire d’autre part, n’est pas de nature à perturber le discours convenu de certains journalistes, apprentis historiens d’un jour. La participation essentielle des Dachnaks (Fédération Révolutionnaire Arménienne) à la révolution Jeune-Turque et à l’accession au pouvoir de leurs frères de combat Unionistes, n’interpelle aucun de nos commentateurs patentés : il s’agit pourtant d’un fait historiquement démontré. Est-ce parce que la nature génocidaire des "remerciements" des Jeunes-Turcs à leurs frères arméniens, est de nature à faire obstruction à l’actuelle incantation du "dialogue arméno-turc" ? Et qu’elle assombrit l’image consensuelle de la fraternité séculaire entre Arméniens et Turcs ?

5) Renvoyer dos à dos les descendants des bourreaux et ceux des victimes, en les amalgamant sous l’adjectif peu flatteur de « nationalistes ». CQFD, si vous êtes Arménien de diaspora, et que vous réclamez justice pour un génocide nié depuis près de 95 ans, c’est que vous êtes un « nationaliste », voire un « extrémiste nationaliste » (cf Le Monde). Peu importe vos convictions par ailleurs, vos luttes pour les droits de l’homme dans le monde, votre combat contre l’antisémitisme, contre le négationnisme du génocide des Tutsi, etc. On vous tend le miroir où vous êtes censés reconnaître votre portrait à côté des ultranationalistes Turcs. Cela vous blesse et vous trouvez le procédé injuste ? Arrêtez de lutter contre le négationnisme de l’Etat turc. Le message est clair : « Pas touche à mon négationnisme ».

6) Limiter la question à un contexte purement arméno-turc, qui plus est erroné : « Turquie/Arménie : un siècle d’animosité », ou « Turquie/Arménie : une histoire commune sanglante ». Qui pourrait affirmer sans frémir « Nazis/Juifs d’Europe : une histoire commune sanglante » ? Et faut-il, de manière incessante, rappeler que le génocide des Arméniens concerne les citoyens arméniens de l’Empire ottoman ? Que cet Etat a condamné à mort ses propres citoyens - il est vrai d’origine arménienne, nul n’est parfait -, et non ceux de l’Arménie tzariste de l’époque, qui correspond plus ou moins à l’Arménie actuelle ? Que 1 500 000 Arméniens ont été « nettoyés » à jamais de leurs territoires ancestraux d’Anatolie (l’Est de la Turquie) ? Que les Arméniens, mais aussi, les Assyro-chaldéens-syriaques et les Grecs de Turquie, ont été exterminés entre 1915 et 1923 ? Que l’Arménie actuelle n’existait pas à l’époque du génocide arménien (1915/1916) en tant qu’Etat indépendant ? Qu’après une brève indépendance (1918/1921), l’Arménie a plongé durant 70 ans dans l’obscurité de l’Union soviétique et qu’il ne lui appartenait pas – quand bien même elle l’aurait désiré – de se livrer à un « siècle d’animosité » ? On apprend aujourd’hui, au hasard de nos lectures, que la frontière était ouverte entre la Turquie et l’Arménie et qu’elle n’est fermée que depuis 15 ans, en « représailles » de la part de la Turquie. Pourtant, l’URSS avait les frontières les plus étanches du monde. Tous ceux qui, de 1921 à 1991, ont réussi à approcher les miradors longeant le fleuve Araxe qui sépare la Turquie de l’Arménie, en savent quelque chose. Encore faudrait-il pouvoir situer l’Arménie sur la carte du monde : quand un hebdomadaire, comme le Nouvel Obs*, classe ses articles sur les accords arméno-turcs, à la rubrique ‘Asie/Pacifique’, on se fait du souci.

7) Renvoyer la responsabilité de « l’animosité » existante, à l’Arménie qui persiste, l’impudente, à réclamer justice pour un génocide toujours nié à ce jour et qui a « envahi » les territoires du Haut-Karabagh – enclave arménienne d’Azerbaпdjan. Pour mémoire, les Arméniens de la République autonome du Haut-Karabagh se sont soulevés contre l’autorité azérie car ils étaient peu désireux de connaître le sort des Arméniens de Soumgaït, de Kirovabad et de Bakou, villes d’Azerbaïdjan où de terribles pogroms anti-arméniens ont eu lieu en 1988 et 1989. Et dans ce désir légitime de sécurité et d’autonomie, le soutien d’Erevan leur est, de toute évidence, précieux. Bernard Kouchner, présent ce 10 octobre 2009 à Zurich lors de la signature des accords entre l’Arménie et la Turquie, s’en rappelle peut-être, lui qui écrivait en 1991 dans l’ouvrage ’La tragédie de Soumgaït’ : « Au pogrom de Soumgaït succéderont ceux de Kirovabad (novembre 1988) et Bakou (janvier 1990), sonnant le glas de la séculaire présence arménienne en Azerbaïdjan. Il ne reste que la « forteresse » du Karabagh arménien, à l’heure actuelle pratiquement en état de siége et de blocus ».


Alors quelle conclusion tirer de cette désinformation chronique ? Mort aux faibles ?

L’Association des Amis de Hrant Dink, le journaliste arménien de Turquie assassiné à Istanbul le 19 janvier 2007, a récemment interrogé la société turque en ces termes : « Qu’est-ce qui garde l’humanité vivante ? La diffamation, le meurtre, la conspiration et l’immoralité, ou la justice ? A vous de choisir. »

Oui, à vous de choisir.

Collectif VAN - 13 octobre 2009 - 09:00 - www.collectifvan.org

 
Nota :
* Arménie/Turquie/Azerbaïdjan, situés en Asie Pacifique selon le Nouvel Obs : 

Article en ligne sur le site du Collectif VAN [Vigilance Arménienne contre le Négationnisme]
 
Les relations arméno-turques, la diaspora et la presse

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2 réactions à cet article    


  • Gazi BORAT 5 novembre 2009 07:23

    Il existe un nationalisme turc et il ;existe un nationalisme arménien..

    Ces deux nationalisme antagonistes se déclinent en gradations, allant des « modérés » aux « extrèmes ».

    Les renvoyer dos à dos ?

    Pour les tendances extrèmes, rien d’illogique à cela...

    Pour ce qui est des mouvements arméniens, une nouvelle tendance est apparue, celle de lier le génocide arménien et le génocide juif et de faire du premier la matrice des nettoyages ethniques du XX° siècle, dans la lignée des travaux d’un chercheur en Histoire de l’Université de Los Angeles, Richard Hovanissian.

    Ce positionnement nouveau permet à la fois de faire oublier certaines accointances « encombrantes » du nationalisme arménien, notamment celles de l’ASALA avec le mouvement palestinien, éloborées notamment au sein de la diaspora armeno-libanaise, et qui vit l’ASALA, sur le mode « les amis de nos ennemis sont nos ennemis » s’en prendre par des attentats aux intérêts du gouvernement israelien, jugé coupable de ses bonnes relations avec la République de Turquie.

    Il permet aussi, par une posture plus « universaliste » de faire oublier que le nationalisme arménien en ses extrèmes secrète aussi des courants de pensées antisémites, faisant des Juifs de Turquie les bénéficiaires économiques du génocide arménien, en une version locale du « Protocole des Sages de Sion ».

    D’où l’intérêt apporté à la diffusion de travaux d’Historiens qui, en entachant le mythe d’une république turque apportant un asile généreux aux victimes raciales du nazisme, ne parviennent toutefois pas à en faire un complice de l’Allemagne hitlérienne.

    Agoravox a bénéficié d’articles sur ce sujet par l’auteur (collectif) ou traducteur (car il n’hésite pas à recourir à la menace pour qui ne saisirait pas la nuance entre ce qu’écrit le collectif et ce qu’il cite) durant ces derniers mois..

    La reconnaissance du génocide par la République de Turquie est une nécessité, l’encouragement aux historiens à travailler sur cette épisode sombre de l’Histoire de l’aire européenne aussi.. mais les instrumentalisations de celui-ci ne font guère avancer les choses..

    gAZi bORAt 


    • Gazi BORAT 5 novembre 2009 07:27

      Pour ceux qui s’intéresserait à ce que publie la presse turque et ne sont pas exclusivement centrés sur la question du génocide, une agence de presse « non gouvernementale » existe depuis trente cinq ans et a mis el ligne ses archives sur le net, en français et en anglais..

      http://www.info-turk.be/

      A croiser bien évidemment avec d’autres sources..

      gAZi bORAt

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