Lissa Yellowbird, l’enquêtrice amérindienne qui supplée les carences de la police
Âgée de 56 ans, cette femme n’est pas, loin s’en faut, la seule personne à enquêter aux États-Unis sur des disparitions inquiétantes quand la police a failli ou n’a tout simplement pas lancé de véritables recherches. Mais Lissa Yellowbird est assurément la plus connue, notamment dans les communautés amérindiennes d’où elle est issue...
« Ne comptez pas sur les forces de l’ordre. Les gens éprouvent ce faux sentiment de sécurité [qui leur fait croire que lorsqu’ils font] un signalement de personne disparue, tous les enquêteurs de police sautent dans leur voiture et partent dans toutes les directions à la recherche de cette personne. Ce n’est tout simplement pas vrai. »
Ainsi s’exprimait Lissa Yellowbird-Chase lors d’une conférence de presse organisée après qu’elle ait, en août 2018, retrouvé dans un lac du Dakota du Nord, au moyen d’un bateau équipé d’un sonar, un véhicule immergé où gisait le corps sans vie d’Olivia Lone Bear, une femme indienne disparue l’année précédente dans la réserve de Fort Berthold à New Town : la victime était âgée de 31 ans et mère de 5 enfants.
En réalité, il n’est pas tout à fait exact d’affirmer que rien n’a été fait par les autorités locales qui ont de facto conduit des recherches. Mais il est vrai que les moyens déployés n’ont pas été à la hauteur de ce qu’ils auraient été si Olivia Lone Bear avait fait partie de la communauté blanche de New Town au lieu d’être membre de la Nation indienne des Mandan, Hidatsa et Arikara (également connue sous le nom des Trois tribus affiliées).
Aux yeux des autorités judiciaires, la recherche des disparus indiens n’est en effet clairement pas la priorité, affirment Lissa Yellowbird et les autres détectives amateurs qui, comme elle, enquêtent pour apporter des réponses aux affaires non résolues par les policiers locaux. Ils ne s’attachent toutefois pas à enquêter, la chose est importante à souligner, sur les seules disparitions de personnes amérindiennes.
Comme Olivia Lone Bear, Lissa Yellowbird, indienne de la tribu Arikara (également dénommée Sahnish), est née dans la réserve de Fort Berthold : un territoire de 4 000 km², riche en ressources pétrolières et gazières. Femme battue, Lissa est devenue dépendante à l’alcool et au crack. Pour financer son addiction, elle en est même venue à dealer des métamphétamines, ce qui lui a valu en 2006 une condamnation à 10 ans de réclusion.
Libérée après 2 ans de détention pour bonne conduite, Lissa, délivrée de ses addictions, est devenue soudeuse dans une usine sidérurgique de Fargo. C’est à cette époque, en 2011, qu’un déclic s’est produit avec la disparition de Kristopher Clarke, un ouvrier blanc de 29 ans, employé sur un site de fracturation hydraulique du Bakken. En cinq jours, Lissa a retrouvé le corps de cet homme, victime d’un meurtre, là où la police avait échoué.
Avait échoué ou n’avait tout simplement pas agi. À cette époque, dans 62 % des cas, les recherches étaient abandonnées sans résultat dans le Dakota du Nord. Elles n’étaient parfois même pas engagées – notamment dans les cas de disparition d’amérindiens – du fait des périmètres de compétence fonctionnelle et territoriale mal définis entre les forces de police tribale, municipale, étatique ou fédérale.
59 315 personnes portées disparues en 2024
C’est à la lumière de cette réalité que Lissa Yellowbird s’est engagée dans la recherche des personnes disparues en s’appuyant sur ses qualités : intelligence, détermination, méthode et intuition. Seule d’abord. Puis, à partir de 2013, avec l’aide d’un corps d’enquêteurs amérindiens bénévoles qu’elle a créé, avec le soutien de membres de sa propre famille, sous la forme d’une association à but non-lucratif appelée Sahnish Scouts.
Entre les enquêtes conduites par Lissa Yellowbird seule et celles qu’elle a menées à bien avec les Sahnish Scouts – majoritairement des femmes –, plus d’une centaine de personnes disparues ont été retrouvées à ce jour. Non seulement dans le Dakota du Nord, mais également dans le Dakota du Sud, l’Iowa, le Minnesota, le Montana, le Nebraska, l’Oklahoma, et même la Californie. Le plus souvent à la demande de familles amérindiennes.
L’histoire de Lissa Yellowbird et les missions d’enquêtrice qu’elle s’est données ont fait l’objet de nombreux reportages médiatiques. Un livre a même été consacré à cette étonnante détective amateur par la journaliste américaine Sierra Crane Murdoch : Yellow Bird. Sous-titré Oil, Murder and a Woman’s Search for Justice in Indian Country, ce livre (lien) a été finaliste du Prix Pulitzer en 2020 et a donné lieu au tournage d’une série télévisée.
Eu égard au nombre considérable de disparitions inquiétantes constatées chaque année aux USA, l’engagement des groupes de recherche comme celui de Lissa Yellowbird peut sembler dérisoire. Et de fait il l’est. Comme l’est celui de nombreux autres collectifs du même genre qui, aux États-Unis, se sont également assigné pour mission de venir en aide aux familles de personnes disparues, confrontées à l’angoisse, et souvent à la détresse.
Selon le site World Population Review, 59 315 personnes – 6,5 pour 100 000 habitants – ont disparu en 2024 sur le territoire des États-Unis. Tous ces cas n’ont pas systématiquement présenté un caractère inquiétant, nombre d’entre eux relevant en effet de fugues et de disparitions volontaires, parfois solutionnées en quelques jours. Il n’en reste pas moins que 23 576 cas – inquiétants pour la plupart – sont restés non résolus*.
Aussi modeste soit-il en termes de résultats, tant le nombre des disparitions annuelles est élevé, l’engagement des enquêteurs amateurs est digne de soutien et de respect. À l’image de celui des Sahnish Scouts de Lissa Yellowbird, guidés par leur propre épigraphe : « When they can’t cry out for justice, it’s our duty to do it for them. » (Quand ils ne peuvent pas réclamer justice, il est de notre devoir de le faire pour eux.)
* À noter que, chaque année, environ 4 400 corps retrouvés aux États-Unis restent non identifiés par les autorités. Comme pour la recherche des personnes disparues, il existe des collectifs d’amateurs qui essaient, notamment en s’appuyant sur leurs connaissances médico-légales et judiciaires, mais également sur les ressources de l’Intelligence Artificielle, de donner un nom à ces dépouilles.
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