Mai 68 en Egypte ?
Les récents événements en Tunisie, en Egypte, ainsi qu’au Yémen, livrent leur cortège d’interrogations et autres ambiguïtés sur l’interprétation de ces révoltes car en pareille situation, le maître mot est « transition ». On sait parfaitement ce que les manifestants ne veulent plus. L’ancien régime. On cerne à peu près les causes de ces soulèvements. Certaines sont conjoncturelles, d’autres plus anciennes, ancrées dans des décennies de pratiques exercées par des régimes autoritaires avec l’emploi de la peur, pour ne pas dire de la terreur. Les populations ont courbé l’échine pendant ces années mais, changement de génération oblige, les jeunes, notamment issus des classes moyennes et convenablement instruits, ayant accès aux technologies modernes de communication, n’entendent plus être privés de parole et surtout, d’avenir. Les nouveaux moyens de communication ont créé des forces sociales que n’ont pas anticipé les régimes en place, ni du reste les dirigeants occidentaux qui les ont soutenus sans comprendre l’agacement des populations. A ces facteurs sociaux se sont ajoutés les conditions économiques liées à la crise des matières alimentaires. Et c’est cette conjonction qui a mis les peuples dans la rue.
Deux comparaisons historiques peuvent être effectuées. En premier lieu, on verra dans ces révoltes des peuples de pays arabes le signe d’une vers la démocratie et on pourra se raconter une belle histoire, comme celle écrite par Fukuyama sur l’évolution naturelle des nations vers un régime démocratique accordant possibilité d’élection, liberté de parole et reconnaissance de l’individu par l’Etat (thème hégélien s’il en est) Cette transition s’est opérée dans les pays d’Amérique latine depuis la décennie 1990. N’oublions pas que dans les années fin 1970 et 1980, le Chili et l’Argentine étaient gouvernés par des militaires dirigeant des régimes pas plus tendres que ceux de Ben Ali ou de Moubarak. Médias contrôlés, arrestations arbitraires, tortures, disparitions d’opposants, corruptions. Ces mots s’appliquent tout aussi bien au Chili de Pinochet qu’à la Tunisie de Ben Ali. Evidemment, les Etats-Unis soutenaient le Chili, ayant même prêté la main au renversement du gouvernement Allende par les militaires menés par Pinochet. C’était un 11 septembre 1973. Ces mêmes Etats-Unis ont longuement soutenu le président Moubarak. Les diplomates américains trouvant en quelque sorte naturel qu’un pays de culture arabo-musulmane soit dirigé ainsi. Et puis cette dictature arrangeait bien la géopolitique axée autour du destin d’Israël. Il était tout aussi naturel que les Tunisiens soient dirigés par un régime autoritaire livrant les richesses du pays à quelques clans mafieux. L’histoire retiendra sans doute la complaisance des dirigeants occidentaux à l’égard de ces régimes et qui sait si nous n’avons pas affaire à quelque déni de réalité, pour ne pas dire autisme systémique, pratiqué par la plupart des dirigeants sur cette planète sont le point de vue est centré sur la gouvernance et non pas sur ce que ressentent les populations, sur les aspirations des gens, sur les conditions d’existence moyennes, sur les vécus ordinaires. A force d’être entre eux, les gouvernants occidentaux ne comprennent le monde que du point de vue du dompteur qui dresse son cheval puis le soigne et le lave à l’étable.
Cette première comparaison effectuée entre les pays arabes et les pays latino-américains ne tient pas parce que les ressorts de la transition sont bien différents, autant que les cultures, les conditions économiques, historiques, démographiques et technologiques. L’Argentine et le Chili ont pratiqué une transition en douceur, menée avec des forces beaucoup intempestives mais soutenues, appliquées tel un conatus démocratique agissant de manière consensuelle au sein des classes moyennes, bourgeoises, populaires et dirigeantes. Les transitions démocratiques ont pris plusieurs années dans ces pays. Par contre, en Tunisie et en Egypte, les dirigeants ne semblent pas avoir cette conscience historique et croyaient leur mandat irrévocable, ainsi que leurs pratiques presque éternelle. Moubarak songeant d’ailleurs remettre les clés du pays à son fils, pour que rien ne change. La conscience historique, elle s’est manifestée dans les populations et peut-être, chez une partie des gradés de l’armée. Autant dire que ces révoltes embarrassent les pays occidentaux mis devant leurs contradictions, ces pays donneurs de leçon démocratique, récitant la même litanie aux Chinois depuis trois décennies, mais ne comprenant pas le sort des peuples arabes lassés des dictatures. En mai 68, les prolétaires ont été associés aux frondes étudiantes, avec l’intervention d’un média inédit, la télévision, puis quelques meneurs et un mouvement de grande ampleur qui a surpris les gouvernants. On retrouve les mêmes ingrédients en Egypte, avec le poids d’une jeunesse impatiente, l’appui de nouveaux médias et des populations qui souffrent sur le plan économique. N’en déplaise aux commentaires et autres appréciations officielles, le soulèvement en Egypte s’apparente à mai 68 mais nul ne sait quel nouveau régime peut accoucher tant le chaos règne. Tout dépendra des forces et des attitudes des responsables, certains devant rester, certains partir et d’autres arriver. Après la foule, la plage vide et la page blanche.
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