Mediator : le mystère d’une communication déshumanisée
Ce n’est qu’à partir du 19 novembre que, dans un second communiqué, le laboratoire déclarait « comprendre l’inquiétude des patients et des médecins » tout en se disant « extrêmement préoccupé par les chiffres annoncés » qu’il jugeait « très éloignés du suivi de pharmacovigilance du médicament ».
Une demi-phrase marquant l’empathie, mais bientôt contredite dans l’esprit par les déclarations de Jacques Servier au journal « Le Monde » en date du 21 novembre. En effet, quand celui-ci parle d’une « fabrication » pour « embêter le gouvernement » et conclut à un « bruit médiatique disproportionné », il renforce le sentiment qu’ont les patients concernés de ne pas être reconnus dans ce qu’ils vivent.
Dans la foulée, les premières plaintes au pénal sont déposées, l’UFC « Que Choisir » déclare réfléchir à déposer une plainte « pour que toute la lumière soit faite », l’Association Française des Diabétiques (AFD) exige que « toute la lumière sois faite, au nom des trois millions de diabétiques de France, par respect des personnes décédées, de la douleur de leur famille, des inquiétudes de tous ceux ayant consommé ce médicament », avant de lancer une pétition nationale en ligne, et le groupe CRC du Sénat annonce qu’il compte faire jouer son « droit de tirage » pour demander une commission d’enquête sur le sujet.
Oscillant ainsi entre minimisation, déni de responsabilité et victimisation, le groupe Servier semble s’être enfermé dans une logique particulièrement conflictuelle avec l’ensemble des victimes et des patients concernés, aujourd’hui soutenu par nombre d’élus et acteurs de la société civile.
Dès lors, la question se pose de savoir ce qui a pu pousser la direction de l’entreprise à déployer une telle stratégie de communication de crise.
A-t-elle cru que donner des signes de considération pouvait être aussitôt interprété comme un début de reconnaissance de responsabilité ?
Ou bien, est-il possible que, animée par la « loi du plus fort », elle ait « naturellement » adopté cette posture, consciente de ce que le risque financier en cas de condamnations, même pénales, sera limité ? (Rappelons qu’en France les « class actions » n’existent pas, que le montant des dommages et intérêts n’est pas calculé en fonction de la taille de l’entreprise et que le temps judiciaire est long, ce qui permet de provisionner).
Quoi qu’il en soit, il est urgent de tordre le cou à une croyance encore largement répandue selon laquelle les marques d’empathie, et même de compassion, sont incompatibles avec le fait de se battre sur le terrain de la responsabilité. Au contraire, si la responsabilité du groupe Servier devait être retenue à terme, les juges se souviendraient de son comportement d’alors. Quant à l’opinion publique, toujours plus exigeante en termes de santé, si elle est devenue allergique à la « minimisation » et au « déni de responsabilité », elle n’en est que plus réceptive à toute forme d’humilité.
Lorsqu’on est mis en cause, à tort ou à raison, le fait d’adopter une attitude méprisant la « raison de l’autre » ne peut qu’envenimer une relation par nature conflictuelle, générant ainsi une surenchère destructrice.
Si le laboratoire Servier avait opté pour une communication réellement soucieuse de ses publics, tout en exprimant de manière neutre ses réserves ou ses désaccords, mais en s’engageant à assumer toutes ses responsabilités pour peu qu’elles soient déterminées… n’aurait-il pas quelque peu limité ce « bruit médiatique disproportionné » et les effets négatifs sur son image et celle de l’industrie pharmaceutique dans son ensemble ?
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