Mes amis juifs
J’ai le brûlant désir de parler de mes amis juifs, ils ne sont pas mes amis parce qu’ils sont juifs mais parce qu’ils m’ont fait savoir ce que je ne faisais que deviner en moi, je ne me suis aperçu de leur commune religion que bien plus tard. Même si elles sont toutes fausses, il faut se raccrocher à au moins une certitude pour ne pas sombrer dans les tourments que ne manquent pas d’offrir toute vie. La certitude à laquelle je n’ai cessé de me référer, c’est que ‘l’amour est la source de toutes les vertus’. Mes parents, par leur exemple et leur courage, m’avaient donné la bonne direction, il me fallait encore me rassurer : d’autres aussi pensaient que l’Amour est la seule chose qui compte finalement. Vanter les vertus de l’Amour au milieu de gens qui sont revenus de tout, et surtout d’eux-mêmes, équivaut à un suicide social : vous devenez le benêt de service. C’est encore plus périlleux si vous le dites à des guerriers prêts à tout pour vaincre.
Le savoir, les connaissances, l’érudition peuvent être des moyens de libération en essayant de comprendre un peu du réel, en le comparant avec ce qu’il devrait être et en agissant en conséquence. Certains professeurs, certains philosophes, certains lettrés, mais ils représentent une infime minorité, vous donnent quelques clés de compréhension qu’ils ont acquises à force de temps et grâce à leur talent. Vous pouvez ainsi acquérir quelques libertés impossibles à atteindre par d’autres voies. En général, les armes intellectuelles servent au contraire, comme toutes les autres armes, à dominer, à affirmer son besoin d’asservir, à éblouir ceux qui ne possèdent pas ou moins bien de tels atouts. La ‘Volonté de puissance’ ne désigne pas seulement une soif insatiable de domination sur l’autre, sur les autres, c’est aussi une source de force quasi-surhumaine et qui constitue l'essence de tout être (ou presque).
Les philosophes, les idéologues, les religieux ne se sont pas privés d’utiliser leurs savoirs pour enfermer la multitude dans les croyances, l’idolâtrie et le fanatisme : beaucoup diffusèrent des images saintes que l’on était censé révérer. Le savoir devint un moyen incontournable de l’élite pour justifier ses privilèges. La raison raisonnante qui ne produit concrètement rien est la seule voie, à côté de la fortune, qui permet d’engendrer des subordonnés, des obligés ; l’artisanat ou le travail travail manuel en général ne le peuvent pas. La Raison a remplacé la force physique afin que le mâle ou son équivalent moderne puisse exercer son pouvoir sur d’autres moins bien lotis par la Nature.
Mais ce n’est pas ce qu’ont fait mes amis juifs !
Richard Feynman (1918-1988) est un physicien américain qui s’est rendu célèbre parmi les scientifiques pour ses travaux sur l'électrodynamique quantique, domaine difficile d’accès. Mais c’est pour ses cours de Physique, de Mécanique, d’Électromagnétisme, de Mécanique quantique qu’il a atteint l’âme d’innombrables étudiants. Un professeur tend souvent à se mettre hors de portée de son auditoire par crainte d’une remarque inattendue, par peur de buter soudainement sur une difficulté imprévue ce qui lui ferait perdre pour toujours son statut de ‘Maître’. Alors il se réfugie dans le jargon, dans les mathématiques absconses, dans les concepts ésotériques pour échapper à un tel sort. Le jargon, les mathématiques, les concepts sont fort utiles une fois que vous avez compris la nature physique d’un problème, ils représentent un poids gênant avant. Richard Feynman justement mettait tout son savoir à débarrasser les problèmes de tout ce qui gêne l’entendement : la nuit… puis un éclair et tout s’embrase, vous avez compris ! Le peaufinage peut venir ensuite et vos intégrales, vos lagrangiens, vos tenseurs… viennent préciser ce que vous maitrisez déjà.
« Le vrai triomphe de la Science, c’est de pouvoir trouver une manière de penser telle que les lois physiques soient évidentes. »
Primo Levi (1919-1987) est lui chimiste, pas seulement de profession (qu’il exerça dans une petite industrie durant plus de 30 ans), mais aussi par sa façon de réfléchir : « Le Chimiste a pris l’habitude de se contenter de ce que l’expérience lui donne, de s’attendre aux obstacles ou incertitudes pratiques qui menacent ses déductions ou ses désirs. » En d’autres termes, un ‘Chimiste ordinaire’ ne croit en rien, et surtout pas aux théories : il observe, il relie le plus pertinemment possible les faits les uns aux autres, d’une façon provisoire, en laissant d’autres en attente, et il essaie, avec d’innombrables règles empiriques, de suivre son chemin vers le but qu’il s’est fixé… ou de trouver tout autre chose bien plus intéressante.
Primo Levi mettait lui aussi toute son énergie à ne pas tricher avec la réalité, à ne pas la dépeindre comme on voudrait qu’elle soit, comme on aurait intérêt qu’elle soit.
Et tous mes autres amis juifs font de même dans d’autres domaines : Raymond Aron, Patrick Modiano, Vladimir Jankélévitch, Stefan Zweig, Baruch Spinoza, Karl Marx, Sigmund Freud, Henri Bergson… et tant d’autres !
Mais pourquoi mentionner seulement mes amis juifs, j’ai bien entendu des amis d’autres confessions ?
Car il semble qu’actuellement on n’admire plus, on ne déteste plus en fonction du talent ou du manque de talent d’un créateur, d’un artiste, d’un savant, mais justement en fonction de son appartenance à une communauté. Il est d’évidence qu’une communauté n’a pas pour principal objet de cultiver l’intelligence, un Homme seul dans une bibliothèque y parvient fort bien, mais pour dominer, asservir les esprits et les corps, con-vaincre. Alors… on assiste à la trahison de la plus noble, de la plus belle, de la plus admirable fraction de l’humanité dont font partie mes amis juifs. Un certain nombre de personnes apparaissent à tout propos dans les médias en tant que militants d’une cause, et ceci n’a rien d’anormal. Ce qui est choquant c’est qu’ils se drapent dans les draps de leurs aïeux individuellement talentueux ou géniaux mais qui ne se reconnaissaient pas dans une communauté autre que la communauté de tous les Hommes. Leurs aïeux haïssaient les clans, les fractions, les meutes qu’ils étaient bien placés pour connaître leur inintelligence et les innombrables dévastations que les clans peuvent infliger au monde. La logique de leur successeur est une logique de guerre… un groupe contre un autre, une partie du monde contre un autre, alors c’est la détestation, la haine, qui prennent le dessus, c’est l’animalité des instincts qui prime tout le reste, et cette animalité ne conserve de l’intelligence que ce qui permet de gagner à tout prix. Les intellectuels se donnent alors pour devoir de berner ses ennemis, ce qu’ont toujours fait les fausses idoles, les mauvais prophètes, les propagandistes de tout acabit.
Militez si vous voulez MM. les intellectuels du nouveau Monde, mais laissez en dehors de vos propos et agissements ces précieux érudits juifs du temps jadis qui nous ont permis de vivre, de survivre, d’espérer et que vous n’avez pas à accaparer, à agréger, dans une quelconque communauté.
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