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Ne dites pas à ma mère que j’ai lancé ZeroTV, elle me croit planqué à TF One

 

Quand on a fait le tour des églises, on revient à la cathédrale. Au bout d’un moment, il faut apprendre à distinguer la persévérance de l’obstination. C’est pour moi ce qui s’est passé. Il y a parfois des inconvénients à être un bon élève. Et surtout à écouter ce que vous disent vos amis.

Donc, pendant trois ans, je me suis présenté avec ma mine d’honnête homme à la porte des églises. J’avais mis mon OVNI sur la Toile et je le laissais tourner dans la blogosphère. Ca plaisait. Je n’irai pas jusqu’à dire que je croulais sous le courrier des fans, mais un cercle d’amateurs se constituait autour de Casting Sauvage, qui pourrait se définir comme des tentatives de séduction filmées, un voyage initiatique et existentiel basé sur la rencontre de jolies inconnues.

Ce projet original, à la fois poétique et didactique, qui avait pour mérite - et pas des moindres - de faire tomber les barrières qui se dressent entre les individus, ne rencontra jamais les décisionnaires des temples télévisuels, à peine quelques assistants, qui me déclarèrent s’être beaucoup amusés, mais pas au point quand même de me prendre au sérieux et d’envisager un rendez-vous avec leur patron. Il semblaient me dire : "Ici on fait de la vraie télé, on n’est pas là pour beurrer les tartines !".

Néanmoins un matin, à la suite d’un article sur Novaplanete, le site Internet de Radio Nova, je reçois un coup de fil d’un journaliste du Grand Journal de Michel Denizot sur Canal. Le type est tout excité, il vient de découvrir le programme sur le Net, et veut absolument faire un sujet filmé sur moi, pour l’émission. Et il veut ça pour le lendemain, car la diffusion est prévue pour le surlendemain. Il me propose de m’envoyer une chroniqueuse du journal afin que je répète avec elle le principe que j’applique en live dans la rue. En gros, je dois faire comme si elle était une inconnue, l’aborder et flirter avec elle caméra au poing, pendant qu’une équipe me suivra à distance et filmera toute la scène.

Lorsque Canal vous appelle, vous ne dites pas non. Le type veut ça pour le lendemain et je fais mine de résister, mais en vérité, il m’aurait proposé le tournage dans l’heure, j’y serais allé à la vitesse du vent. Pour achever de me convaincre, il me dit que la fille est très jolie, s’imaginant sans doute avoir affaire à un monomaniaque primaire, dont le seul moteur dans l’existence serait la plastique féminine.

Lorsque le surlendemain, après que j’ai eu claironné tout alentour que je passais sur Canal à une heure de grande écoute, je surveille le poste (son quart d’heure de célébrité, ça ne se manque pas) : quelle n’est pas ma désillusion en voyant à la place du sujet tant attendu un reportage sur une dame-pipi vidéaste ?

Après avoir plus ou moins digéré ma consternation, j’essaie de joindre le journaliste si enthousiaste deux jours auparavant qui, en entendant ma voix, raccroche le combiné avec une confusion d’où semblent émerger des vapeurs de whisky et de marijuana. Quant à la chroniqueuse, la « jolie » Tania, elle gère mieux la situation en me déclarant que la chaîne a refusé la diffusion de ma séquence, sans motiver sa décision. Je demande en conséquence de pouvoir récupérer ma bande vidéo. Elle me promet de me la renvoyer. En fait, je ne la recevrai jamais.

Nous sommes en septembre 2006. Le bilan de cette aventure, c’est des centaines de coups de téléphone pour joindre des assistantes dont la moitié ne me rappelleront jamais, des rendez-vous pris et annulés, des dizaines de cassettes perdues dans les rédactions et jamais visionnées, des paquets de mails restés sans réponse, et pour quelques rendez-vous sans lendemain, des verdicts stéréotypés, sans le moindre argumentaire, du style : « ça ne nous intéresse pas », ou « nous avons des centaines de projets à visionner par jour ». Au bout d’un moment, et après que le projet eut été confié à une société de production reconnue qui, elle-même, ne rencontre pas plus de succès, on se dit qu’il y a un problème. Et on peut facilement en arriver à penser que le problème vient de nous, qu’on n’est finalement bon à rien, d’une créativité limitée, et qu’on aurait tout intérêt à rester serveur ou conseiller à la Fnac, à s’engager dans la police ou à ouvrir un corner de beignets à Brighton. Mais quand, par hasard, on allume la télévision, et qu’on tombe sur « Au secours mon chien fait la loi ! », « L’île de la tentation », « Les cents plus belles casseroles de l’histoire de la télé », ou la trois millième diffusion de « La croisière s’amuse » ou de « La petite maison dans la prairie », on est moins tenté de s’autoflageller. On voit bien que le problème est ailleurs, et qu’il devient urgent de choisir son camp.

En matière culturelle comme en génétique, l’une des conséquences de l’endogamie est la dégénérescence. C’est le thème, semble-t-il, du dernier ouvrage de Jean-François Kahn, qui parle de la bulle des milieux clés (banque, finance, politique et show business), bulle sur le point d’exploser, car par essence fermée et réfractaire à la nouveauté. De cette situation, la télévision est le parangon, comme l’atteste cette rentrée. Sur le plan des animateurs comme sur celui des programmes, très peu de renouvellement, un hallucinant jeu de chaises musicales, un jeu d’une telle indécence qu’il en frise la caricature. Avec, pour résultats, les mêmes émissions recyclées, dont on a juste changé le titre. Et cela au moment même où sur le Net on assiste à une explosion d’idées, d’initiatives, de projets d’une incroyable fraîcheur.

Quand on a fait toutes les églises, on revient à la cathédrale. Une ère s’achève pour la télévision traditionnelle. Il y a cinq ans, n’importe qui annonçant qu’il lançait une télé sur le Web passait volontiers soit pour un fou furieux, soit pour un riche héritier soucieux de griller en cinq minutes cent millions de dollars. Il y a quatre ans, le même faisait vaguement sourire. Il y a trois ans, il était sans doute considéré comme producteur de programmes licencieux. Il y a deux ans, il était vu comme un rameur aux bras volumineux prêt à traverser l’océan atlantique du Web. Il y a un an, YouTube et DailyMotion offraient à tous les producteurs de contenus du monde, sans jugement de valeur ni hiérarchie, la possibilité pour leurs créations d’être vues par le plus grand nombre.

Nous sommes les médias, proclamait Dan Gilmor dans un livre qui fera date.

Nous sommes la télévision, peut-on aujourd’hui proclamer (avec à peine un peu d’avance) sans craindre le ridicule. La télévision est morte, vive la télévision. Il y a autant de différence entre ce qui s’est fait et ce qui s’annonce qu’entre une icône du XIIe siècle et un tableau moderne. Rigide, kitsch, sans perspective, lisse, vide, d’une prétendue objectivité, compassée, propre, pro-fes-sion-nelle, elle a exercé pendant un demi-siècle, faute de concurrence, sa dictature de l’ennui. Bien sûr, il y aura toujours des gens pour adorer Questions pour un champion, La boîte, Qui veut gagner des millions, La cible, Fort Boyard , Le maillon faible, Les feux de l’amour, Y’a que la vérité qui compte. On ne peut pas leur en vouloir. Il faut respecter certaines dilections.

Mais autre chose se profile. La voix des citoyens, et la possibilité pour chacun de s’exprimer, d’être vu et entendu, d’accéder de plus en plus aisément à cette visibilité dont les médias traditionnels étaient le sas et le détenteurs exclusifs.

Soyons réalistes, exigeons l’impossible, clamait un célèbre révolutionnaire. Soyons réalistes, et acceptons de considérer les oligarchies de l’information comme n’ayant jamais été aussi riches et puissantes. Et inversement, d’un autisme sidérant. Elles ressemblent à des bolides lancés à toute vitesse sur des voies rapides, ne se rendant pas compte que la créativité et la nouveauté, dont elles pourraient profiter et qu’elles refusent de considérer, foisonnent et s’épanouissent sur les routes adjacentes. Créativité et nouveauté qui, non sujettes aux contrôles, aux pressions et à la censure, fourbissent en secret leurs armes de séduction, de corrosion et de style.

Dan Gilmor - qui lance le Center of Citizen Media -, le site d’informations Oh my news en Corée du Sud , Current TV la télévision citoyenne d’Al Gore, AgoraVox le journal citoyen de Carlo Revelli et Joel de Rosnay avec la version télé, Loïc Le Meur, le premier blogueur de France qui tutoie les hommes politiques, Karl Zero exit de Canal qui monte le Web2 Zéro, c’est une traînée de poudre auprès de laquelle la révolution de Gutenberg ressemble à un passe-temps d’initiés.

Elle s’appelle Lisa, c’est une simple ménagère, et sur son vidéo blog (H20 TOWN), elle se permet une entrée en matière à rendre jaloux les journalistes les plus chevronnés : " Cela ne devrait pas se passer comme ça. Parce que pour chaque chose qui se passe , il y a quelqu’un qui sait ce qui s’est passé. Et ce pourrait être vous ! " Ce ne sont pas les frères Naudet à New York en septembre 2001 pour faire un documentaire intimiste sur les pompiers de la ville et qui ont produit un document choc sur les attentats du World Trade Center, ce ne sont pas eux qui contrediront ce constat.

Avec I Likes, je viens de monter ZEROTV, « la TV qui ne prépare rien mais qui vous dit tout ». On a commencé par un survol distancié de l’actualité. Une revue de presse sans musique mortuaire ni présentateur mortifié. Quand j’en parle autour de moi, les gens ne savent pas s’ils doivent rire ou pleurer.

 

Ils préfèrent en rire. Ça tombe bien, moi aussi. L’humour n’est-il pas la politesse du désespoir ?


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6 réactions à cet article    


  • La Taverne des Poètes 15 septembre 2006 11:15

    Exigez de la jolie chroniqueuse des compensations en nature... smiley


    • pluskezorro pluskezorro 15 septembre 2006 11:50

      Pour les compensations en nature c’est bien mon intention.Disons que pour l’instant je lui fais crédit...


    • pluskezorro pluskezorro 15 septembre 2006 11:47

      En effet Demian je suis Re-Calé !


    • pluskezorro pluskezorro 16 septembre 2006 11:57

      En principe les chalutiers japonais utilisent des filets dérivants pour ramener sans distinction thons,morues et rascasses sans discernement.Pour ma part j’utilise plus volontiers des lignes innofensives pour pêcher des sirènes choisies que je rejette très souvent à la mer.Je reconnais néanmoins que certaines resteraient sans peine à bord si j’étais le fier capitaine d’un yacht flamboyant et non un simple pêcheur sur sa frêle embarcation.La métaphore du rouleau compresseur s’appliquerai davantage à quelque camionneur avec pin-up de Hustler punaisée dans la cabine.Il est vrai que l’art du beauty-diving excède de loin cependant les timides tentatives des minets du Samedi soir. Que j’ai inventé ou non un piège à fille ne doit pas nous faire perdre de vue l’essentiel : créer une tension sexuelle diffuse, lui faire atteindre un pic puis clôturer la séquence par une image de la belle s’éloignant comme un rêve. Car c’est bien connu si l’homme descend du singe, la femme, elle, descend du songe. A bientôt pour de nouvelles aventures.


    • dapeacemaker (---.---.1.14) 15 septembre 2006 12:35

      ... Salut l’Humain !

      j’aimerai prendre contact avec vous, mais je ne veu vous l imposer.

      [email protected]

      DPM


      • tchoo (---.---.239.21) 15 septembre 2006 17:34

        En voilà un rebond interessant ! je sens que l’on va se marrer

        pour éviter de pleurer !

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