Eric Besson lance une forme instituée, étatique... d’un débat qui nous occupe depuis longtemps. Il ne le crée pas. En donnant une forme étatique, il donne un cadre, un sens ; il enferme un peu aussi, ne serait-ce qu’en donnant un intitulé.
Les réactions qui acceptent ou refusent le débat, en craignent certains aspects… font partie, que leurs auteurs le veuillent ou non, du débat institutionnalisé que propose Besson.
Un certain nombre de réactions argumentent de l’intérêt électoral pour la majorité à lancer ce débat. C’est faire fi de ce qu’est un débat, de ce qu’est le débat en démocratie : c’est-à-dire l’émergence de l’indéterminé. Même si la majorité présidentielle avait ce but, il est aisé de le subvertir. Il faut y aller avec énergie.
Le débat, dans cet argument, est comme une campagne de publicité politique. L’intitulé du débat semble contenir le résultat. L’intitulé du débat semble un slogan politique, qui affirme. Sur cette base là, une partie des forces de gauche refuserait de participer, créant la signification qui les fait rester sur la touche : envisager un problème d’identité nationale serait, en soi, réactionnaire, nationaliste…etc. Poser le problème contiendrait poser la solution, unique, et la gauche ne doit pas s’approcher de ce problème-solution. Il y a longtemps (1984), Laurent Fabius avait déclaré : « L’
extrême-
droite, ce sont de
fausses réponses à de
vraies questions. » ; ce qui avait été terrible pour lui. Poser la question serait apporter la réponse que l’on ne veut pas : la France aux Français et les nouveaux arrivants doivent montrer une « qualification » française ou, au moins, un désir de l’acquérir et un minimum de pré-requis.
Ce débat formalisé est le moment ou jamais de formaliser le problème autrement.
Eric Besson donne des pistes à ce débat, des sous-débats, plus concrets. Dans les pistes, il y a les symboles, dont le fait de chanter la Marseillaise. Eric Besson a déclaré qu’il fallait recontextualiser les paroles de cet hymne, notamment le « sang impur »… qui suppose un sang pur, une appartenance à la nation française par le sang ! Il s’agissait à l’époque du sang impur de peuples européens. On pourrait plutôt se faire un autre hymne, en tout cas je le propose, plutôt que de chanter ces paroles en disant qu’elles ne nous concernent plus, qu’elles concernent un temps dépassé et que cependant c’est notre hymne. Les pistes viennent aussi des événements ; la Marseillaise a été sifflée le 14 octobre 2004, ce qui aurait choqué 80% des Français. Certaines réactions politiques, à cette occasion, ont nommé les bons Français et les mauvais, le sens des devoirs et des droits, et l’indiscutable supériorité de notre démocratie républicaine qui oblige tout le monde au respect, malgré la faiblesse des réalités obtenues à la suite de son idéal d’égalité et de fraternité.
Nous avons mal à notre identité peut-être parce que notre « modèle » d’intégration, voire d’assimilation des nouveaux venus, qui a fonctionné avec beaucoup de souffrances et de difficultés ne fonctionne plus ou pas assez. Michel Coluche s’appelait Colucci, Yves Montand s’appelait Ivo Livi, Aznavour, Aznavourian : ils se sont tout de même un peu cachés de leur origine et ils ont bien fait. Il ne faut pas trop rêver que les neiges d’antan étaient plus blanches, plus froides et faisaient de plus beaux bonhommes.
Un effet des technologies de communication électroniques et de la vitesse des transports empêche l’isolement des étrangers, diminue l’exil et leur enlève la contrainte de devoir s’adapter ou s’accommoder. Ils peuvent importer leur culture, et même leur culture quotidienne (cuisine, fêtes, musiques, relations de voisinage…)
Nous n’avons pas le choix, comme il est dit, entre un modèle d’intégration (ou d’assimilation) ou le modèle dit communautaire. Ce n’est pas une question de choix, encore moins un choix lié à un accord qui naîtrait d’une discussion collective. Nous avons mal à notre identité parce que l’apport des nouveaux arrivants arrive trop vite. Dans le modèle ancien, les nouveaux arrivants déplaçaient tout de même la mentalité du peuple de France, mais plus tard, dans un second temps, et faiblement. Avec notre nouvelle modernité, disons, sa technique et sa vitesse, qui engendre aussi la mondialisation, tout va plus vite et ce qui se suivait chronologiquement et se distinguait se chevauche.
Un débat pourrait nous aider à quitter la seule perspective que les Français de souche savent mettre en œuvre : crispation, énervement et recherche d’une répression justifiée par une interprétation ad hoc des « principes ».