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Accueil du site > Tribune Libre > On achève bien les lasagnes

On achève bien les lasagnes

J'ai été bien imprudent la semaine dernière en décernant prématurément le prix de la couillonnade d'or* ! Mais je ne pouvais pas imaginer que nous aurions cette semaine sur les bras cet invraisemblable scandale des lasagnes de cheval roumain... A côté de ça la misérable embrouille de la confiture de fraise à la pomme fait vraiment petit bras. 

Après la vache folle on nous avait vanté les mérites de la traçabilité : olala ! On nous avait promis juré que cela ne se reproduirait plus ! Traçabilité vous dis-je ! De la traçabilité, de la transparence, on avait les photos des vaches qui s'affichaient dans le rayon boucherie, la provenance, le nom de l'éleveur, sa photo, à peine si on n'avait pas son numéro de téléphone... Remarquez d'ailleurs, tout ceci a disparu depuis. Le prix de la viande s'est envolé entre temps et à peine le client a-t-il oublié qu'il s'était fait pigeonner pendant des années avec des animaux nourris à la farine animale qu'on lui refile du cheval à la place du boeuf haché ! 
 
On imagine déjà les dialogues d'Audiard dans cette carambouille qui évoque les tontons flingueurs, entre les abattoirs roumains, les traders chypriotes et néerlandais et le patron de PME basque, qui, pris la main dans le sac par les inspecteurs de la répression des fraudes la joue grande gueule, vertu outragée et chantage à l'emploi : "touche pas au grisbi salope !" après avoir écoulé 750 tonnes de cheval à la place du boeuf.
 
Grâce aux accointances que j'ai avec quelques "télégraphistes" du réseau Echelon, qui espionnent toutes les communications téléphoniques de notre continent**, j'ai pu intercepter la conversation suivante, qui date d'il y a deux ans, entre M. Smith, du service achat de la multinationale Pidus et M. Baldeuzo, directeur de la PME du sud-ouest de la France qui l'approvisionne en viande bovine. Voilà ce que ça donne : 
 
- Bonjour M. Baldeuzo, vous m'excusez je suis en conférence, je n'ai que quelques minutes à vous consacrer.
 
- Bonjour M. Smith, je...Enfin...
 
- Vous savez M. Baldeuzo, je parlais de vous il y a quelques instants en comité de direction. J'ai défendu votre cause et j'ai réussi à sauver votre contrat pour le second semestre de cette année, mais il va falloir faire un effort sur la viande bovine... J'attends de voir ce que vous pouvez me proposer là-dessus.
 
- Eh bien... En fait je vous appelais par rapport à la viande bovine. Il faut que l'on revoie nos contrats. La viande a augmenté de 20% et j'ai dû faire de...
 
- Ecoutez M. Baldeuzo, vous savez que la transparence et l'éthique sont au coeur de notre projet d'entreprise, et c'est pour cela que nous persistons, malgré toutes les difficultés que nous rencontrons en ce moment, à travailler avec des PME françaises comme la vôtre, plutôt qu'avec des Roumains ou des Brésiliens. 
 
- Oui cela je le sais mais...
 
- Mais M. Baldeuzo, vous devez comprendre que nous ne sommes pas non plus les restaus du coeur. Les marchés sont très tendus en ce moment, et il est hors de question d'augmenter nos prix d'un centime. nous avons des devoirs vis à vis de nos clients, nous devons rester au meilleur prix, quelle que soit la situation, c'est une question d'éthique. C'est notre promesse produit. C'est votre métier de trouver des solutions pour avoir des prix raisonnables, pas le mien. Nous avons encore eu des propositions d'un prestataire roumain très compétent, il est 10 points en dessous de vous. Comment fait-il lui ? 
 
- Mais ils sont en Roumanie ! On ne peut pas lutter avec leurs coûts de revient...
 
- Nous ne sommes pas dans un épisode des bisounours M. Baldeuzo, il faut vous adapter ou changer de métier ! Vous me faites perdre mon temps avec des problémes qui ne sont pas les miens M. Baldeuzo, débrouillez-vous. Vous avez deux semaines pour me proposer un prix raisonnable pour les livraisons à partir du second semestre. Si vous n'avez rien d'ici là je vais être contraint de rappeler en Roumanie. Croyez bien que je ne ferai pas ça par gaieté de coeur, mais je n'aurai pas d'autre solution. 
 
- Mais...
 
-. Ecoutez, je sais que vous êtes un homme plein de ressources, nous apprécions les gens comme vous, alors trouvez une solution et rappelez-moi d'ici 15 jours, je compte sur vous. 
Au revoir M. Baldeuzo, je dois vous laisser je reprends ma réunion. 
 
- Merci M. Smith, au revoir...
 
***FIN de la conversation***
 
Le story-telling que sont déjà en train de nous tricoter les médias et le gouvernement va aboutir à désigner comme coupable de cette énorme magouille la société Sp*nghero, qui a selon la répression des fraudes fait des faux, et devrait donc tomber sous le coup de la loi.
Mais comme d'habitude, c'est le lampiste qui va payer alors que c'est tout le système qui est corrompu. Mais c'est plus subtil. La ligne de défense de Fondus ou de Tocard va être la même que celle des compagnies pétrolières qui pleurnichent avec des trémolos dans la voix quand un de leurs pétrolier pourri vomit son gas-oil sur une plage bretonne ou espagnole : "c'est la faute du sous-traitant ! Nous sommes blancs comme neige, notre sous-traitant, à l'insu de notre plein gré, a triché avec les règlementations. C'est scandaleux, mais croyez bien que la vraie victime c'est nous ! Car notre image va en être ternie durablement..."
 
Mais en réalité, quand on exige d'un prestataire un prix qui est en dessous de sa marge de rentabilité, on sait très bien que soit le prestataire va faire faillite, soit il va être obligé de tricher d'une façon ou d'une autre. Après il suffit de fermer les yeux, en cas de pépin c'est lui qui paiera les pots cassés. On ne peut croire l'histoire ce sous-traitant brebis galeuse d'un système par ailleurs tout à fait honnête que l'on nous raconte que si l'on ne rentre pas dans les détails : 
 
en effet, pour que cette histoire soit possible il faut que le service qualité du client final ne fasse pas son travail et n'aille jamais inspecter les chaînes, (et qu'il ne goûte pas le produit évidemment parce que le cheval n'a pas le même goût que le boeuf). Il faut ensuite que les cuisiniers de l'usine qui fabrique ne reconnaissent pas la viande de cheval quand ils la voient (couleur marron foncée avec des fibres longues alors que le boeuf est nettement plus clair), qu'ils n'aient pas de narines pour sentir la viande quand elle cuit (parce que ça n'a pas la même odeur, ni cru ni cuit), qu'ils ne goûtent surtout pas ce qu'ils fabriquent (remarque là-dessus on les comprend) et enfin, à l'autre bout de la chaîne, que les réceptionnistes de la société qui importent du boeuf ne soient pas surpris de trouver du cheval à la place car il ne savent pas lire les codes produits, et que, eux non plus n'ayant jamais vu de viande de leur vie, il ne sachent pas distinguer le boeuf du cheval ! Voilà une belle équipe de winners. 
 
Alors je ne suis pas détective privé, mais à mon avis pour pouvoir écouler 750 tonnes de cheval en lasagnes sans aucun problème d'un bout à l'autre de la chaîne il ne peut y avoir qu'une explication : tout le monde est au courant, ou dans le meilleur des cas regarde ailleurs pour ne pas savoir ce qui se passe, mais tout le monde ferme sa bouche sinon c'est la porte. Et en ce moment il vaut mieux faire des lasagnes de cheval que la queue à Pôle Emploi.
 
Ce qui me fait rire avec cette histoire (pour une fois il n'y a pas eu de morts on peut en rire) c'est que la dernière fois avec la vache folle, les hypermarchés ont fait un plongeon vertigineux dans les ventes, et ils ont eu tellement peur que cela se reproduise qu'ils ont contribué à financer l'étude sur les OGM dont j'ai parlé il y a quelques semaines, pour ne pas prendre de risques ! Cette fois-ci ils doivent se sentir très très mal ! Cette histoire va faire l'effet d'une bombe atomique sur les ventes de surgelés et de plats préparés... Car qui sait si cela se limite au boeuf ? On parle d'ailleurs maintenant d'ânes qui auraient été vendus pour du cheval en Italie, et sans doute en France ! 
 
Nous assistons en ce moment à l'auto-destruction du système. Le goût de l'argent, que dis-je, la fièvre de l'argent est trop forte, elle a rendu fous tout un tas de gens en les faisant s'intéresser uniquement au profit à court terme, jusqu'à tuer la confiance des clients et à faire écrouler tout le système et couler avec. Mais la situation est complexe, car le gérant de PME du sud-ouest n'a sans doute pas fait cette énorme magouille pour se faire construire une seconde piscine. Il est pris dans un engrenage qui remonte jusqu'au marché des céréales qui est ... aux Etats-Unis. Depuis 3 ans les banques américaines spéculent sur les matières premières et notamment les céréales. Les prix des céréales ont explosé. Or, le bétail étant nourri avec des céréales, les prix de la viande ont aussi explosé. Donc le vendeur de viande, pris en tenailles entre l'augmentation des prix et les exigences des multinationales de la vente est obligé de faire preuve de "créativité" ou de mettre la clé sous la porte...
 
Et tout ceci n'est qu'un avant-goût de ce qui se trame depuis quelques années et dont on commence à voir la finalité ces jours-ci : mais je vous en parlerai la semaine prochaine !
 
* article initialement paru dans ma newsletter hebdo sur http://www.cuisine-pied-noir.com
** non je plaisante, je ne connais persone dans le réseau Echelon, mais par contre il existe bien et il intercepte et filtre réellement l'essentiel des signaux électro-magnétiques qui émanent de notre beau pays.

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9 réactions à cet article    


  • ARMINIUS ARMINIUS 16 février 2013 08:49

    Juste pour info, vous qui êtes spécialiste en cuisine bretonne : il y a quelques années mon boulot consistant à améliorer les conditions de travail d


    • rhea 1481971 16 février 2013 08:56

      La majorité des français avec leurs revenus actuels ont le choix entre acheter de la nourriture de qualité ou acheter un smartphone, comme le système inocule le culte du progrès technologique et que les hypermarchés doivent pour survivre vendre à tout prix nous achetons de la nourriture de piètre qualité en oubliant que la qualité de la nourriture est importante pour notre santé. Le déficit de l’assurance maladie va continuer à augmenter.


      • Christophe Certain Christophe Certain 16 février 2013 10:48

        vous avez tout à fait raison ! Les smartphones, ordinateurs, écrans de télé géants, voitures mais également la spéculation sur l’immobilier qui contraint les Français à s’endetter plus que de raison. 


      • ARMINIUS ARMINIUS 16 février 2013 09:00

        Bon, incident technique...suite du texte : donc ...mon boulot consistant à essayer d’améliorer les conditions de travail dans les usines de notre belle France, je me retrouvais dans les locaux d’une usine bretonne dont la spécialité était la récupération des restes sur les carcasses de volaille, après prélèvement des parties« nobles » des dites volaille- si on peut parler de noblesse en matière de production en batterie. Sortaient de la chaine des gros lingots de chair rosâtre compactée qui correspondrait parfaitement à l’appellation, depuis mise à la mode , de « minerai de viande ». J’interrogeais le préposé de service : « vous fournissez sans doute les fabricants de nourriture pour chiens et chats »- « pas du tout » répondit-il interloqué « nous fournissons les fabricants de raviolis ! »


        • Christophe Certain Christophe Certain 16 février 2013 10:50

          oui évidemment ! Le minerai de viande quelle horreur ! Tout ça pour masquer définitivement qu’il s’agit d’animaux ! Mais le jour est proche où l’on produira de la viande synthétique ! Comme ça le problème sera réglé. 


        • gegemalaga 16 février 2013 10:13

          le patron de la PME ( c’est une cooperative ...) qui est pris dans une spirale ...prix des céréales ...

          pipeau !!

          regardez un peu les origines de la « pme » n’aurait elle pas été batie grace à l’argent de la speculation des céréales ? 
          je me trompe peut etre , mais vous qui semblez si bien renseigné , cela doit etre facile à verifier ? non ?

          quand a « l’omerta » dans l’entreprise !!! ( tient, pour une fois , on n’entend pas les syndicats ....) !!
          triste pour l’emploi , mais ..quand on joue avec le feu ...
          gegemalaga

          • Christophe Certain Christophe Certain 16 février 2013 10:45
            « la « pme » n’aurait elle pas été batie grace à l’argent de la speculation des céréales ? »
            Non parce que ce sont les banques américaines qui se gavent sur les céréales, pas les PME françaises ! 


          • Christophe Certain Christophe Certain 16 février 2013 10:52

            l’augmentation du prix des céréales est une réalité incontournable. Demandez donc à la JP Morgan comment ils gagne de l’argent, et lisez la revue de presse de Pierre Jovanovic ! 


          • bakerstreet bakerstreet 16 février 2013 11:44

            Seul certitude, on nous prend pour des boeufs !
            Si vous trouvez un fer à cheval dans votre pizza, dites vous bien que ce n’’êtes pas une fève
            . Il faut chercher la galette des rois ailleurs.
            Elle est dans la poche de ceux qui nous flousent !

            Cette époque est celle du faux, dans toute sa splendeur.
            Faux champions, fausses valeurs, faux seins, faux culs !

            Bravo à votre article. Il n’y a pas que son nom qui soit bon !
            Mais à l’image du cochon, on peut tout manger.

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