Parmi les petites mains du maréchal Pétain, Jacques Bardoux, grand-père de Valéry Giscard d’Estaing
Dans ses choix de responsables politiques, Jacques Bardoux, le grand-père de Valéry Giscard d’Estaing, aura été plus heureux avec Philippe Pétain qu’avec André Tardieu. Auprès de ce dernier, il n’avait connu que la déconvenue du 6 février 1934. En 1940, avec le Maréchal, il se découvrait dans les fourgons de celui qui avait recueilli… la dictature… militaire, mais aussi et surtout l’ensemble du pouvoir constituant.
L’heure était enfin venue pour l’ancien Comité Bardoux de faire des petits… et de mettre en application, pour après la disparition de Philippe Pétain lui-même, le remède définitif à la si terrible montée du suffrage universel dénoncée en son temps par Charles Benoist, pour ne citer que lui. Dans l’Introduction du recueil de textes publié sous sa dénomination originale de Comité technique pour la réforme de l’État, en 1936, nous lisons :
« Le Nombre, parce qu’il ne délègue pas ses pouvoirs, dans un scrutin honnête et libre, après avoir reçu une formation civique et une éducation morale, parce qu’il recourt à l’intermédiaire de partis inféodés à l’esprit de classe et marqués d’une mystique de révolution, parce qu’enfin il demeure, plus encore que les oligarchies, moins sensible à l’intérêt général qu’aux intérêts particuliers, le Nombre exerce sur l’État moderne une action dirimante. » (Marc Olivier Baruch, Servir l’État français, Fayard 1997, page 27)
D’où il faut inférer qu’au "Nombre" il faudra préférer les "oligarchies", c’est-à-dire le pouvoir du petit nombre qui, lui, saura remédier à l’empêchement radical que le "Nombre" exerce sur l’État moderne, ou encore, de façon plus générale, sur le cerveau et les bras du pouvoir exécutif. Cette "action dirimante" était-elle vraiment sans remède ? Non…
« Mais elle eût été plus tôt enrayée, si la prépondérance des masses inéduquées et inorganisées avait été compensée par un renforcement, en nombre et en valeur, des élites professionnelles et politiques. Or, il apparaît que, décimées par la guerre, elles ont, en outre, été affaiblies par les heures faciles de l’après-guerre et par les passagères euphories de sa prospérité. » (pages 27-28)
Avec le Comité Bardoux, entrons dans les détails :
« Seul ce double fléchissement, qui a porté simultanément sur les cadres des administrations publiques et sur ceux des partis politiques, peut expliquer pourquoi le courant d’opinion qui, né d’une saine réaction contre l’opportunisme et ses Panamas, le naturalisme et ses grossièretés, avait porté Raymond Poincaré à l’Élysée et Maurice Barrès à l’Académie, dicté la Loi de trois ans et désigné Lyautey pour l’œuvre marocaine, s’est ralenti et morcelé au lendemain d’une victoire qui aurait dû l’accroître et l’unifier. » (page 28)
Avec Philippe Pétain, maréchal tout comme Lyautey et académicien tout comme Barrès, l’oligarchie tenait enfin sa revanche, pendant que les troupes allemandes tenaient, elles, une moitié du pays, et le gouvernement de Vichy l’autre…
Nommé membre du Conseil National de Vichy sur désignation par le maréchal Pétain, Jacques Bardoux appartiendra, dès le 16 juin 1941, à la Commission de la Constitution qui réunit 26 spécialistes. Elle est présidée par le garde des Sceaux, Joseph-Barthélemy, dont certaines des idées inspireront plus tard Michel Debré. La première séance a lieu le 8 juillet 1941. Le président de la Commission et garde des Sceaux lit un message du Maréchal qui déclare en particulier :
« Je vous ai réunis pour m’aider à élaborer une constitution nouvelle qui doit être soumise à la ratification de la Nation. » (Michèle Cointet, Le Conseil National de Vichy, Thèse de doctorat - 1984, T I, page 340)
Il ne s’agit donc que d’une mission de conseil. Le Maréchal souligne ainsi dès le départ qu’il gardera la main sur le texte final. Dans les faits, cette affaire n’aurait pas de fin : la Nation n’aura pas eu le loisir de ratifier quoi que ce soit. Elle ne le ferait qu’en 1958 sur un texte très comparable, élaboré selon les conditions générales posées par Pétain et reprises intégralement par Charles de Gaulle… en pleine guerre d’Algérie, c’est-à-dire sous une dictature militaire plus ou moins affirmée en métropole, mais de plein régime et au-delà (tortures, etc.) dans les départements français d’Algérie.
Oh surprise !... Après Jacques Bardoux, voici venir l’inévitable Jules Jeanneney : ne boudons pas notre plaisir.
C’est qu’il a trouvé un bon truc pour poursuivre sa collaboration avec le pouvoir exécutif en toute discrétion (comme d’habitude). Il a proposé au Maréchal Pétain, pour le Conseil National, le personnel du Sénat, dont MM. Noell et Lassaigne, qui vont d’ailleurs se montrer très actifs…, et qui seront chargés tout spécialement de veiller sur deux sénateurs, MM. Manuel Fourcade et Valadier que le président Jeanneney n’aime pas beaucoup, paraît-il.
Il est effectivement toujours président en exercice du Sénat, même si l’exercice consiste surtout, pour l’ensemble des députés (non communistes) et des sénateurs, à continuer à toucher des émoluments qui ne correspondent plus à aucun travail véritable. Magnanimité de Pétain envers ceux qui l’ont porté, sans sourciller, au… plein pouvoir.
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