Presse, influence et manipulation (3) : les réseaux « sociaux »
Lorsque Trump s'est vu éjecter des réseaux « sociaux » (RS), avant même de quitter le bureau ovale, on a pu lire quantité de réactions généralement « indignées », invoquant une entorse à la liberté d'expression, une « menace contre la démocratie » etc. Le statut des RS a souvent été mis en question. Leur de facto monopole sur la circulation de l'information entre les individus a été vu comme un pouvoir excessif, concentré dans des mains privées, et appelant une intervention étatique, ou une forme de régulation quelconque. J'ai été surpris de voir que ces articles, ou vidéos, ont eu un grand succès... sur Facebook. Certains se clôturant par un traditionnel « likez, partagez, suivez- moi sur Facebook »...
Mis à part cette contradiction flagrante, une autre chose m'a marqué. Si on a entendu des discours sévères contre la politique de censure du site, l'outil lui-même n'a pas été remis en cause. Et fut même souvent propulsé au rang d'outil indispensable « pour la démocratie », « l'échange des idées », « le débat », et autres vertus de la communication, si j'ose dire, « libre et non faussée ». A contrario, aucune trace d'un discours pourtant bien plus cohérent, qui aurait consisté à dire : « Trump est éjecté de FB, je soutiens Trump, je me tire de FB ».
On connait tous cette formule : « quand c'est gratuit, vous êtes le produit »., mais elle n'est que rarement assortie d'explications. Voyons le modèle économique de Facebook (FB).
Les utilisateurs sont les principaux créateurs de contenu. En cela, ils « travaillent » gratuitement pour FB. Artisans, artistes, boutiques, associations recherchent une visibilité, une publicité. Les individus ont une variété de motivations, rester en contact avec des proches, échanger de l'information, ou mettre en scène leur existence. L'objectif de FB est bien sûr de leur faire cracher le maximum d'informations, à but de ciblage publicitaire, mais aussi de les inciter à passer un maximum de temps sur la plateforme, afin d'augmenter leur temps d'exposition à la publicité.
Les clients publicitaires payent directement FB pour diffuser leurs annonces. Les capacité de ciblage offertes sont sans commune mesure avec d'autres médias.
Les clients analystes, eux, disposent de leurs propres systèmes de traitement de données, et payent FB pour récupérer les données des utilisateurs. Il peut s'agir de clients privés ou institutionnels, des agences de renseignements par exemple.
La puissance du dispositif tient essentiellement dans les capacités de traitement des données personnelles. Certaines personnes n'ont pas conscience d'un phénomène lié aux techniques d'inférence. Ils pensent naïvement que Facebook ne connait que ce qu'ils enregistrent explicitement dans le système. L'inférence, c'est la capacité à déduire des informations. Connaissant A et B, le système déduit C. Ce mécanisme permet littéralement de doubler, voire plus, le nombre d'informations connues à chaque ajout d'une unique information. connaissant A, B et C, on peut désormais chercher une inférence entre A et C, produisant D, puis B et C, produisant E, etc...
En plus des informations explicitement livrées par l'utilisateur, FB peut exploiter aussi la temporalité de l'utilisation. On peut déduire énormément de choses du comportement de l'utilisateur selon la fréquence et les plages horaires de ses visites, nous y reviendrons.
La géolocalisation permet de suivre l'utilisateur à la trace, et permet de déduire encore beaucoup de choses, même si l'utilisateur ne les a pas explicitement donné. Par exemple, des trajets quotidiens en semaine révèlent que vous travaillez, où vous résidez, et où vous travaillez. FB sait que vous faites des excès de vitesse sur la route... Il sait que vous avez une voiture d'ailleurs, pourquoi et comment vous l'utilisez. Il sait si vous déposez des enfants à l'école, et à quelle école, permettant de déduire leur âge. Sachant tout cela, il déduira aussi votre niveau social, si vous habitez dans un manoir ou un HLM crasseux, si vos enfants sont scolarisés dans une école privée catholique, etc...
Certaines données techniques, si elles sont accessibles à l'application FB, peuvent encore augmenter la précision de localisation. Les informations wifi par exemple : en ayant accès à la liste des signaux reçus, qui comportent des identifiants uniques et dont on connait la puissance du signal reçu, il est techniquement possible de localiser un individu dans un immeuble, pour peu d'il y ait d'autres utilisateurs FB, par triangulation, à partir des puissances des signaux.
Autre source de « données fantômes », même si vous n'avez pas de compte FB, il n'est pas impossible que d'autres parlent de vous sur la plateforme, partagent des photos où vous figurez, etc.
Bref, les possibilités offertes par l'inférence, le croisement de données, sont infinies...
Rapidement, même avec une utilisation modérée, FB va pouvoir vous catégoriser finement : opinions politiques, mœurs, QI approximatif, situation sociale, goûts personnels, loisirs, liens familiaux, sociabilité, conscience religieuse, spiritualité, etc. Mais mieux encore qu'une fiche de police complète, FB peut également analyser l'évolution dans le temps de tous ces paramètres, et remonter les causes de ces changements. Par exemple, si les effets d'un événement médiatique, ou familial, ont eu un effet sur vos orientations politiques ou spirituelles.
Rapidement, c'est votre portrait psychologique complet qui va être dessiné, vos forces, faiblesses, votre état de stress, d'angoisse, votre caractère, colérique ou non, rancunier, généreux, sensible, émotif, etc, et pas seulement par l'analyse passive de vos comportements et leur évolution. Fonctionnellement, FB est une « boîte de Skinner », du nom d'un scientifique américain ayant œuvré dans le champ du « Behaviorism », le « comportementalisme ».
Le comportementalisme, est un paradigme de la psychologie scientifique selon lequel le comportement observable est essentiellement conditionné soit par les mécanismes de réponse réflexe à un stimulus donné, soit par l'histoire des interactions de l'individu avec son environnement, notamment les punitions et renforcements par le passé. L'approche béhavioriste vise à mettre au jour des relations statistiquement significatives entre les variables de l'environnement et les mesures du comportement étudié sans faire appel au psychisme comme mécanisme explicatif.
FB utilise les capacités du dispositif dans plusieurs buts.
Le premier, c'est renforcer l'addiction à la plateforme, en particulier par le jeu des « notifications », qui apparaissent aléatoirement, incitant l'utilisateur à vérifier à intervalles réguliers son « smartphone ». Le système est similaire à celui d'une machine à sous de casino. Le comptage du nombre de « like » ou de partages d'un commentaire ou d'une publication agit de la même manière. Vous trouverez tous les détails dans le documentaire « Regardez la lumière mes jolis », parmi d'autres. L'ennemi avoué de FB, ce sont les rapports humains directs. Des chercheurs ont documenté que certains adolescents, même lorsqu'ils sont côte-à-côte, dialoguent via leur téléphone... C'est la guerre totale pour le « temps de cerveau » disponible.
Ensuite, c'est un outil d'expérimentation permettant la caractérisation de votre psychologie. FB va, à dessein, vous soumettre un stimulus, une information révoltante par exemple, et démarrer l'analyse de votre comportement en retour.
C'est également un outil de mesure de la perception d'un événement médiatique, de l'efficacité de la communication (propagande), très utile aux clients.
Enfin, c'est un outil de manipulation des émotions et de modification à long terme du comportement des individus.
FB sait comment vous démoraliser, et va s'en servir pour le compte de ses clients. Par exemple, FB sait que les indicateurs de votre morale sont bas, que vous êtes probablement fatigué, il va vous présenter du contenu négatif, retardé les notifications de like de vos amis, et comme il sait que vous aimez les fringues, et que vous préférez le rouge, une publicité pour un magnifique blouson rouge, porté par quelqu'un qui vous ressemble va soudain apparaître. Un peu de shopping pour vous remonter le moral ?
Mais c'est bien sûr dans le champ politique, au sens large, que la modification du comportement est une arme de choix. FB va induire plusieurs comportements :
- L'enfermement dans une bulle idéologique, le système va renforcer la croyance de l'individu, en ne lui présentant que des informations qui confirment ses préjugés. Il est progressivement amené dans un microcosme idéologique, qui est une vision de plus en plus réduite, mutilée, « spécialisée » et cohérente de la réalité.
- La dégradation des comportements et attitudes : violence, insultes, outrances, moqueries, imperméabilité aux arguments, rejet du débat. Ceci est un résultat inévitable, car l'efficacité des techniques de modification du comportement passe par l'action des stimuli négatifs. L'utilisateur est amené dans un état de stress, et régulièrement confronté à des informations susceptibles de l'indigner.
- Le renforcement de l'identification et de l'implication personnelle dans une cause, un courant d'idées, etc. L'exposition publique, et le temps passé à défendre ceci ou attaquer cela va progressivement empêcher toute évolution des idées chez l'individu, ou tout changement de regard. Ceci, qui est pourtant le mécanisme primaire de la réflexion, et peut-être de la sagesse, sera perçu comme un reniement, à la fois par les autres et par soi.
J'ai fait une illustration de ceci dans un précédent article, « Pour en finir avec Trump », où je « m'étonne » de la passion suscitée en France par les affaires américaines. Le travail des réseaux « sociaux », abolition de la réflexion, de l’honnêteté intellectuelle, impulsivité, etc, peut y être décelé tout au long de l'argumentaire. La modification du comportement est bien sûr le produit « haut de gamme » de la plateforme.
Un point intéressant à préciser, le mode d'action le plus efficace pour la modification des comportements est la négativité. Comme le dit Jaron Lanier, pionnier de la réalité virtuelle, dont je vous recommande d'écouter les nombreuses interventions (en anglais uniquement malheureusement), créer la confiance est un processus long. La détruire est une chose beaucoup plus simple, c'est tout l'enseignement du « Othello » de Shakespeare. Le stimulus négatif agit plus vite et plus durablement que les stimuli positifs. Il est plus simple à formuler.
Quelles sont les effets de l'utilisation des réseaux sociaux ? Stress, angoisse, agressivité, radicalisation, impulsivité et dépression. D'autant plus qu'on est jeune. La course à la mise en scène de sa vie sociale, surtout pour les adolescents, à des effets dévastateurs. Bien que des études chiffrées montrent qu'ils se sentent, à plus de 40 %, mal à l'aise en les utilisant, pression sociale et renforcement de l'addiction font leurs effets.
Non seulement cela génère une hyperinflation du narcissisme, mais la confrontation aux narrations uniquement positives de la vie sociale engendre une concurrence à la vacuité, qui se transforme en dépression au niveau individuel, chacun constatant que la réalité de sa condition ne correspond pas à l'idéal en carton pâte, fabriqué par les publicitaires, qui sert de référence. Le taux de suicide des jeunes a recommencé à croître... Instagram est devenu une plateforme de proxénétisme pour mineurs. Le QI s’effondre en Occident. Tout cela sous le contrôle étroit de notre oligarchie, dont les membres se parent tous désormais du titre de « philanthrope ».
Vivement la généralisation du transhumanisme.
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