Propositions ?
Y a-t-il des idées nouvelles, des propositions que nous commencerions à pouvoir lire ?
Je pars de deux textes, et j’en extrais ce qui s’affiche le plus percutant à mes yeux.
D’abord la publication de Frédéric Lordon dans le Monde Diplomatique, que j’ai lu dans Les Crises de ce jour.
Et puis la dernière publication de Raoul Vaneigem : « retour à la base. »
» Fury Room – par Frédéric Lordon
Premier extrait :
« D’une certaine manière le néolibéralisme, qui est la cause structurale de tous ces dérèglements, en a livré la formule réduite mais sous l’aspect d’une trouvaille managériale en apparence anecdotique, ridicule, donc méconnaissable comme telle : la rage-room, ou fury-room. Comme on l’a compris d’après son nom, la fury-room est un espace qui offre aux cadres sur-stressés un lieu où il leur est licite de tout détruire – au choix selon la formule, on met à leur disposition, dans un local clos, vaisselle ou mobilier de bureau, à cette fin dûment contractuelle de se vider de leur rage par la destruction de choses. »
Le premier constat, je l’intègre à ma façon parce que le défouloir a été inventé il y a bien quarante ans par Honda au Japon, où les ouvriers étaient priés de venir se défouler sur l’effigie punching-ball du patron installée dans le hall de l’usine !
Ce qui m’interpelle, au point de ne pas pouvoir aller plus loin tant que je n’ai pas une réponse satisfaisante c’est : comment est-ce possible que des êtres humains acceptent cette soupape caricaturale ? Au moins la consommation, les loisirs et les vacances, qui n’autorisent pourtant aucune créativité, aucune singularité : tous en même temps aux mêmes endroits, donnent l’illusion de liberté dans une vacuité réparatrice aléatoire, quelques moments dans la journée. On conçoit que chacun invente sa destination à entendre les motivations, chacune originale et unique tandis que le résultat est identique ; mais tout casser dans une pièce prévue à cet effet et ressortir neuf pour retourner au bureau, ça laisse sans voix ! Même mon chien dédaigne vite les objets que je l’autorise à déchiqueter, les trouver lui-même est un plaisir suprême.
La psychologie devrait être, non pas simplifiée mais vulgarisée pour expliquer la reproduction, des schémas, opposée à la procréation, d’individus potentiellement libres. Les schémas sont civilisationnels, ils ne devraient pas être familiaux. Dans la famille on a le temps et l’espace d’accueillir un être neuf qui a tout à nous apprendre tandis qu’on le guide et l’assure dans l’espace tout étrange pour lui. Au lieu de cela, beaucoup de parents répètent, et c’est par leurs failles et leurs manques que l’enfant devenu grand trouvera des interstices où se frayer pour se faire un peu lui.
Mais ça ne va pas assez vite aujourd’hui ou l’oppression s’abat sur nous avec l’allure d’un bulldozer. Jadis, le monde évoluait naturellement, au rythme des saisons et des générations, chaque faille reconvertie devenait une donnée, un acquis pour la génération future.
Aujourd’hui, la technologie nous déshumanise parce qu’elle ne respecte par le rythme lent de notre progression naturelle. Vouloir y revenir, comme par instinct de survie de l’espèce, est traitée par les envoûtés, d’obscurantisme. Bien sûr si la lumière qui nous éclaire n’est plus que LED et nos étoiles plus que satellites, il faut bien se glisser hors de leurs rayons pour revoir la Beauté.
Dans la suite du constat publié par Lordon, on a droit au décorticage énième de l’ineptie de la politique d’extrême droite ; rien à en redire sur le fond sauf que ça ne sert à rien : le FN a un bouc émissaire, un coupable, qu’il faut châtier, chasser pour que le petit peuple retrouve le bonheur. Certes.
Mais j’aimerais bien enfin lire quelque part, que si cette solution offerte, à peu de frais, est critiquable, pourquoi l’autre côté de l’échiquier politique n’offre-t-il rien ? Ici, j’assume ma mauvaise foi, parce que je suis bien la première à trouver le programme LFI tout à fait convenable et souhaitable, mais je n’y entends pas la prise en compte des problèmes que le FN se propose de résoudre si facilement.
Prendre en compte le problème des gens « d’en bas » hein !
Il y a quarante ans, on pouvait être prof de fac, adhérent et militant LO, et vivre dans la ZUP de la ville qui, je vous l’accorde était loin d’être aussi éprouvante qu’aujourd’hui, mais quand même ; et on n’en faisait pas une vidéo toutes les semaines pour montrer à quel point on était splendide !
Écouter ce que disent les gens qui souffrent d’un déséquilibre de population dans leur quartier, et de tout ce que cela entraîne en boucle de délinquance, de rejet, de haine, de violence et ainsi de suite, sans fin.
Une fois qu’on a laissé s’installer la haine, que l’on appelle racisme, il est beaucoup plus difficile d’entendre ce qui est dit… derrière les mots.
Les territoires font partie du vivant ; certains sont migrateurs, d’autres nomades, mais les sédentaires ont tous un territoire à garder des intrus. C’est absolument inscrit dans nos gènes. Mais ce qui est inscrit dans nos gènes aussi, c’est la fraternité, l’empathie, et la curiosité. Seulement, quand les arrivants sont presque aussi nombreux que les installés, ces vertus passent aux oubliettes. Parce que, dans la Nature, l’arrivant est d’abord un intrus ; à l’intrus d’arriver avec des boules de pollen accrochées aux pattes, ou bien des présents de tout acabit… se faire accepter, en s’adaptant, prendre le temps.
Cela est bien beau, mais ne peut se faire que lorsque l’arrivant est volontaire, autonome, désireux. Il y a des milliers d’exemples d’immigrations réussies, avec le temps.
La gauche refuse de voir que la politique mondialiste, ex colonialiste, est responsable de déplacement de populations, populations qui sont toujours laissées dans les cases « inférieures », d’une société qui se dit très égalitariste, qui ne supporte pas le racisme, ni l’exploitation de l’homme par l’homme ni bien entendu l’inégalité, encore moins l’injustice faite aux femmes, etc. mais leurs éléments les plus malins ont compris le fin mot de la philosophie du mercantilisme et de la démerde sous-jacente aux bons mots philosophiques, et se pressent de réussir, c’est-à-dire se faire le plus de fric possible par tous les moyens possible !! Dans toutes les sphères de la société cette manière de faire est délinquante, mais pas punie de la même manière parce que les nuisances et les crimes des intrus sont moins raffinés que ceux des puissants de ce monde alors que leur fonctionnement est conforme aux modèles ! Le petit peuple instruit et besogneux se voit traité de délinquant dès passé cinquante à l’heure, à moins qu’il n’ait une tête qui ne revienne pas, les autres ont, soit le pouvoir sur la police par les ordres donnés, soit par la terreur imposée. Ce qui revient au même : aucun des délinquants n’est jamais pris !
Oui, donc, pour en revenir à Lordon qui se base sur les réflexions du chantre du salaire à vie, et de ses critiques, il ne fait pas celle que je fais ci-dessus. Elle me semble pourtant prédominante ! Nous n’aurions pas besoin d’extrême droite si la gauche sortait ses pas des ornières de la bien-pensance et de sa suffisance.
Bon, après avoir démoli facilement les maigres atouts d’une extrême-droite sans richesse neuve à expérimenter, après avoir évoqué quelques velléités gauchistes, Lordon déduit :
« Tout ça est bien mignon, mais les conditions de votre révolution n’existent pas plus (aujourd’hui) que les effets des gestes (en général) ».
Et là, on ne peut qu’être d’accord avec lui !
Et de conclure sur l’inévitable impuissance « à y faire quelque-chose » même avec les élections !!
Tout à l’inverse d’une droite qui trouve solution inique à un problème vu par le petit bout de la lorgnette, et d’une gauche qui met sous le tapis les poussières incontournables d’un problème qu’elle dénie, Raoul Vaneigem, que j’espère n’avoir pas besoin de présenter dit ceci :
« Les élections ont toujours été les arènes où la jactance des élus sollicitait la sottise d’électeurs persuadés d’être représentés par eux. Cependant, l’ineptie, le mensonge, la corruption des politiques, tous partis et factions confondus, ont atteint un tel cynisme que la probabilité d’une abstention massive s’accroît dangereusement. Si bien que les instances gouvernementales différeraient, voire annuleraient volontiers la bouffonnerie électorale. »
Partisan de la République autogestionnaire abrogeant la république parlementaire et affairiste, Raoul Vaneigem nous met en garde : « pendant que s’affrontent rétro-bolchévisme et rétro-fascisme, les mafias mondialiste empoisonnent et polluent impunément villes et villages.
Constatant comme nous autres, que le dialogue avec l’ État n’existe plus ( aucune doléance du peuple n’a été reçue si ce n’est avec des matraques), il ne nous reste qu’à expérimenter, à l’instar des zapatistes du Chiapas, des insurgés du Rojava, la tendance la plus radicale des Gilets Jaunes, qui s’en inspirent, « l’expérience auto-gestionnaire menée par les collectivités libertaires espagnoles de 1936 ».
( Il est à noter qu’en France à cette époque il y avait le Front Populaire… et qu’aujourd’hui, Uranus est rentré dans le taureau, comme il y a quatre vingt quatre ans. Je dis ça pour nous encourager : si les astres sont bénéfiques, profitons-en !)
Retour à la base, donc.
Composé de 21 thèses, comme le livre de Debord, ce petit livre ramasse en peu de place un concentré d’idées à retenir, explorer et discuter entre amis. J’en retiendrai quelques-unes, vraiment au hasard, le livre est très actualisé, donc pas beaucoup de hiérarchie dans mon cœur !!
J’ai laissé tombé les « thèses » sur le patriarcat qui pour ma part me laissent froide !
Thèse 7 :
Contre la réification ou transformation en chose
« Le capitalisme ne voit dans la vie qu’un objet marchand. Il ne tolère pas qu’il échappe à la toute puissance de l’argent. La machine du profit montre qu’au prétexte d’un virus de passage elle a été capable de déclencher une véritable peste émotionnelle. Une hystérie panique a poussé des millions d’individus à se terrer dans un coin, où le désespoir et la morbidité achevaient de les délabrer, de les déshumaniser. »
Thèse 8 :
Contre le sacrifice
Le consumérisme avait fondé son pouvoir de séduction sur le mythe de l’abondance édénique.
Le « tout à la portée de tous » prêtait une éphémère séduction à ces libertés de supermarché qui s’arrêtent au tiroir-caisse. Le salaire durement gagné trouvait sa récompense dans un laisser-aller qui avait les vertus d’un défoulement. Avec la paupérisation qui vide le « panier de la ménagère » l’exhortation à se sacrifier remonte à la surface, tel le péché originel que l’on croyait enfoui dans le passé. Il faut accepter la Chute, il faut admettre que la vie s’assèche Le temps est venu de rappeler qu’on ne travaille jamais assez, qu’on ne se sacrifie jamais assez. L’existence non lucrative est un délit. Vivre est un crime à expier. L’éloignement, le repli sécuritaire, la peur de l’autre instaurent une pratique de la délation, un culte de la pudibonderie, un regain de violences, une avancée de l’obscurantisme ( à défaut de brûler les livres, le gouvernement les taxent d’inessentiels).
9. Contre le marché de la tuerie sanitaire et sécuritaire
a) En France, la gestion politique des soins de santé a prémédité l’assassinat en série des premières victimes de la paupérisation : les retraités, les vieux, les dénués d’efficacité lucrative.
La République des nantis a fait peser la main froide de l’argent sur la république des sans grade. Elle a agi et continue d’agir sous l’emprise d’une économie pour qui le profit à court terme compte plus que la santé d’un peuple. Ne nous y trompons pas : elle annonce sans ménagement la solution finale que la tyrannie mondialiste réserve aux peuples décidés à ruiner l’enrichissement des riches.
b) La sécurité, garantie par contrat social au citoyen, a laissé place à une idéologie sécuritaire qui accroît et multiplie les dangers, l’agressivité, les actes de folie. La police et la magistrature dont la fonction officielle est de nous prémunir contre les violeurs, les assassins, les empoisonneurs et les pollueurs en sont devenus les sbires en raison des tendances fascisantes encouragées en leur sein par l’État.
La stratégie du bouc émissaire – qui accable pêle-mêle Gilets Jaunes, émigrés, manifestants écologiques, musulmans et incendiaires de poubelles –- les frappe à leur tour au cri de « tout le monde déteste la police ». La manipulation a pour but de détourner notre attention de la liberté de nuire laissée à ceux qui dévastent impunément la planète et viennent « jusque dans nos foyers » violer notre liberté de vivre.
10. Contre le progrès. Technologie qui déshumanise
L’intrusion d’un virus a dévoilé le cynisme des groupes pharmaceutiques et médicaux. On les a vus moins soucieux de soigner les humains que d’engranger les bénéfices d’une morbidité dont la presse oligarchique et ses compteurs de la mort trafiquée amplifiaient la hantise.
La logique économique confirme ainsi l’imposture d’un progrès technologique qui, pour justifier ses mensonges d’aujourd’hui, bat le rappel des vérités d’hier.
…
Ainsi, retour au local pour le pouvoir sur nos vies après un éveil obligé des consciences… il dit aussi en titre de la thèse 17 : Il appartient aux assemblées de démocratie directe de hâter par en bas le dépérissement de l’État qui pourrit par le haut. C’est exactement ce que j’écrivais à propos du nucléaire : celui-ci est dangereux, si tout le monde le sait, pousser dans le sens du délitement du savoir-faire, de la corruption financière de l’affaire, le délabrement politique, est une énergie qui a des chances de voir sa réussite, alors qu’en période de grands succès, la contestation ne servait qu’à trouver des biais de la part du pouvoir. Ce qui fut fait sous la gauche !
Mais en ce qui concerne les « propositions » du titre, nous sommes tous à même de voir qu’elles sont rares, et toutes s’adressent à l’individu, au groupe d’individus, imposent l’éveil de la conscience, l’encouragement par la fraternité, la désobéissance, la frugalité…
Je me permets de donner les deux liens vers deux articles sur Niko Paech qui est un des rares à « dessiner les contours d’une société de post-croissance », durable et moderne.
Se libérer du superflu - AgoraVox le média citoyen
Moins c'est plus : vers une économie de post-croissance - AgoraVox le média citoyen
Sinon, il faut remonter à André Gorz, Ivan Illich, et quelques autres du même acabit.
Raoul Vaneigem
Le retour à la base Voltiges
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