Quelle est la situation réelle de l’emploi en France ?
Mardi 8 mars 2007, Stéphane Lollivier, directeur de l’INSEE, a expliqué devant le CNIS ( le conseil national de l’information statistique ) que l’institut était dans l’incapacité de publier les statistiques du chômage pour l’année 2006 et que cette publication était reportée à l’automne 2007.
Pour justifier ce report, il a avancé le nombre exceptionnel des non-réponses aux enquêtes emploi de l’institut, qui ont faussé, selon lui , les résultats.
"C’est une panne troublante " note le Monde, dans un article du 9 mars 2007, d’autant plus que c’est la première fois en vingt ans que l’institut est dans l’incapacité de publier pour la fin du mois de mars ses indicateurs statistiques concernant le chômage.
Ceci est d’autant plus troublant que depuis plusieurs mois des rumeurs accusent l’INSEE de se faire le complice du gouvernement pour cacher les mauvais résultats obtenus en matière d’emploi pour l’année 2006.
Dans le même temps, un taux de chômage de 9,5% de la population active est évoqué par deux administrateurs de l’INSEE et un syndicaliste de l’ANPE via un rapport anonyme sur internet alors que le gouvernement ne cesse de se vanter de ses bons résultats et publie un taux de 8,6% pour la fin de l’année 2006.( actuchomage.org dans un article paru sur son site le 24.02.2007 indiquait déja que l’INSEE ne publierait pas les chiffres du chômage avant les présidentielles, car les résultats obtenus ne confirmaient pas la baisse du chômage annoncée par le gouvernement)
Cette affaire qui est plus grave qu’il n’y paraît à première vue soulève deux questions :
- celle des chiffres réels du chômage pour l’année 2006,
- celui de la crédibilité de nos institutions.
Reprenons ces deux points :
Les chiffres réels du chômage :
En l’absence de rapport officiel de L’INSEE qui pouvons-nous croire ?
Le gouvernement qui se vante de ses bons résultats et affiche une baisse du taux du chômage de 1 point par rapport à 2005 soit un taux de 8.6% de la population active ?
ou les deux fonctionnaires de l’INSEE et le syndicaliste de l’ANPE qui avancent un taux de 9.5% ?
Entre ces deux chiffres ce sont 200 000 chômeurs de plus !
Si ce chiffre se révélait exact, ce serait un sérieux camouflet pour l’équipe de Dominique de VILLEPIN et l’aveu de l’échec des mesures prises en faveur de l’emploi depuis que ce dernier est à Matignon.
Echec d’autant plus fâcheux que les propositions du candidat de l’UMP ne sont pas trés différentes de celles mises en oeuvre actuellement, si ce n’est pour en accentuer le caractère libéral et coercitif.
Les chiffres annoncés par le gouvernement :
Examinons tout d’abord les chiffres avancés par le gouvernement, chiffres qui sont annoncés officellement sur le site du ministère de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement.
Les chiffres du ministère renvoient aux chiffres publiés chaque mois par la DARES ( direction de l’animation de la recherche des études et des statistiques) et notamment les chiffres publiés dans son rapport de janvier 2007.
Ce rapport indique qu’il y a en janvier 2007, 2 093 000 chômeurs inscrits à l’ANPE en catégorie 1 , c’est-à-dire recherchant un emploi à temps plein et ayant exercé au cours du mois précédant une activité d’au plus 78 heures.
Ce chiffre est corrigé de 0,1 point ( à l’identique du chiffre de janvier 2006) pour arriver à un chiffre de 2 353 000 chômeurs au sens du B.I.T (bureau international du travail).
Le rapport précise que le chiffre indiqué pour le nombre de chômeurs au sens du BIT est fixé en fonction d’un modèle économétrique établi une fois par an à l’aide de l’enquête emploi de l’INSEE.
Travaillant sur les chiffres fournis par l’Agence nationale pour l’emploi , la DARES a donc corrigé ces chiffres pour tenir compte de toutes les personnes qui sont bien au chômage au sens du BIT .
Quant à la méthodologie utilisée, aucune précision donnée dans le rapport.
Nous constatons également dans ce rapport une augmentation du nombre de radiations des fichiers de l’ANPE pour diverses raisons (notamment absence au contrôle) soit plus de 2,5% par rapport à janvier 2006.
L’INSEE , dans Informations rapides du 9.03.2007 publiées sur son site, confirme le report de son son calage annuel à l’automme 2007.
L’institut confirme également un taux de chômage de 8,5% de la population active soit 2 340 000 chômeurs en janvier 2007 et un taux moyen aux alentours de 9% sur l’année, en prenant le soin toutefois d’indiquer qu’il ne s’agit que de résultats provisoires.
L’INSEE précise que ces chiffres sont donnés en s’appuyant sur le nombre de chômeurs inscrits aux catégories 1 2 et 3 dans les fichiers de l’ANPE (hors activité réduite )c’est-à-dire :
Catégorie 1 : les personnes sans emploi immédiatement disponibles et à la recherche active d’un emploi à durée indéterminée à temps plein.
Catégorie 2 : les personnes sans emploi immédiatement disponibles et à la recherche d’un emploi à temps partiel à durée indéterminée.
Catégorie 3 : les personnes immédiatement disponibles à la recherche d’un emploi à durée déterminée saisonnier ou temporaire.
Sont donc recensées toutes les personnes à la recherche d’un emploi soit à durée indéterminée à temps plein ou à temps partiel soit à durée déterminée et n’ayant pas exercé une activité de plus de 78 heures.
L’INSEE prend également le soin de préciser que ce chiffre sera corrigé à l’automne 2007 en fonction d’investissements méthodologiques supplémentaires. L’INSEE indique également que les chiffres publiés à ce jour reposent uniquement sur les statistiques de l’ANPE et qu’ils ne fournissent qu’une approximation du concept du chômage au sens du BIT.
L’institut est donc bien dans l’impossibilité de confirmer définitivement la baisse du chômage annoncé par le gouvernement et aucun autre organisme ne peut le faire à sa place car l’enquête emploi annuelle de l’INSEE est l’’unique source d’information qui permet de mettre en oeuvre la mesure de l’activité suivant les concepts du BIT.
Elle permet notamment à la France de comparer son taux de chômage avec ceux des pays européens et des pays membres de l’Organisation internationale du travail.
En d’autres termes, nous ne pouvons pas nous fier aux chiffres annoncés par le gouvernement et croire dans la baisse du chômage puisque ces chiffres sont fournis par l’ANPE et que tous les chômeurs au sens du BIT ne sont pas forcément inscrits à l’ANPE et que le correctif de 0.1 point n’est pas confirmé par l’INSEE qui est le seul organisme à pouvoir le faire !
Les chiffres avancés par deux administrateurs de l’INSEE et le syndicaliste de l’ANPE. :
Dans un document de 15 pages coécrit avec un syndicaliste de l’ANPE deux administrateurs de l’institut affirment que le taux du chômage au sens du BIT est de 9,5% pour la fin de l’année 2006 soit plus de 200 000 demandeurs d’emploi que ceux annoncés par les chiffres officiels.
Ce document dont le journal Le Monde s’est procuré un exemplaire a été adressé via internet de manière anonyme à plusieurs économistes.
Selon les informations diffusées par le journal le Monde, les trois experts notent que de nombreuses modifications sont intervenues depuis juin 2005 c’est-à-dire depuis que Dominnique de VILLEPIN est à Matignon, dans la manière de comptabiliser les chômeurs au niveau de l’ANPE.
Ces modifications aboutissent à l’exclusion de la catégorie 1 de nombreuses personnes qui sont pourtant à la recherche d’un emploi.
Ainsi les personnes licenciées pour motif économique et bénéficiant d’une aide personnalisée au reclassement sont inscrits en catégorie 4 au niveau de l’ANPE et sortent de ce fait du nombre des chômeurs ( à l’identique des personnes en formation ou des femmes enceintes)
Il en est de même des contrats aidés du plan de cohésion sociale qui sont financés par l’Etat et qui sont comptabilisés en catégorie 5 et de ce fait ne sont pas comptabilisés dans les chiffres donnés par le gouvernement.
A cela s’ajoutent les radiations des listes de l’ANPE pour absence au contrôle et suivi mensuel qui ont fait un bond du fait de la réduction des délais de réactualisation de la situation mensuelle dont dispose chaque chômeur et de la mise en place depuis janvier 2006 de l’entretien individuel et mensuel avec L’ANPE (deux fois par an auparavant)
Selon les trois experts, ces modifications tendent à minimiser le taux réel du chômage au sens du BIT et, s’appuyant sur les chiffres de l’ANPE et des observations précédantes, ils avancent un taux de chômage de 9,5% de la population active.
Le journal le Monde ne donnant aucune précision sur la méthodologie utilisée par les experts et n’étant pas l’heureux destinataire du rapport, nous ne pouvons pas nous fier pleinenement aux chiffres avancés dans le rapport.
Vers une autre réalité du chômage ?
Qu’il s’agisse du taux du chômage donné par le gouvernement ou celui diffusé dans le rapport des experts, il ne tient pas compte d’un nombre important de personnes pourtant en recherche d’emploi.
C’est le cas des personnes qui recherchent un emploi soit à durée indéterminée ou à durée déterminée et qui ont eu au cours du mois une activité de plus de 78 heures .
Ces personnes sont inscrites en catégorie 6 7 et 8, c’est-à-dire sont considérées comme non immédiatement disponibles et de ce fait sortent des statistiques puisqu’elles ne remplissent pas un des trois critères pour être chômeurs au sens du BIT.
Dans le rapport de la DARES ce chiffre représente tout de même 575 000 personnes.
C’est le cas également des seniors agés de 55 ans et justifiant de 160 trimestres au titre de la retraite et des seniors agés de 57,5 ans et plus, dispensés de recherche active d’emploi et inscrits en catégorie 4 .
Cette catégorie qui est considérée comme non immédiatement disponible sort des chiffres des chômeurs au sens du BIT.
Selon les derniers chiffres publiés par l’UNEDIC, cette catégorie concerne 411 000 personnes
Ce serait donc 1 million de personnes à ajouter aux chiffres indiqués plus haut soit aux alentours de 3,5 millions de personnes en précarité d’emploi ou en sous-emploi.
Le collectif ACDC, qui rassemble associations ( réseau d’alerte sur les inégalités,MNCP,ACI etc.) et syndicats, a dénoncé, dans une note publiée en fin d’année 2006 et dont le journal Libération s’est fait l’écho dans un article de fin février 2007, les chiffres tronqués du chômage et avance plus de 4 millions de personnes sans emploi ou en sous-emploi .
La réalité, n’est-ce pas ce que nous vivons tous les jours ?
et que voyons-nous autour de nous ?
- De plus en plus de jeunes sans emploi ou allant de petits boulots en petits boulots ;
- De plus en plus de seniors licenciés ;
- De plus en plus de sans-logis et surtout parmi les jeunes et les femmes avec enfants ;
- De plus en plus de repas distribués par les restaurants du coeur, etc.
- Une multipication d’associations en tout genre d’aide et de secours aux plus défavorisés etc.
Tous ces éléments ne sont -ils pas des indicateurs sérieux d’une société qui se paupérise, d’une société de plus en plus inégalitaire, d’une société dans laquelle chacun ne trouve plus sa place ?
Ce sont les vrais problèmes que devrait prendre à bras le corps notre gouvernement au lieu de faire semblant que tout va bien dans le meilleur des mondes et de mettre en avant des chiffres contestables et contestés au sein même de ses propres services !
Cette attitude pour le moins irresponsable aux yeux de la nation remet en cause la crédibilité-même de nos institutions.
Nous savons tous que la réduction du chômage constitue un enjeu majeur de la campagne élactorale.
Faire apparaître de bons résultats c’est donner de la crédibilité aux mesures prises par l’équipe gouvernementale en place, c’est également cautionner les mesures du candidat de l’UMP qui ne sont pas trés différentes.
Dans ce contexte préélectoral, n’est- il pas tentant d’arranger les chiffres et de masquer aux citoyens ( futurs électeurs que nous sommes) la réalité ?
En tout état de cause, n’est- il pas troublant ?
- que l’INSEE reporte les résultats de l’enquête emploi à l’automne 2007 c’est-à-dire après les élections alors que c’est la première fois depuis 20 ans que l’institut ne publie pas ses résultats dans les temps ?
- que trois experts ( dont deux administrateurs de l’INSEE ) envoient un rapport de 15 pages pour dénoncer les modifications intervenues dans la comptabilisation du nombre des chômeurs visant à réduire celui-ci et ce, depuis que Dominique de VILLEPIN est Premier ministre ?
- que des rumeurs circulent depuis la fin de l’année 2006 sur la connivence entre l’INSEE et le pouvoir en place pour ne pas publier des chiffres du chômage qui contredisent la baisse du chômage dont se vante le gouvernement actuel ?
- que de nombreuses associations de chômeurs dénoncent le nombre grandissant de radiations administratives des listes de l’ANPE pour d’autres raisons qu’avoir retrouvé un emploi ( oublis, erreurs des services de l’ANPE, sanctions administratives etc.) ?
L’ensemble de ces éléments doit interpeller le citoyen qui est en nous !
Nous devrions exiger une enquête parlementaire qui ferait le jour sur la situation .
Si toutes les rumeurs étaient fondées nous ne serions pas loin d’une république bananière où les chiffres et les médias sont les jouets du pouvoir politique en place.
Dans ces conditions, quelle serait l’image que nous donnerions de la France au monde et à nos partenaires européens ?
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